Quand Sciences Essonne et La Diagonale Paris-Saclay suscitent des idées lumineuses
Retour sur un atelier ludique de réflexion collective autour de la lumière
Si un territoire de création se reconnaît aux découvertes et rencontres impromptues qu’il suscite, alors Paris-Saclay peut aussi prétendre à ce statut. Dernière illustration en date : cet atelier ludique de réflexion collective autour de la lumière, proposé par La Diagonale Paris-Saclay et Sciences Essonne, et dans lequel nous avons été enrôlé le 26 février dernier, au PROTO204 où nous nous étions rendu pour y réaliser une interview. Récit.
Ce jour-là (le 26 février), nous avions rendez-vous au PROTO204 avec Christian Van Gysel, le Business Angel bien connu de Finance & Technologie, pour une interview. Laquelle se déroule comme prévu (patience, elle sera mise en ligne d’ici quelques petites semaines). Mais alors que nous pensions en avoir terminé, nous nous retrouvons, lui compris, à phosphorer quelques minutes plus tard, sur « une idée complètement folle » autour de la lumière…
Explication : ce même jour, les équipes de La Diagonale Paris-Saclay et de Sciences Essonne s’affairaient autour de la mise en place d’une exposition conçue dans le cadre de l’« Année internationale de la lumière et des techniques utilisant la lumière » par l’Organisation internationale des Nations Unies (ONU). Ce que nous ignorions, c’est que cette exposition serait le prétexte à des réflexions par petits groupes, dans le cadre d’ « ateliers fiction éclair ». Arc en ciel qui fait le tour de la terre, vers luisant qui dessinent des smileys, show de laser… Nous étions invités à laisser libre cours à notre imagination !
Un laser pour détruire Dark Star…
A peine l’interview terminée, nous voilà donc enrôlés. Difficile de s’éclipser, surtout quand il s’agit d’échanger sur un tel sujet. Au total, trois groupes se forment. Outre Christian Van Gysel, le nôtre comprend Caroline Matet, coordinatrice de Sciences Essonne ; Florian Delcourt, de S[cube], que nous avons eu l’occasion d’interviewer (pour accéder à son portrait, cliquer ici) ; Anne Rougée, Directrice artistique et scientifique de la Comédie des Ondes ; enfin, Paula Bruzzone, directrice adjointe de Planète Sciences Île-de-France, qui nous apprendra plus tard la mise en place d’un beau projet (voir le post-scriptum).
Après un premier tour de table pour se présenter, nous voilà donc partis pour réfléchir, quinze minutes top chrono (probablement plus en réalité, tant l’exercice s’est révélé passionnant et productif, du moins le lecteur pourra-il en jugé par lui-même à la lecture de la suite). Pour stimuler l’imaginaire, trois catégories de fiches sont mises à disposition invitant à préciser le public, le lieu, la situation. Des pitchs y figurent au cas où les participants manqueraient d’inspiration. A l’évidence, ce n’est pas le cas. Florian Delcourt commence fort. Il propose dans un premier temps de construire… l’étoile noire puis de la détruire avec un laser ! L’étoile noire ? Celle du célèbre film de science-fiction éponyme (Dark Star en anglais, tourné en 1974 par John Carpenter). L’idée, précisera-t-il, est de « pouvoir parler du laser à partir d’une référence cinématographique très présente dans la jeunesse actuelle ». Non sans humour, il reconnaîtra deux principaux obstacles à sa réalisation :
1/ d’abord, la construction d’une étoile noire coûte 50 000 000 000 000 000 $. « Ce qui est un peu trop cher, même pour l’armée américaine » (pour plus de précision, il renvoie au suite suivant – cliquer ici pour y accéder) ;
2/ ensuite, la question se pose : comment amener du public dans l’espace pour observer le phénomène ?
Quitte à augmenter encore un peu plus nos regrets, il nous indique à quoi tout cela aurait pu ressembler en renvoyant à un autre site (cliquer ici). L’idée a le mérite de répondre aux exigences de l’atelier (de la fiction éclair !).
Des Lumières réinventés
Pour notre part, nous n’en proposons pas moins de prendre le contrepied de la vision technologique que suscite spontanément un projet futuriste autour de la lumière, a fortiori dans un écosystème comme celui de Paris-Saclay, en appréhendant plutôt la lumière en son sens… philosophique, moyennant sa conjugaison au pluriel. En effet, la lumière, n’est-ce pas aussi… les Lumières, ces penseurs et savants du XVIIIe siècle qui ont contribué à diffuser le savoir (avec de simples bougies pour s’éclairer la nuit, relevons-le au passage) ? Et si Paris-Saclay inventaient ceux du XXIe siècle, non pas seulement sous les traits d’hommes de lettres et de sciences qui dispenseraient le savoir selon un schéma descendant (top down, comme on dit aujourd’hui), mais, forcément, dans une logique collaborative, en partant du principe que ce territoire est peuplé de savants, de découvreurs, de scientifiques, etc., et de bien des communs des mortels férus de connaissances scientifiques, mais aussi forts d’une expertise qui, pour être profane, n’en est pas moins digne d’intérêt (on pense en particulier aux agriculteurs et à tous ces entrepreneurs innovants, qui, à leur manière, développent des savoirs sinon des savoir-faire) ?
L’idée séduit. En ces temps d’obscurantisme (dixit Anne Rougée), n’est-elle pas de fait une piste pertinente à creuser ? Chacun y va de sa proposition, mais sans renoncer à la dimension technique, pour rester collé au plus près de l’intitulé de l’année internationale. Deux éminents philosophes finissent par être convoqués : Gilles Simondon et Vincent Bontems. Comment en est-on arrivé là ? C’est bien simple (ou presque). Qui dit Lumières, pensent aussi à l’Encyclopédie, et c’est à quoi nous avons aussi pensé justement, en imaginant à quoi pourrait ressembler celle du XXIe siècle. Bien sûr, on songe à Wikipédia avec ses forces et ses faiblesses. Et si Paris-Saclay réinventait l’encyclopédie collaborative à même d’instaurer un rapport plus apaisé entre société, sciences mais aussi nouvelles technologies en apportant des éclairages ( !) aussi divers que possibles sur une problématique donnée ?
Une Lifipédie collaborative
Nous est alors revenu à l’esprit que Paris-Saclay est un haut lieu de recherche et d’innovation en matière de photonique et de LiFi en particulier. Nous-même avons interviewé les fondateurs d’une start-up prometteuse, Oledcomm, qui dévelope des technologies de transmission par éclairage Led (pour accéder à l’article, cliquer ici). Voilà une piste à même de concilier (faire rimer ?) préoccupations éthiques et TIC, en restant dans notre sujet : et si les flux d’échanges appelés à enrichir notre encyclopédie transitaient par les photons ? Une LiFipédie, en somme. Des idées folles nous avaient-on demandé. Au rythme où nous allions, heureusement que le temps imparti s’était écoulé.
Soit, vous êtes-vous peut-être dit, mais quel rapport avec les philosophes susmentionnés ? Et bien voilà, Gilles Simondon (disparu en 1989) est un des rares à avoir, à travers ses écrits et ses enseignements, entrepris de dépasser l’opposition entre l’homme et la technique, tandis que Vincent Bontemp en est un des spécialistes reconnus (il a codirigé un colloque sur son œuvre, au Centre culturel international de Cerisy ; pour en savoir plus, cliquer ici). Ironie de l’histoire : le premier a vécu à Palaiseau, tandis que le second, est philosophe, chercheur sur le Plateau de Saclay, au CEA. Ainsi, en plus de fournir le terreau propice à de l’innovation technologique, ce territoire recèle de personnalités qui se sont ingéniées et s’ingénient encore à penser le statut de la technique/technologie, dans son rapport aux hommes et à la société. Il est donc légitime pour engager une démarche d’intelligence collective autour d’un projet d’encyclopédie collaborative à même d’agréger toutes les autre lumières, s’il l’on peut dire, qu’il compte dans ses laboratoires, ses lieux de recherche, ses centres de R&D, mais aussi ses chambres d’étudiants, sur le Plateau comme en ses vallées, et ce par la magie des photons.
Quand RER rime avec lumière…
Restait à exposer la proposition. C’est Christian Van Gysel qui s’y colle, non sans humour – « Nous sommes partis de l’étoile noire, nous sommes arrivés à Simondon et Bontems ! ». En cet instant, le public se montre poliment incrédule pour ne pas dire dubitatif. Mais au terme de la démonstration et moyennant les réponses aux demandes de précision, il semble avoir convaincu. De là à passer de l’idée à la réalisation… Aux dernières nouvelles, notre Business Angel se serait dit prêt à investir dans un projet d’encyclopédie collaborative (non, là, on plaisante…).
Quant aux deux autres équipes, elles ont convergé sans s’être concertées vers un même horizon : le RER de la ligne B, qu’elles ont proposé de mettre au couleur de la science vulgarisée, l’une en aménageant un wagon pour y accueillir toutes sortes d’expérimentation, l’autre envisageant à peu près la même chose, mais, tant qu’à faire, à l’échelle de toute la rame !
Nous est alors revenue en mémoire la confidence que le cofondateur de Stilla Technologies avait faite lors de la soirée de lancement de Hellow Tomorrow (pour accéder au compte rendu, cliquer ici). A savoir que c’est sur cette même ligne du RER B qu’il aurait conçu sa start-up avec ses amis (en raison des temps d’attente, mais aussi de la difficulté d’appeler sur son mobile, dans le long tunnel qui court de Denfert-Rochereau à la Gare du Nord, procurant ainsi aux passagers de vraies plages de réflexion…).
La soirée orchestrée par Caroline Matet, de Sciences Essonne, et Stéphanie Couvreur, de La Diagonale Paris-Saclay – qui donnaient, notons-le au passage, un bel exemple de collaboration – devait se poursuivre autour d’un verre, pour mieux échanger sur des projets de médiation scientifique. En attendant que ces derniers voient le jour, reconnaissons que l’exercice illustrait de belle manière la puissance de l’intelligence collective à même de s’exprimer sur le Plateau de Saclay, pour peu qu’on lui en donne les moyens : du temps, justement, et des lieux appropriés comme le PROTO204. La plupart s’y attardaient d’ailleurs, sans paraître plus préoccupés que cela à l’idée de regagner leurs domiciles respectifs dans l’obscurité de cette fin de journée d’hiver.
Post-scriptum
A l’issue de cette rencontre, Paula Bruzzone, directrice adjointe de Planète Sciences Île-de-France, nous a annoncé le démarrage d’un travail de création original, qu’elle mène avec deux autres auteurs : Camille Davin (auteur dramatique) et Didier Boulle (metteur en scène). Intitulé « Lumière, raconte toi » – et labellisé par le Comité de l’Année de la lumière en France – il s’agit d’ « un conte moderne sur la lumière, dont la fable s’inspirera de l’histoire des connaissances sur la lumière et dont le récit sera croisé avec une parole scientifique contemporaine, captée en vidéo auprès des scientifiques et restituée sur scène par les comédien-nes. » Elle précise encore que trois interviews ont d’ores et déjà été réalisées avec Bernard Maitte (historien de la lumière, université de Lille), Richard Taillet (enseignant chercheur en astrophysique, université de Savoie) et Nathalie Westbrook (enseignante chercheuse, Institut d’Optique) et que d’autres devaient être réalisées jusqu’en début mars, avec des scientifiques du CEA, du Synchrotron Soleil et de l’Université Pierre et Marie Curie.
Pour en savoir plus sur les manifestations organisées à travers la France, se rendre sur le site dédié (cliquer ici).
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