Le 28 octobre 2020, la Filière Innovation-Entrepreneurs (FIE) organisait son Forum 503, en clôture d’une semaine d’accélération des projets portés par les quelque 33 élèves de la nouvelle promotion, répartis en 8 équipes intersites (Palaiseau, Saint-Etienne et Bordeaux). Y participaient également des élèves en 2e année de FIE, venus présenter leur propre projet. Nous y étions. En voici un premier écho à travers un entretien à deux voix avec les deux animateurs de cette filière, David-Olivier Bouchez et Pierre Mauriac, respectivement coordinateur national et intervenant référent.
– Qu’est-ce qui vous a prédisposés à rejoindre la FIE ? Comment avez-vous eu connaissance de son existence ?
David-Olivier Bouchez : Je l’ai rejointe pour en occuper le poste de coordinateur national, il y a de cela un an et demi et en connaissance de cause de ce qu’elle représentait alors. J’ai fait mes études sur le campus d’Orsay avec une spécialisation dans l’opto-électronique, un domaine qui m’intéresse tout particulièrement et dont j’ai pu approfondir la connaissance à travers des expériences en entreprise. Je connais bien l’écosystème au plateau de Saclay pour avoir travaillé durant une dizaine d’années à Opticsvalley et à Systematic – j’œuvrais alors à la convergence des actions menées en matière de valorisation de la recherche entre les PME, les grandes entreprises et les laboratoire scientifiques du secteur de l’optique et de la photonique. Tout naturellement, j’en suis venu à travailler avec l’Institut d’Optique.
Mais avant de le rejoindre, j’ai, par un de ces hasards comme la vie professionnelle peut en réserver, été sollicité par une autre école d’ingénieur, l’ECE Paris, qui voulait développer un programme de valorisation de ses projets étudiants, lequel comportait notamment un volet entrepreneurial. J’y ai vu l’opportunité d’une expérience nouvelle et ai donc accepté de relever le défi. J’ai cependant aussitôt contacté Frédéric Capmas, alors responsable de la FIE, pour prendre conseil. Car ce qu’il faisait au 503 se rapprochait le plus de ce que j’étais amené à faire. Cette première expérience dans la valorisation de projets dura près de sept ans. En 2018, j’apprenais que Frédéric Capmas quittait l’Institut d’Optique pour vivre une autre aventure professionnelle [au sein d’IncubAlliance]. Naturellement, j’ai postulé et ai été recruté.
– Et manifestement sans regret…
David-Olivier Bouchez : Ici, je fais ce que j’aime particulièrement : la valorisation de projets autour des technologies optiques et photoniques, de surcroît dans une école d’ingénieur qui a été avant-gardiste dans la formation à l’entrepreneuriat innovant – rappelons que l’aventure de la FIE a commencé en 2006. Depuis, plusieurs écoles d’ingénieur se sont lancées dans ce type de formation, non sans s’inspirer de la démarche FIE. Cela étant dit, jusqu’alors, je ne connaissais l’Institut d’Optique que de l’extérieur. Il m’a donc fallu trouver mes marques. J’ai été aidé en cela par Pierre Mauriac qui l’avait rejoint un an et demi plus tôt. Je profite d’ailleurs de cet entretien pour le remercier de la manière dont il m’a mis à l’aise ! Il connaissait en détail le parcours individuel du moindre élève. Or, ce dont je suis convaincu, c’est que pour valoriser des projets étudiants, ils faut bien connaître leurs problématiques, savoir où ils en sont et vers où ils veulent aller, et, donc, avoir un sens de l’écoute, instaurer une relation de confiance. Il faut aussi faire preuve d’agilité pour faire évoluer le projet, voire le faire pivoter. Or, l’agilité, c’est ce que nous cultivons aussi avec Pierre.
– Et vous, Pierre Mauriac, comment en êtes-vous venu à rejoindre la FIE ?
Pierre Mauriac : Mon parcours est quelque peu différent. Etant un touche-à-tout de nature, je me suis intéressé à plusieurs domaines technologiques, avec juste un bac scientifique en poche. Jusqu’au jour où le hasard de la vie m’a amené, suite à un dépôt de brevet, à créer ma propre start-up. C’était en 2007. Malheureusement, cette aventure entrepreneuriale n’aura duré que deux ans. Le contexte n’était pas favorable – rappelons que nous étions en pleine crise des subprimes… A l’époque, les start-up n’étaient pas encore aussi bien accompagnées qu’elles le sont aujourd’hui. L’expérience n’en aura pas moins été très enrichissante : j’ai acquis des compétences dans de nombreux domaines de l’innovation et de l’entrepreneuriat, dont j’ai voulu faire profiter d’autres entrepreneurs, à commencer par ceux qu’on appelle les « intra-entrepreneurs » – ces salariés qui innovent au sein de leur propre entreprise. J’ai créé pour cela Octinov, une structure de formation et d’accompagnement au pilotage de projets et de l’innovation, implantée à Pessac, près de Bordeaux, donc.
Au fil du temps, force m’a été de constater que les outils que je mobilisais comme coach avaient fait florès sous les noms d’ « agilité », d’ « entreprise libérée », de « design thinking », d’ « expérience utilisateur », etc. Autant de notions que j’essaie désormais de promouvoir ici, en tant qu’intervenant référent.
– Comment le contact s’est-il noué avec l’Institut d’Optique ?
Pierre Mauriac : C’est le pur produit du hasard. En 2017, je suis tombé sur un appel d’offre de l’Institut d’Optique qui cherchait quelqu’un pour accompagner Frédéric Capmas (dont j’ignorais alors qu’il allait quitter l’IOGS).
Dans un premier temps, j’ai travaillé avec Olivier Fortin, à l’époque Professeur Associé intervenant sur la partie finance et un des piliers de la FIE. Il m’a permis d’appréhender cette dernière – la filière dont j’aurais rêvé gamin ! Puis est arrivé David-Olivier. A mon tour, je saisis l’occasion de cet entretien pour lui dire combien j’ai apprécié la manière dont il s’est approprié l’esprit de la FIE ! (Rire). Il n’est pas arrivé en cherchant à imposer sa vision des choses, une expérience antérieure qu’il aurait transférée telle quelle, ici. Au contraire, il s’est interrogé, notamment sur le niveau des élèves et la manière dont il fallait éventuellement les inciter à s’engager dans leur projet entrepreneurial. Tout comme moi, il a pu très vite se rendre à l’évidence : les élèves qui font le choix de la FIE s’impliquent d’emblée et progressent à vitesse grand V à un point qui en est bluffant. J’en suis à ma 3e promotion et peux donc en témoigner.
Chaque année, nous nous demandons quand même comment la nouvelle va se comporter. Et à chaque fois, nous sommes épatés ! Bref, travailler avec ces élèves, ce n’est que du bonheur ! Ne le dites pas trop dans cet entretien (sourire), ils pourraient s’en persuader et ne plus donner le meilleur d’eux-mêmes.
David-Olivier Bouchez : Nous n’avons pas pu nous empêcher de le leur dire, en inaugurant cette semaine d’accélération. C’est la première que nous le faisons aussi tôt. Mais, après tout, pourquoi cacher notre bonheur de les accompagner !
– Avant de vous demander comment vous expliquez cette réussite, je ne résiste pas à l’envie de relever la pari audacieux qu’a pris l’IOGS de recruter deux personnes qui ne sont pas issues de la FIE ni même diplômées de l’Institut d’Optique…
David-Olivier Bouchez : Vous mettez là le doigt sur quelque chose qui nous a aussi interrogés ! Cela étant dit, à défaut d’avoir fait l’Institut d’Optique, j’ai, comme je vous l’ai dit, étudié par la voie de l’université, ici même à la faculté des sciences d’Orsay, les mêmes technologies. A sans doute aussi pesé ma connaissance des acteurs du plateau de Saclay, un atout quand on sait l’importance de l’insertion du 503 dans cet écosystème. De même que mon expérience à l’ECE Paris, qui m’avait mis en situation de valoriser des projets d’élèves ingénieurs entrepreneurs. Déjà, je veillais à les comprendre, à les observer pour bien cerner leur potentiel. Finalement, la formation à l’entrepreneuriat n’est rien d’autre que cela : mettre des élèves en mode projet de façon à permettre à leur potentiel de s’exprimer. Après un temps d’éveil, d’inspiration, il y a celui de l’engagement et de la réalisation.
– Comment concevez-vous votre rôle ?
Pierre Mauriac : Je pense que tous autant que nous sommes, nous sommes des entrepreneurs potentiels, amenés à entreprendre quelque chose dans sa vie, sans que cela passe nécessairement par la création d’une entreprise ou d’une start-up. Ce qui différencie nos élèves entrepreneurs, c’est qu’ils aspirent à aller un cran plus loin dans la réalisation d’un projet (sans exclure pour autant d’intégrer un jour une entreprise, en tirant profit de l’expérience acquise à travers celui-ci). Si maintenant, j’ai un rôle, c’est en somme celui d’un guide de montagne : j’accompagne, mais sans imposer l’itinéraire. Si un élève repère un passage, qui permet d’accéder à une autre voie, je ne m’y opposerai pas a priori. Après tout, pourquoi pas. Charge à nous, David-Olivier et moi, de le prévenir des éventuels écueils.
David-Olivier Bouchez : Pour ma part, je suis accroc à la voile, tout comme Pierre d’ailleurs. Si, donc, je devais user d’une métaphore, je l’emprunterais à cet univers-là. Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas de ne faire que suivre le mouvement. Si c’est aux élèves que revient le soin d’imaginer leur projet, il nous revient à nous de créer les conditions pour leur permettre de le réaliser, en nous adaptant aux situations. Soit l’agilité que j’évoquais et à laquelle je reviens, car elle est essentielle.
– Dans quelle mesure le lieu même, le bâtiment 503, sert-il le projet pédagogique ?
Pierre Mauriac : Le lieu ne laisse pas indifférent. Voyez la vue imprenable que l’on a sur la vallée – une vue, dont personnellement, je ne me lasse pas. Historiquement, ce fut le lieu de formation de l’actuel IOGS. Des générations d’élèves y ont été formées aux métiers d’ingénieur dans l’optique. Depuis, les enseignements ont été transférés sur le plateau de Saclay. Pour autant, la vocation d’apprentissage n’a pas totalement disparu : elle se fait simplement d’une autre manière, à travers un projet entrepreneurial. Ici, on a le droit de s’essayer à expérimenter une autre manière de se former aux technologies de l’optique et de la photonique.
David-Olivier Bouchez : Le 503 est un lieu chargé d’histoire. Tout nous le rappelle comme ce panneau en bois qu’on découvre en montant les escaliers depuis le hall d’entrée. On peut y voir que l’école, située à Paris à l’origine, avait été créée par des pontes de l’optique moderne (Charles Fabry), avec des industriels de renom (Saint-Gobain). Tout cela concourt à donner une âme à ce bâtiment. Certes, c’est difficile à verbaliser dans un support de communication, mais je vous prie de croire qu’on la perçoit très bien, au quotidien. Et forcément, cela oblige, y compris les entreprises et autres structures qui y disposent de locaux et qui participent au projet de la FIE.
– Car, effectivement, des entreprises sont présentes sur le site, et cette présence est un autre ingrédient de réussite des apprentissages…
David-Olivier Bouchez : En effet. Nos élèves ont ainsi la possibilité de côtoyer des professionnels et de bénéficier de leurs retours et de leurs conseils. Cela fait partie de l’engagement que prennent les entreprises et structures, qui s’installent ici. Sans compter les start-up créées par des élèves d’anciennes promotions, hébergées ici même, et auprès desquelles nos élèves peuvent trouver des conseils et des opportunités de stages.
– Rappelons une autre vertu de la FIE : rappeler qu’un entrepreneur n’agit pas seul, qu’il travaille avec des associés. Les élèves sont d’ailleurs invités à définir un projet par équipe…
Pierre Mauriac : En effet, nous demandons à ce qu’ils soient au moins trois sachant qu’ils peuvent aller jusqu’à six. Nous les dissuadons de partir seul. L’an dernier, nous avons eu le cas d’un élève, qui n’avait pas toujours trouvé de coéquipier au mois de décembre. Mais en discutant avec lui, nous avons appris qu’il avait une amie qui le soutenait dans son projet.
David-Olivier Bouchez : Elle n’était pas à Sup’Optique, mais, étudiait dans un domaine complémentaire au sien. Nous avons donc accepté. Après tout, ce qui nous importe, c’est que les élèves interagissent avec d’autres, dans une démarche multidisciplinaire. Car l’entrepreneuriat innovant, c’est tout sauf entreprendre seul dans son coin. Il faut savoir se confronter en permanence à d’autres points de vue. Car c’est comme cela qu’on évite de s’entêter dans une voie qui se révèle sans issue.
Pierre Mauriac : Un entrepreneur innovant a besoin des autres, ne serait-ce que parce qu’il ne peut prétendre avoir toutes les compétences. L’esprit d’équipe favorise la cooptation, l’entraide et cela bien au-delà de sa propre équipe. Celles de nos élèves partagent leur expérience, s’échangent conseils et informations, se cooptent les unes les autres.
– Il est 15 h passé, et pourtant vous restez à répondre à mes questions. Or, le Forum 503 est censé avoir débuté…
Pierre Mauriac : Pas d’inquiétude, nos élèves savent ce qu’ils ont à faire !
– Si, donc, vous deviez rappeler l’enjeu de ce forum ?
Pierre Mauriac : Pour les élèves en première année FIE, il est l’occasion de présenter leur projet, à partir d’un poster et éventuellement d’une maquette, à un public extérieur. Jusqu’alors, ils sont allés à la rencontre de personnes susceptibles de vérifier le bien-fondé de leur idée et de leur prodiguer de premiers conseils. Précisons qu’ils ne se sont lancés qu’il y a deux mois. Nous n’en sommes donc encore qu’au début de l’exploration, mais comme vous le verrez, ces projets sont déjà prometteurs. Au total, huit projets sont présentés, dont certains issus de la filière « Arts et Sciences ». A quoi s’ajoutent quatre projets portés par des élèves en 2e année de FIE. Naturellement, ils sont plus aboutis, mais n’en sont pas moins à la merci d’une remise en cause, d’un pivot. Cela étant dit, ce qui motive d’abord ces élèves à participer au Forum 503, c’est aussi de faire profiter de leur expérience à ceux de première année.
Rappelons encore que ces projets sont inter-sites. Le Forum 503 est donc l’occasion pour les élèves d’une même équipe de se revoir en présentiel, sachant qu’ils ont pu faire connaissance lors de l’année commune passée sur le site de Palaiseau, et qui précède les deux années de la FIE.
David-Olivier Bouchez : La semaine prochaine, il s’agira pour eux de présenter leur projet devant un jury, l’enjeu étant de convaincre de des partenaires à les soutenir dans leur démarche, ne serait-ce qu’en les mettant en contact avec des professionnels et des chercheurs.
Post-scriptum : suite au confinement annoncé le soir du 28 octobre, David-Olivier Bouchez précise que le jury a dû être mobilisé autrement : les projets des élèves leur seront présentés via des pages LinkedIn, associées à des images de maquettes et des vidéos des pitchs :
– DextraWare : www.linkedin.com/company/dextraware/
– Eole Sight : www.linkedin.com/company/eolesight/
– Cycle Light : www.linkedin.com/company/fie-light-cycle/
– Green-Izy : www.linkedin.com/company/green-izy/
– Liviae : www.linkedin.com/company/liviae/
– Lumi Pace : www.linkedin.com/company/lumipace/
– Light Rider : www.linkedin.com/company/projetlightrider/
– Woodinetic : www.linkedin.com/company/woodinetic/
A lire aussi les entretiens avec Inès Bréchignac (projet Gain scenography – pour y accéder, cliquer ici) ; Jaime Alonso (projet Ethylowheel – cliquer ici) ; Alice Marceau et Jules Lackner (projet projet Woodinetic – cliquer ici) ; Mathys Thiers et Elric Sivierou (projet Green-Izy – cliquer ici) ; Ambroise Boyer, Vitoria-Maria Carneiro Mathias, Nicolas de Rosa et Zhang Yixuan (Cycle Light – cliquer ici).
Journaliste
En savoir plus