Enfant, il cultivait déjà une passion pour le jardinage, mais, il y a encore quelques années, il ne connaissait encore rien de l’élevage de moutons. Aujourd’hui, Olivier Marcouyoux se définit pourtant comme « jardinier-berger ». Retour sur le parcours atypique de ce tout nouveau Buressois*, qui a fait bien malgré lui le buzz en faisant paître ses bovidés dans le 93 et quelques autres lieux improbables.
Il est des parcours de vie d’abord marqués par les paysages de son enfance, plus que par n’importe quel déterminisme social ou familial. C’est le cas de celui d’Olivier, qui d’emblée évoque ceux de sa Champagne natale. Une région que l’on croit pouvoir associer en bloc à « la France profonde ». A tort. Car Il y a Champagne et Champagne. « Celle, humide, des fonderies et des bois (la Haute-Marne) – qui ont d’ailleurs valu à ses habitants d’être appelés les mange-bois ». Et celle, plus sèche, au point de valoir cette fois à ses habitants d’être dénommés les « mange-cailloux ». Une Champagne aussi plus céréalière et plus urbaine. Deux Champagnes donc, qu’Olivier connaît pour avoir vécu de « 0 à 6 ans », dans la première, jusqu’au bac, en 2000, dans la seconde, suite à une mutation professionnelle de ses parents (tous deux fonctionnaires de l’Education nationale).
De la première, il garde le souvenir vivace de jeux d’enfant autour d’un vieux tronc d’arbre renversé. De la seconde, celle d’une cité, près de Troyes, environnée de champs de céréales, peuplés eux-mêmes de lapins en veux-tu-en-voilà. Mais sans arbres, ou si peu. Un choc. D’autant que le quartier où il réside est rangé parmi les « sensibles ». De ceux où les gens s’enferment chez eux à double tour et où des voitures sont brûlées de temps à autres. « J’étais le seul gamin dont les parents avaient un emploi stable voire un emploi tout court. » Ses parents avaient beau venir d’un milieu modeste, lui se considère comme un privilégié. « En plus d’un logement de fonction au sein du lycée, nous disposions d’une maison de campagne, à 15 km de là. » Assez loin en tout cas, pour être au contact de la nature. « La Seine passait au bout du jardin. » C’était dans les années 90.
Un désir ancien de potager
Aujourd’hui, Olivier vit avec sa compagne, à Bures-sur-Yvette (Essonne), dans une maison qui fleure bon le compromis : construite sur un coteau verdoyant, à quinze minutes à pied d’une station de la ligne du RER B. A l’arrière, un jardin où il entretient un potager, quand il n’est pas occupé à tondre des des terrains en friche ou les pelouses de particuliers, à l’aide de… ses moutons.
Car, en plus d’être jardinier, Olivier est devenu berger au terme d’un parcours qui, pour être cohérent, n’en défie pas moins les lois de l’orientation scolaire, le champ professionnel de son père… « Sans m’avoir contraint à quoi que ce soit, mes parents me voyaient plutôt ingénieur ». C’était sans compter avec le goût pour le jardinage, qui s’exprima très tôt chez lui. « Enfant, j’aimais jardiner et rêvais donc d’un potager. »
Ce à quoi ses parents n’étaient pas prédisposés pour des raisons qu’Olivier conçoit avec indulgence. « Ils faisaient partie de ces générations de Français, qui n’avaient pas eu besoin de travailler la terre pour se nourrir et ne voyaient donc pas l’utilité d’entretenir un potager. » D’autant que ce dernier pouvait apparaître comme un héritage de la ruralité, d’avant la modernité. Ce dont sa propre mère pouvait témoigner à sa façon : « Son père était fondeur, payé à la pièce. A peine rentré du travail, il s’adonnait au jardinage, non pour son seul loisir, mais pour nourrir ses neuf enfants.» Le même : « Vous comprendrez que ma mère m’ait incité à exercer un métier qui me rapporte suffisamment pour me libérer de cette obligation. »
Faire son potager, c’est tendance
Quant à son propre père, il a appris à jardiner dans sa maison de campagne, mais uniquement des fleurs. « Autant faire son potager ne paraissait plus dans l’air du temps, autant faire un jardin d’agrément, était le signe d’une plus grande qualité de vie, même relative. »
Pour autant, ni sa mère ni son père ne contrarieront ses désirs de jardinage. Ils se laisseront même convertir par lui aux charmes du potager. « C’était quand même plus pratique de cueillir les fines herbes dont on avait besoin. Et puis, on a beau dire, les petits pois que ma mère croyait utiles d’acheter en grande surface n’avaient pas la même saveur que ceux qu’on cultivait. » Et le même de constater avec un sourire : « Aujourd’hui, elle est à fond dans la production de proximité – elle est adhérente à un Jardin de Cocagne. »
Il est vrai qu’entre-temps, le contexte est redevenu favorable : « Faire son potager, ce n’est plus has been. C’est même tendance, très développement durable. » Ce n’est pas pour autant à ce titre qu’Olivier s’implique. Chez lui, le jardinage tient un peu de la madeleine de Proust : « Le potager me rappelle l’ambiance de cette campagne où je jouais sur mon tronc d’arbre, sinon la fraîcheur du jardin en bords de Seine… »
Une exploration avortée dans le stylisme…
Quant aux études, le parcours est tout sauf celui d’un long fleuve tranquille. Il passe notamment par deux écoles du paysage, dont il sera tour à tour exclu… En guise d’explication, Olivier hasarde un tempérament hyperactif. « Je n’arrivais pas à tenir en place. J’étais plus dans le faire que dans la théorie, encore moins intéressé aux rivalités entre paysagistes et urbanistes dont ces écoles pouvaient être le théâtre. »
Tout s’annonçait pourtant pour le mieux avec l’obtention d’un bac S. Naturellement, son père s’était enquis de savoir ce qu’il voudrait faire après. Une école de jardinage ? Non, ce sera… une mise à niveau en arts appliqués en vue de faire ensuite un BTS en stylisme.
Devant notre étonnement, Olivier expose une explication qui doit beaucoup à une caractéristique de la ville de Troyes : « C’est la capitale des magasins de déstockage de marques textiles. Tant et si bien qu’au lycée, les jeunes avaient l’habitude de comparer leurs vêtements. Si vous n’en aviez pas de marques, vous passiez pour un moins que rien. » Seulement, ado, Olivier était déjà longiligne. « Je trouvais difficilement de pantalons à ma taille. » Un jour, il entreprend d’en rapiécier un, en utilisant un vieux morceau de rideau et la machine à coudre de sa tante. Epatée par la performance du neveu, celle-ci lui achète du vrai tissu pour confectionner ses habits. C’est ainsi que naquit une vocation de styliste… Une vocation de courte durée. « Ce n’est qu’une fois en année de mise à niveau que je pris conscience de ce en quoi consistait ce métier, à savoir : dessiner des vêtements, mais pour les autres ! » lâche-t-il dans un autre éclat de rire.
Plasticien environnement architectural ?
L’épisode n’en reste pas moins attaché à un bon souvenir. « L’école se trouvait dans une ville de la Haute-Marne de mon enfance. » Il y dispose d’une chambre d’étudiant qu’il remplit de pots de fleurs. « Et puis, parmi mes professeurs, une s’était rendu compte que je visualisais bien les choses dans l’espace. » Elle : « Vous devriez faire de l’architecture d’intérieur ». Lui : « Moi, je préfère les plantes ! » Qu’à cela ne tienne, elle l’envoie à Paris pour faire un BTS de « plasticien d’environnement architectural. » Nous sommes en 2002. Nouvelle désillusion. « Je passais mon temps à dessiner du mobilier urbain. » On devine la suite.
Son père ne désespère pas de l’éclairer dans ses choix d’orientation. Il identifie une école d’ingénieur paysagiste, à Blois, avec prépa intégrée. Sans renoncer à son nouveau BTS, Olivier passe le concours. « Manque de bol, j’arrive premier…». Une formule inattendue, mais qui prend tout son sens a posteriori. « Au prétexte que j’étais arrivé premier, les enseignants me considéraient comme le petit génie de la promo. J’eus beau leur expliquer que j’étais là pour apprendre la botanique et le jardinage, ils me poussaient à “ aller au bout de mes intentions de paysagiste “.»
Résultat : Il n’y reste qu’un an et demi, en 2003-2004, une année de redoublement comprise. Une expérience dont il garde une vision critique du paysagisme : « Le paysagiste est censé avoir des “ intentions ” et de les traduire dans un projet urbain. On le dissuade de répondre aux sollicitations des particuliers au prétexte qu’elles participeraient d’un écologisme mal compris, qui le détournerait des enjeux de l’urbanisme. » Bref, Olivier a le sentiment de se retrouver aux centres de querelles qui le dépassent. « Les paysagistes étaient avant tout préoccupés de se repositionner contre les urbanistes qu’ils jugeaient trop hégémoniques dans le champ de l’aménagement urbain. Or, moi, je voulais juste comprendre comment les plantes poussent. Je venais avec mes simples désirs de jardinage et d’agriculture urbaine. » Quant à savoir ce que doit être un aménagement paysager… « Les gens veulent aménager leur jardin ? Et bien, aménageons-le, en tâchant de leur faire plaisir. Mes “ intentions ” importent peu. Après tout, c’est leur jardin. »
Souvenirs de Blois et de Chaumont-sur-Loire
De Blois, il repart donc, avec, somme toute, de bons souvenirs. De la ville d’abord : « Elle est traversée par la Loire et fait une vraie place à la nature. Depuis la terrasse d’un café, on pouvait voir des cormorans ! » Et puis, à quelques encablures de-là, se trouve Chaumont-sur-Loire, réputé pour son Festival international des jardins, conçus par des équipes pluridisciplinaires. Avant de quitter le Loir-et-Cher, Olivier y effectue un stage. « C’est là que j’ai vraiment découvert le métier de jardinier. » Et le même de ne pas tarir d’éloge à l’égard de « Monsieur » Gérard Dosba, le chef des jardiniers du lieu. « Un magicien du fleurissement, qui manie sans pareil les floraisons. Il connaît sur le bout des doigts les plantes d’agrément à fleurs de massif. » S’ils n’ont guère eu l’occasion de se revoir depuis, en revanche, ils se donnent de leurs nouvelles par l’intermédiaire de connaissances communes, de passage à Chaumont-sur-Loire.
A l’issue de l’épisode de Blois, Olivier se retrouve cependant sans diplôme. A toute fins utiles, il entreprend de finir son BTS au lycée Descartes de Cournon d’Auvergne, près de Clermont-Ferrand. « Le seul qui acceptait de prendre directement en 2e année… »
Son diplôme en poche, il prolonge son séjour en Auvergne. « Une région riche en terres agricoles, dont une majeure partie à l’état de friche, au point de faire revenir les renards ! ». En consultant les petites annonces, il dégotte un bout de terrain à cultiver, en bord de rivière. « Une merveille ! D’origine volcanique, la terre y était particulièrement fertile. » On lui prête également des terrains avec d’anciens pieds de vigne et un verger d’abricotiers. Outre de petits boulots, il vit en vendant son surplus au marché libre de la ville, le dernier de France et même d’Europe où les particuliers peuvent vendre leur production. « Un héritage du grand employeur local, Michelin, qui avait trouvé là le moyen de permettre à ses ouvriers d’arrondir leurs fins de mois. » Le séjour clermontois est l’occasion d’une autre découverte, celle du monde ancien du pâturage. « Le département du Puy-de-Dôme encourageait le retour d’éleveurs sur les volcans de Volvic, plus à des fins touristiques, précise-t-il, que pour relancer la filière. »
* Habitant de Bures-sur-Yvette
Pour accéder à la suite de la rencontre avec Olivier Marcouyoux, cliquer ici.
Tous nos remerciements à Sophie de Paillette qui a mis à notre disposition les photos illustrant la première partie du portrait. Elles ont été prises à l’occasion du colloque sur « Les Nourritures jardinières dans les sociétés urbanisées », organisé du 6 au 13 août 2014 au Centre culturel international de Cerisy, auquel avait participé Olivier Marcouyoux (pour accéder au compte rendu que nous en avions fait, cliquer ici).
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