Quand deux cortex bien faits valorisent le capital scientifique
Rencontre avec Tatiana Kačan et Aurélie Brousse de la société Cortex
Aider des entreprises et des organismes de recherche à augmenter l’impact de leur « capital scientifique » en interne ou auprès du grand public, à travers des formations, des ateliers et de l’événementiel. Telle est la vocation de Cortex. Précisons de Tatiana Kačan et d’Aurélie Brousse, rencontrées à l’occasion du Paris-Saclay Summit 2025 qui s’est tenu les 12 et 13 février dernier.
- Si vous deviez pour commencer pitcher Cortex ?
Tatiana Kačan : Cortex est une société de valorisation du capital scientifique. Nous l’avons créée dans le contexte du Covid avec l’ambition d’aider à valoriser au mieux les résultats de la recherche auprès du grand public, au sein d’entreprises ou d’organismes de recherche. Pour cela, nous proposons concrètement des offres de vulgarisation et de valorisation aussi bien pour les universités et leurs laboratoires que pour les entreprises ou des organismes et lieux culturels.
- Comment procédez-vous concrètement ?
Aurélie Brousse : Dans le cas d’une entreprise, par exemple, nous créons les conditions d’un dialogue entre les équipes de R&D et d’innovation avec d’autres équipes comme celles du marketing ou de la communication, en les mettant toutes à un même niveau pour faciliter les échanges entre elles, faire mieux connaître leurs contraintes respectives.
- Vous avez évoqué la vulgarisation scientifique. Comment l’articulez-vous à la valorisation scientifique ?
Aurélie Brousse : Les deux sont étroitement liées. La vulgarisation participe pleinement à la valorisation, car elle facilite la transmission, la diffusion des savoirs et connaissances scientifiques. Elle procède de surcroît de plusieurs manières, canaux possibles : des articles, des podcasts, des vidéos, etc. Plusieurs niveaux de vulgarisation sont envisageables ce qui permet de cibler des publics différents, selon les besoins, de pitcher un savoir scientifique auprès, selon le contexte et les besoins, des chercheurs comme auprès du grand public, des adultes et/ou des enfants.
- Pour ma part, en tant que journaliste, je suis sceptique à l’égard de la vulgarisation scientifique, considérant que l’enjeu est davantage de faire se rencontrer des formes d’expertises, des plus savantes aux plus profanes (d’usage, professionnelle ou artistique), mon hypothèse étant aussi que tout un chacun développe des formes de savoirs au gré d’expériences personnelles ou professionnelles. Naturellement, il ne s’agit pas de considérer que toutes les formes d’expertise se valent – celles des savants s’appuient sur des protocoles susceptibles de produire des connaissances robustes – mais au moins, toutes peuvent participer à une science plus participative que vulgarisée…
Tatiana Kačan : Je me retrouve dans ces considérations. C’est d’ailleurs pour cela que nous parlons aussi de valorisation scientifique. Voici un exemple pour l’illustrer : il concerne un des projets les plus marquants que nous ayons eu à mener à ce jour – un projet initié à la demande de l’Oréal. Il s’agissait d’intégrer l’IA dans les process de R&D. Nous nous avons travaillé avec une équipe non seulement pluridisciplinaire, mais encore multinationale (composée notamment de Français et d’Américains). Les participants n’avaient pas la même familiarité avec cette technologie ni la même appréhension. Il s’est donc agi de mettre tout le monde au même niveau de connaissances, en s’inscrivant dans une démarche à la fois de vulgarisation et d’adaptation réciproque des différents métiers concernés, tous n’étant pas amenés à en avoir le même usage.
- Je note au passage que vous avez convaincu une société mondialement connue de travailler avec vous. En avez-vous convaincu d’autres ?
Tatiana Kačan : Oui, et plusieurs de nos projets embarquent plusieurs entités à la fois : des entreprises, des organismes de recherche publique (le CNRS, l’Inserm, INRAE…)…
Aurélie Brousse : Nous travaillons aussi avec des universités pour des initiations à la création d’entreprise auprès de jeunes chercheurs et de doctorants. Nous le faisons dans le cadre du dispositif gouvernemental, Pépite France, qui a pour mission de renforcer la culture entrepreneuriale et l’innovation dans l’enseignement supérieur. Nous en sommes encore au stade de test à l’école doctorale de la Sorbonne.
- Et pourquoi pas à l’Université Paris-Saclay ?
Tatiana Kačan: Nous ne demanderions qu’à travailler avec elle !
- On imagine que les effectifs de Cortex ont dû s’étoffer pour mener à bien tous ces projets. À combien s’élèvent-ils ?
Aurélie Brousse : Cortex ne compte que deux salariées : Tatiana et moi !
Tatiana Kačan : Nous nous sommes cependant entourées d’un ensemble d’intervenants extérieurs que nous sollicitons en fonction des projets.
Aurélie Brousse : Soit entre une vingtaine et une trentaine de personnes : des chercheurs, des journalistes, des dessinateurs, des professionnels du multimédia…
- Qu’est-ce qui vous à prédisposées à cette double démarche de vulgarisation et valorisation scientifique ?
Tatiana Kačan : Aurélie et moi avons fait le même cursus en biologie moléculaire et cellulaire avec juste un an d’écart. J’ai commencé par créer une association de vulgarisation scientifique, qui a bien marché ; de nombreux chercheurs à travers le monde se sont alors greffer au projets. Suite à quoi nous avons reçu des demandes d’universités, de laboratoires et d’entreprises, en vue de valoriser des travaux de R&D, ce qui m’a convaincue de créer une société.
- Qu’est-ce qui vous a prédisposées à franchir le pas de l’aventure entrepreneuriale ? Des parents entrepreneurs ?
Elles en chœur : Pas du tout ! [Rire].
- Si ce n’est des parents entrepreneurs, qu’est-ce donc ?
Aurélie Brousse [à Tatiana Kačan] : À toi de commencer, après tout, c’est toi qui a été la première à te lancer dans cette aventure !
Tatiana Kačan : Je ne parlerai pas de prédisposition. La création de Cortex s’est faite naturellement, sans réelle intention consciente, encore moins un projet planifié. Les choses ne s’en sont pas moins faites naturellement.
Aurélie Brousse : Pour ma part, suite à une mauvaise expérience en CDI – j’ai été ingénieure en biologie dans un laboratoire public -, j’avais fait le choix d’une pause. Je faisais déjà partie de l’association évoquée précédemment. En parallèle, je donnais des coups de main à Tatiana pour des projets qu’elle portait dans le cadre de Cortex. De fil en aiguille, j’ai fini par y mettre les deux pieds et ce faisant à sauter les pieds joints dans l’entrepreneuriat. Je suis la première surprise, car jamais je ne m’étais dit qu’un jour je serais entrepreneure !
- Dans quelle mesure l’écosystème Paris-Saclay a-t-il été favorable à l’éclosion de Cortex et, aujourd’hui, à son développement ?
Tatiana Kačan : Nous avons intégré la French Tech Paris-Saclay…
Aurélie Brousse : … et emporté le concours de la French Tech Tremplin [le programme qui promeut l’égalité des chances et accompagne les entrepreneuses et entrepreneurs issus de milieux sous-représentés dans l’écosystème tech français pour développer leur projet entrepreneurial].
Tatiana Kačan : … avec un projet de plateforme de crowdfunding dédié à la recherche scientifique – un équivalent d’Ulule – pour permettre à des équipes de recherche de trouver des sources de financement complémentaires.
- Preuve s’il en était besoin, pour faire écho à la table ronde à laquelle vous avez assisté dans le cadre du Paris-Saclay Summit sur la place des femmes dans la recherche et l’innovation, qu’il ne faut pas désespérer : nous seulement les femmes y ont toutes leur place, mais encore elles trouvent des solutions pour les financer !
Aurélie Brousse : Désespérer ? Non, non, ce n’est pas notre état d’esprit…
- N’en avez-vous pas moins rencontré des obstacles dans votre double cursus de scientifiques et d’entrepreneures innovantes ?
Elles, en chœur : Ah ça, si ! [Rires].
Tatiana Kačan : Le fait de faire jeunes n’a pas non plus toujours joué en notre faveur…
Aurélie Brousse : … Cela nous a même desservies ! Mais nous ne nous laissons pas abattre pour autant ! Nous continuons à nous battre ! [Rire].
- À défaut de l’entendre, les lecteurs le percevront à la lecture de cette retranscription ! Est-ce à dire cependant que votre inscription dans l’écosystème n’a pas été favorable ?
Aurélie Brousse : Au contraire, il l’a été… Tout comme le dispositif French Tech Tremplin
Tatiana Kačan : Il est… Comment dire ?…
Aurélie Brousse : … En fait, les mots nous manquent pour témoigner de tout ce qu’il nous apporte. Nos interlocutrices nous aident beaucoup. À la limite, c’est nous qui ne penserions pas assez à les solliciter [rire]. Eux en sont parfois réduits à nous rappeler tout ce dont nous pourrions bénéficier en tant que lauréates.
Tatiana Kačan : Elles sont d’une étonnante disponibilité…
Aurélie Brousse : … Bref, nous ne nous sommes pas abandonnées à notre triste sort. Forcément, cela fait du bien car quand on se lance dans une aventure entrepreneuriale, on se retrouve confronté à des problématiques dont on ne peut pas toujours prétendre trouver seul la réponse.
- Rappelons que nous faisons cet entretien à l’occasion du Paris-Saclay Summit. Même si on peut le deviner, je pose la question : qu’est-ce qui vous a motivées à y participer ? La possibilité d’y faire du réseautage ?
Aurélie Brousse : L’association liée à notre société avait été conviée à participer à l’événement. Cela nous a paru une bonne opportunité de faire connaître Cortex pour, comme vous dites, réseauter.
Tatiana Kačan : Pour être entrepreneures, nous n’en avons pas moins gardé notre âme de scientifique avec tout ce que cela peut signifier en termes de curiosité. Nous n’avons pas été déçues. Ce que nous avons entendu était fort intéressant. C’était aussi l’occasion de revoir, en présentiel, des personnes avec qui nous avons travaillé voire d’amorcer avec elles des discussions autour de nouveaux projets.
Aurélie Brousse : Cela nous permet de faire aussi un travail de veille sur certains sujets, de repérer des thématiques en émergence, de découvrir des initiatives d’universités, de grandes écoles et d’entreprises en matière de vulgarisation ou de valorisation scientifique.
- Précisons encore que cet entretien a été précédé d’un échange informel que vous avez pu avoir avec Sylvie Retailleau. Une illustration de la qualité des contacts que cet événement permet de nouer…
Elles, en chœur : Complètement !
- Preuve décidément que vous formez un bon duo, c’est cette propension que vous avez chacune à finir la phrase de l’autre ou à parler en chœur.
Elles, dans un éclat de rire : On nous le dit souvent !
Journaliste
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