Rencontre avec Luc Julia, directeur scientifique de Renault Group, à l'initiative du GIE Software République
Directeur scientifique du Groupe Renault, il est à l’initiative de la création en avril 2021 de Software République, un Groupement d’Intérêt Économique (GIE) destiné à constituer un écosystème européen d’open innovation dans les domaines des mobilités et de l’énergie. Il n’a jamais caché ses réserves sur le principe d’un cluster scientifique et technologique comme celui de Paris-Saclay. Nous avons donc voulu en savoir plus sur ce GIE créé avec des entreprises qui y sont pourtant toutes fortement implantées…
- Si vous deviez, pour commencer, pitcher Software République ?
Luc Julia : Il s’agit d’un écosystème européen d’open innovation ayant vocation à façonner notamment les mobilités de demain. Il repose sur un Groupement d’Intérêt Économique (GIE) fondé en 2021 par six entreprises françaises, toutes implantées dans d’autres pays européens : Orange, Atos, Dassault Systèmes, STMicroelectronics, Renault Group, Thales. Avec ces entreprises, nous avons fait le constat que chacune disposait d’indéniables atouts pour s’engager dans l’innovation numérique, mais qu’elle manquait aussi de certaines ressources – expertises, compétences – dont les autres pouvaient disposer. Il était donc dans notre intérêt de mettre en commun nos ressources pour fournir des produits et services sécurisés et durables dans les mobilités et d’autres domaines comme l’énergie. Notre volonté est aussi de nous rapprocher du monde des start-up pour booster nos propres équipes en interne et gagner en agilité. Concrètement, nous aidons les start-up à créer de nouveaux business en leur ouvrant l’accès à nos ressources à travers un programme d’accompagnement sur mesure. Nous participons à un fonds d’investissement qui à terme sera doté de 300 millions pour aider à leur financement.
Une autre caractéristique de Software République est de nous inscrire délibérément dans une logique projet. Nous ne nous réunissons pas dans un GIE pour le seul plaisir de nous réunir, mais bien pour concevoir de nouveaux services et produits. Nous nous sommes d’ailleurs fixé une condition : que chaque projet réunisse au moins trois membres du GIE et des start-up, chaque partenaire apportant ses compétences spécifiques. Le maître mot, j’y reviens, c’est l’agilité. Une fois le projet lancé, nous nous engageons à le mener à son terme, ou pas. Car, nous acceptons aussi l’échec. J’ai bien conscience que dire cela peut surprendre, tant c’est étranger à l’éducation que nous recevons dans un pays comme le nôtre. Or, les startuppers le savent bien : l’échec est aussi une opportunité d’apprentissage et de rebond vers d’autres projets. Donc, si un projet paraît mener nulle part, nous l’arrêtons net et nous passons à un autre projet en considérant que nous aurons toujours appris quelque chose du précédent. A contrario, quand le projet débouche sur des résultats concluants, l’étape suivante est de voir comment en faire un nouveau business au bénéficie des entreprises ayant porté le projet, des start-up qui y ont participé ou encore d’une joint-venture conclue entre ces différentes parties prenantes.
- Précisons que ces projets relèvent d’au moins trois axes : le véhicule connecté, les services de mobilité, enfin l’énergie. Est-il encore trop tôt pour annoncer des projets entrés en phase opérationnelle ?
LJ : Non. D’ailleurs, nous en avons déjà annoncé un très innovant : une borne de recharge bidirectionnelle, autrement dit qui peut aussi bien recharger une batterie de voiture que la décharger pour alimenter son logement. Ce n’est pas tout : cette recharge équipera les véhicules Renault d’ici la fin de l’année, avant d’être disponible l’année suivante chez d’autres distributeurs et ce, à un prix compétitif y compris par rapport à la concurrence chinoise. De manière plus générale, nous ne nous interdisons pas d’explorer d’autres thématiques que celles que vous évoquez.
- Un autre volet important de Software République est un effort important consenti à la formation à travers une déclinaison de dispositifs…
LJ : En effet, et cela s’inscrit dans la même logique que j’évoquais tout à l’heure, à savoir pouvoir mobiliser les compétences des uns et des autres au travers cette fois d’échanges de formation. Notre Académie République, ainsi que nous l’appelons, se décline en Talent factory, pour faire profiter de nos compétences aux professeurs et aux élèves d’écoles d’ingénieurs ; Talent incubator, pour la constitution d’une communauté d’apprentis spécialisés en cybersécurité, en data/IA et en software ; enfin, Talent accelerator, pour la formation de nos collaborateurs. Nos ambitions en la matière sont fortes puisque ce sont des milliers de personnes (cadres, apprentis) qui en bénéficieront.
- Au fait, pourquoi Software République ?
LJ : De surcroît avec le maintien de l’accent sur le premier « e » de République ! Parce que notre GIE entend fonctionner sur une base démocratique, dans l’esprit de ces fédérations d’États qui réunissent leur force, dans l’intérêt de leur union, mais en restant souverains par ailleurs.
- Un mot sur l’écosystème de Paris-Saclay sur lequel les membres fondateurs sont implantés ?
LJ : Au risque de vous décevoir, cela n’est pas entré en ligne de compte dans notre décision de créer Software République. Je n’ai d’ailleurs pas caché mes réserves à l’égard de la création d’un tel écosystème. Certes, toutes les entreprises membres y ont un pied et interagissent avec les laboratoires, les établissements d’enseignement supérieur qui y sont présents. Pour autant, rien ne doit nous interdire d’aller chercher les ressources là où elles se trouvent. L’erreur est de croire qu’une entreprise doive s’en tenir à celles de son écosystème. Si, donc, nous sommes de fait bien implantés dans celui de Paris-Saclay, Software République ne se confond pas avec lui. C’est une initiative d’entreprises privées, qui s’appuient d’abord sur leurs ressources propres, sans recours à la moindre subvention publique.
- ll reste que Paris-Saclay existe, on y assiste à l’émergence d’une véritable communauté d’entrepreneurs, de chercheurs, d’étudiants, etc., qui se donne à voir à l’occasion des événements annuels qui y sont organisés : Paris-Saclay Spring, TEDx Saclay, et bien d’autres encore qui concourent à l’affirmation d’un sentiment d’appartenance…
LJ : Je n’en doute pas. J’y interviens moi-même régulièrement à travers des conférences. Mais pour tout vous dire, je considère que l’on pourra augurer d’un véritable succès à cet écosystème dès lors que les conditions d’accessibilité seront améliorées, que la ligne 18 du Grand Paris-Express sera inaugurée.
- À suivre donc. En attendant, terminons cet entretien par une question plus personnelle : qu’est-ce qui vous a prédisposé à participer à l’aventure de Software République ?
LJ : À y participer et, bien plus que cela, à en être à l’origine. À mon arrivée au sein du Groupe Renault, comme directeur scientifique, j’ai voulu y insuffler cette culture de la Silicon Valley que je connais bien pour la fréquenter depuis trente ans au titre de responsabilités opérationnelles. C’est là que j’ai compris combien l’échec faisait partie intégrante de la dynamique d’innovation, qu’il n’en fallait pas en faire un motif pour tout arrêter, mais au contraire en tirer les leçons pour repartir de plus belle. Alors oui, cela va à l’encontre de ce qu’on nous inculque au cours de notre scolarité, en France, mais il ne faut pas désespérer de voir changer les mentalités. Software République y contribue à sa façon. J’avais aussi envie de montrer que grands groupes et petites entreprises innovantes, start-up, gagnent à coopérer.
- Avec aussi probablement la conviction que si on veut inventer les mobilités de demain, il faut aussi que les acteurs historiques de la filière, à commencer par les constructeurs automobiles, apprennent à travailler avec de nouveaux entrants qu’on n’attendait pas forcément…
LJ : En effet. L’innovation ne procède pas autrement : par l’association de compétences, d’expertises, de ressources, de technologies, qui existaient peut-être déjà, mais qu’on n’avait pas l’habitude de combiner. Autrement, vous encourez le risque de rester enfermer dans des routines.
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