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« Pourquoi nous croyons dans le cluster Paris-Saclay » (suite).

Le 11 juillet 2014

Suite de la rencontre avec Bruno Leprince-Ringuet à travers l’entretien qu’il nous a accordé. Il explique pourquoi le groupe Air Liquide, parmi les plus anciens acteurs du cluster de Paris-Saclay a décidé de continuer à y investir, et les synergies avec plusieurs des établissements d’enseignement supérieur et organismes de recherche présents sur le Plateau de Saclay.

Pour accéder à la première partie de la rencontre avec Bruno Leprince-Ringuet, cliquer ici.

– Pour commencer, pouvez-vous nous préciser la contribution de ce centre à la R&D du groupe Air Liquide ?

Le Centre R&D Paris-Saclay répond aux besoins de pratiquement l’ensemble des activités du groupe, lesquelles recouvrent un très large spectre. Une des caractéristiques de notre métier est en effet d’être présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur de nombreux clients, du petit artisan à l’industriel, en passant par les PME. Et ce, dans de nombreux secteurs : l’automobile (des gaz entrent dans les procédés de fabrication de nombreux composants, aussi bien les pneus que les tableaux de bord, les vitres, etc.), l’agro-alimentaire, l’électronique, les matériaux, la chimie, la pharmacie… Nous répondons aussi aux exigences de grands complexes industriels (pétrochimiques, sidérurgiques…), qui utilisent des gaz (oxygène, hydrogène…) en grande quantité. C’est dire si nous contribuons à l’activité économique et au quotidien des gens, en France et partout dans le monde !

– En quoi consistent les recherches menées ici ?

Elles visent à créer de la valeur en améliorant les procédés de fabrication des gaz, de façon à les rendre plus vertueux et plus économes en énergie et à développer de nouveaux marchés pour nos gaz. Nous travaillons aussi à des solutions durables comme le captage du CO2, un enjeu dont le dernier rapport du GIEC vient de souligner le caractère majeur. Pour l’heure, plusieurs démonstrateurs industriels ont fait la preuve de notre capacité à capter le CO2 à partir de n’importe quel procédé industriel. En France : à Lacq et prochainement sur la raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon, en partenariat avec Total ; et à l’étranger, en aval d’une centrale à charbon, comme en Australie, par exemple.

Notre centre de R&D concentre également notre recherche mondiale sur le solaire. Il participe au développement du panneau solaire de nouvelle génération en lien avec l’Institut Photovoltaïque d’Ile-de-France (IPVF) dont il est un des membres fondateurs. Il est engagé dans la recherche autour de l’hydrogène, en travaillant en particulier à développer les nouveaux réservoirs des voitures qui rouleront demain avec ce carburant. Il est également présent dans les soins à domicile, à travers des recherches sur les gaz thérapeutiques, en mettant à profit les perspectives offertes par l’internet des objets. Nous avons d’ores et déjà créé un dispositif médical pour les patients souffrant de l’apnée du sommeil, qui permet de s’assurer à distance qu’ils aient bien pris le traitement prescrit.

Nous travaillons ici sur bien d’autres problématiques : l’échange de chaleur, les capteurs innovants, les nouveaux matériaux,… C’est dire si notre centre de R&D concourt à dessiner l’économie de demain, ici-même, à Paris-Saclay.

– En quoi l’innovation fait-elle sens dans votre domaine d’activité ?

Air Liquide a été créé voici plus d’un siècle, en 1902, par un scientifique, Georges Claude, et un financier, Claude Delorme, dans l’esprit d’une start-up. De là sans doute cette culture de l’innovation que le groupe a toujours tenu à cultiver, aujourd’hui plus que jamais. Nous nous différencions par nos savoir-faire technologiques et notre capacité à les produire à moindre coût et les mettre en œuvre chez nos clients, en nous adaptant à leurs procédés et en proposant aussi de nouveaux produits.

– On cite souvent le CEA, l’X, Paris-Sud, HEC, Supélec, parmi les acteurs historiques du Plateau de Saclay… Or Air Liquide y est présent aussi de longue date…

Air Liquide est en effet présent sur ce site depuis 1970. C’est dire combien nos dirigeants ont été des visionnaires, sauf à considérer qu’ils ont eu beaucoup de chance ! Nous figurons donc parmi les premiers acteurs sur le Plateau de Saclay au même titre que les établissements de recherche ou d’enseignement supérieur, que vous avez cités. Nous sommes de sucroît quasiment au cœur géographique de ce territoire. Cependant, force est de constater que, jusqu’à récemment, très peu de relations avaient été nouées entre ces différents acteurs. Nous étions loin des principes d’une innovation ouverte. D’ailleurs, l’aménagement de notre propre site le dit bien à sa façon : nos équipes sont éclatées entre une quinzaine de laboratoires et autant de bâtiments, ce qui ne favorise guère la communication. Je peux en témoigner pour y avoir travaillé dans les années 80. Nous ne communiquions pas beaucoup d’une équipe de recherche à l’autre. Non par manque de bonne volonté. Mais parce que nous étions dans une vision cloisonnée de la recherche, et sans doute aussi imprégnés de cette culture de la confidentialité. Une autre époque, au demeurant passionnante. Depuis le contexte a changé avec la nécessité d’une innovation plus ouverte et collaborative.

– Quelle implication cette innovation a-t-elle sur le plan architectural ? 

L’innovation ouverte oblige à repenser l’organisation de la recherche et jusqu’à la conception du site. C’est d’ailleurs pourquoi la décision a été prise de refondre totalement celui-ci. Hormis les halls d’essais, les bâtiments construits au tout début des années 70 seront rasés au profit d’un seul et même bâtiment, qui regroupera 350 collaborateurs et 46 laboratoires. Notre intention est de développer l’innovation ouverte, avec des académiques et des laboratoires d’école, connectés à nos métiers, que des PME, des spin-off et des start-up, qui auraient un intérêt pour nous. Nous accueillons déjà sur notre site PS2E, Institut de Transition Energétique créé, comme l’IPVF, dans le cadre du programme d’investissement d’avenir.

– « Innovation ouverte » dites-vous. Or, il m’a fallu laisser ma carte d’identité à l’accueil… On conçoit la nécessité d’une certaine confidentialité, mais comment parvenir à un juste équilibre entre celle-ci et l’innovation ouverte, qui, comme son nom l’indique, suppose un minimum d’ouverture…

C’est une vraie question. En tant qu’établissement d’intérêt stratégique, nous avons, comme le CEA, des obligations de sûreté. L’accès à certains lieux devra être encore sécurisé, mais au moins des zones d’accès libre seront-elles aménagées, précisément pour favoriser les rencontres avec l’extérieur.

– Aviez-vous procédé à un benchmarking avant de vous décider à rester sur ce cluster ?

Oui. Nous avons réalisé une étude très approfondie sur les clusters d’innovation de classe mondiale en nous appuyant sur celle menée deux ans auparavant par le cabinet Deloitte. Cette étude nous a confortés dans l’idée d’engager des investissements à Paris-Saclay. Il est clair que si nous n’étions pas convaincus que ce territoire deviendrait un des dix clusters d’excellence mondiaux, nous n’aurions pas réinvesti ici.
Preuve de notre engagement, notre Centre R&D Claude-Delorme a été débaptisé pour s’appeler désormais Centre de Recherche Paris-Saclay. Je pense que la marque Paris-Saclay fait sens et doit donc être valorisée par les différents acteurs du Plateau.
Beaucoup reste à faire, mais le projet est en passe de réussir. Je le vois aussi bien du côté des industriels que du côté des académiques. Il y a un état d’esprit différent de ce qu’il était il y a dix-quinze ans. Tout le monde pousse dans le même sens. Y compris les PME qui contribuent aussi à l’écosystème. Nous nous efforçons d’identifier parmi nos fournisseurs ceux qui ont une offre différenciée et de les accompagner dans leur développement, car il en va aussi de notre intérêt. Nous devons travailler avec des entreprises aussi solides que possibles.

– Qu’en est-il des start-up ?

De plus en plus de start-up voient le jour ici. Paris-Saclay ne manque pas d’innovateurs et d’entrepreneurs. La plupart des grandes écoles installées ici ou appelées à rejoindre le Plateau ont désormais un incubateur. Un grand groupe comme Air Liquide se doit d’accompagner ce mouvement, en aidant des start-up à devenir de vraies PME. Nous comptons d’ailleurs en accueillir, ici. L’environnement est favorable. Les Loges-en-Josas où nous nous trouvons est un écrin de verdure, situé au cœur géographique du territoire de Paris-Saclay.

– Un territoire somme toute confronté à des problématiques de transport…

En effet, et c’est une préoccupation ancienne que nous partageons avec tous les acteurs du Plateau de Saclay. Beaucoup de collaborateurs viennent de Paris. En tant qu’acteur du territoire, nous estimons devoir prendre l’initiative, sans attendre la concrétisation des investissements engagés par ailleurs par l’Etat, notamment dans la construction de la future ligne de métro. Nous avons donc mis en place il y a deux ans une navette régulière entre la gare et le site, fonctionnant les matins, de 8 h à 9 h 30, et l’après midi, de 16 h à 19 h. Cette solution est très appréciée de nos collaborateurs. Notre intention est de nous rapprocher des autres acteurs afin de mutualiser les solutions. L’an passé, nous avons signé un plan Inter-entreprise avec la ville de Versailles, pour la zone Les Loges-Buc-Toussus-le-Noble. Il assurera une meilleure couverture dans la journée. La situation s’est bien améliorée depuis 1982, lors de ma première arrivée sur le site.

– En quoi la dynamique du cluster a-t-elle changé la donne en matière de partenariats ?

Le cluster de Paris-Saclay offre l’opportunité de travailler différemment, en réseau et en se connaissant mieux les uns les autres. Aussi étrange que cela puisse vous paraître, c’est le changement le plus notable que je mettrais en avant. Il y a trente ans, les acteurs économiques et académiques se fréquentaient peu. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En moins de deux ans, depuis mon retour ici, j’ai pu nouer contact avec la plupart des dirigeants des établissements d’enseignement supérieur (l’X, Centrale, l’Ensta, HEC, l’université Paris-Sud) et de recherche (CEA, CNRS…). Nous nous rencontrons régulièrement autour de plusieurs partenariats que nous avons d’ores et déjà pu mettre en place, notamment à travers plusieurs chaires. Entre autres exemples, je citerai la chaire d’oxy-combustion, créée avec un laboratoire de Centrale ; la chaire de management de l’innovation, créée, elle, avec Polytechnique et HEC et d’autres industriels.
Par ailleurs, Air Liquide est membre fondateur et partenaire de deux instituts de recherche et de formation innovants que j’ai évoqués : l’IPVF, l’Institut Photovoltaïque d’île-de-France, et Paris Saclay Efficacité Energétique (PS2E). Comme je vous l’ai dit, cet institut, que nous accueillons déjà sur note site, consacre ses recherches à l’amélioration de l’efficacité énergétique des installations industrielles couplées aux zones urbaines. Il développe un modèle énergétique innovant intégrant des solutions technologiques nouvelles plus sobres en énergie et en émissions de CO2. Nous lui ferons bénéficier de l’expertise de nos équipes de recherche en matière d’optimisation des procédés industriels, de stockage de l’énergie et ses compétences en modélisation.

Quant à l’IPVF, je précise qu’il a vocation à être l’un plus grands centres de recherche mondiaux sur les dispositifs solaires photovoltaïques de nouvelle génération. En plus de notre expertise dans les gaz spéciaux et les molécules avancées pour les cellules photovoltaïques de nouvelle génération, nous mettrons à disposition de ses chercheurs, notre ligne R&D de fabrication. Autant de partenariats qui n’auraient pas vu voir le jour sans les échanges réguliers entre les acteurs du territoire. Personnellement, je passe au minimum trois jours par semaine sur le Plateau de Saclay. C’est indispensable pour tisser des liens de proximité.

– Le territoire de Paris-Saclay n’est-il pas cependant trop étendu pour favoriser ces partenariats, cette connaissance mutuelle entre les acteurs ?

Je pense au contraire que le périmètre de l’OIN est à la bonne échelle. En témoigne, entre autres illustrations, la réussite de cette journée que nous nous avons organisée en avril dernier, à l’X, en vue de réunir les chercheurs appelés à rejoindre l’IPVF, dans un laboratoire unique. Tous, soit près de 120 personnes, avaient répondu présent, sans difficulté.

– Que dites-vous à ceux qui objectent que la concentration inhérente à la logique de cluster va à l’encontre des possibilités offertes par les réseaux, les communications à distance ?

L’enjeu n’est pas de limiter la dynamique à l’échelle de Paris-Saclay, encore moins de promouvoir une recherche franco-française. Nos centres de R&D se doivent d’être situés à proximité des clusters d’excellence et de dimension mondiale, tout en travaillant ensemble, en réseau. En Europe, nous disposons d’un autre centre R&D, à Francfort. C’est important d’y être, car l’Allemagne est un acteur majeur dans certains domaines comme celui par exemple de la production de biocarburants à partir de biomasse, à travers notamment le Karlsruhe Institute of Technology, avec lequel nous travaillons.

Notre centre R&D de Francfort est bien évidemment connecté à celui de Paris-Saclay. Nos chercheurs, qu’ils soient français ou  allemands travaillent sur des problématiques énergétiques communes. Preuve s’il en est besoin qu’un cluster pour être ancré sur un territoire comme Paris-Saclay n’en est pas moins ouvert. Et cette ouverture ne se limite pas à l’Europe. La compétition dans laquelle nous sommes engagés est mondiale. Notre groupe est donc international et s’appuie sur les écosystèmes parmi les plus avancés. Notre R&D est aussi implantée aux Etats-Unis, au Japon (à Tsukuba, près de Kyoto, car c’est un haut lieu de l’innovation en électronique), en Corée et en Chine.

Les chercheurs de notre centre de Paris-Saclay sont ainsi amenés à travailler avec leurs homologues des autres centres de R&D. A titre d’exemple, l’équipe dédiée au génie des procédés est répartie entre Paris-Saclay, Francfort et les Etats-Unis. Celle dédiée au photovoltaïque travaille avec l’équipe du Japon.

– Si vous deviez formuler un vœu concernant le territoire de Paris-Saclay, quel serait-il ?

Ce territoire est déjà riche d’un écosystème particulièrement favorable à l’innovation. Il n’en reste pas moins encore un territoire en devenir : il gagnerait à se doter de lieux facilitant les rencontres entre les différents acteurs : chercheurs, entrepreneurs…. C’est pourquoi nous sommes attentifs à l’émergence de lieux comme le PROTO204, les FabLab et autres learning centers. Nous comptons pendre notre part dans ces initiatives. Personnellement, je participe à l’association lle de Science, présidée par Laure Reinhart, directrice de l’innovation de BPI France (j’en suis même le vice-président tandis qu’Alain Bravo ancien patron de Supélec, en est le trésorier), qui a vocation à, justement, rapprocher académiques et industriels.

Pour en savoir plus sur la R&D du Groupe Air Liquide, cliquer ici.

Crédit photo : Air Liquide/Jean-Erick Pasquier/La Company

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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