Suite et fin de nos échos à la journée de workshop de la DeepTech Alliance Paris-Saclay, avec le témoignage d'Eduardo Bonnefemne, pharmacien entrepreneur, par ailleurs chargé de recherche innovation au sein du Digital Medical Hub.
– Si vous deviez, pour commencer, pitcher votre structure…
Le « Digital Medical Hub » (DMH) est une plateforme d’open-innovation constituée à partir d’une spin-off de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP), qui a vocation à accompagner et faire émerger des solutions de santé numérique qui répondent au mieux aux besoins des professionnels de santé et des patients. Elle mobilise pour cela un consortium interdisciplinaire – notamment des cliniciens, des scientifiques des secteurs privé, institutionnel et public – autour de deux domaines d’expertise majeurs : ce qu’on appelle « l’évaluation clinique » des solutions numériques, d’une part, et la stratégie d’accès au marché de ces solutions, d’autre part. Car, faut-il le rappeler, pour être commercialisées, ces solutions doivent se soumettre à des contraintes réglementaires d’autant plus strictes qu’elles touchent à notre santé.
– Quel y est votre rôle ?
En tant que chargé de recherche et innovation au DMH, j’accompagne des entrepreneurs ayant des projets innovants. Par ailleurs, je suis en train de construire la première communauté d’innovation en e-santé à destination des professionnels de santé autour d’un tiers-lieu, dans le cadre du projet « @Hôtel Dieu ». Situé au sein même de l’hôpital du même nom, à proximité de Notre Dame, il s’articulera au projet PariSanté Campus, futur centre de recherche et d’innovation international en santé numérique, qui, lui, sera situé dans l’ex-Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce. Ces deux projets ont fait l’objet d’une annonce par notre ministre de la santé, Monsieur Olivier Véran, le 18 octobre dernier, à Station F, dans le cadre de la stratégie d’accélération du numérique en santé lancée ce même jour.
– Entre le numérique et la santé, vous abordez donc des domaines sensibles qui suscitent des interrogations pour ne pas dire des inquiétudes : jusqu’où poussez-vous l’interdisciplinarité pour y répondre ? Mobilisez-vous des chercheurs en sciences humaines et sociales ?
L’Hôtel Dieu abrite une chaire de philosophie en santé ainsi qu’une chaire d’économie de la santé nommée « Hospinnomics », qui se saisissent précisément des enjeux sociétaux de la santé numérique. Nous-mêmes, dans notre accompagnement, nous veillons à intégrer une vision éthique des solutions : à défaut de chercheurs, nous nous entourons de professionnels et de représentants d’institutions directement concernés par les produits proposés par nos industriels.
Au moins deux sujets majeurs sont au cœur de nos préoccupations et l’objet de recherches. D’une part, celui de l’évaluation de la charge mentale que les outils de santé numérique risque d’engendrer, et qu’ils engendrent d’ailleurs déjà auprès des soignants comme des patients et dont la littérature scientifique montre qu’elle contribue de manière significative au burnout de ces derniers. On y réfléchit dans le cadre d’un groupe de travail interdisciplinaire, réunissant des neuroscientifiques, des ergonomes, des designers, des entrepreneurs, mais aussi des représentants du personnel soignant, des patients et d’autres usagers des solutions numériques.
D’autre part, le coût de ces solutions dont le modèle économique reste encore à définir. Dans une perspective de responsabilité sociétale, nous cherchons à inscrire ces solutions dans le modèle d’une économie circulaire, de façon à en réduire non seulement le coût mais aussi l’impact environnemental.
Dans un cas comme dans l’autre, l’apport des sciences humaines et sociales est bien évidemment utile. Car, pour l’heure, force est de constater un manque de référentiels à même d’orienter les start-up et les industriels engagés dans l’élaboration de solutions numériques. De ce fait, nous avons décidé de prendre ces sujets en charge et de les explorer.
– Qu’est-ce qui vous a motivé à faire le déplacement jusque sur le plateau de Saclay pour participer à la journée de workshops, organisée à l’occasion du lancement de la DeepTech Paris-Saclay ?
Il se trouve que j’ai suivi une partie de mes études de pharmacien à Châtenay-Malabry, sur le campus de l’Université Paris-Sud, devenue depuis l’Université Paris-Saclay. Naturellement, je me suis intéressé au projet de l’écosystème en cours de construction sur le plateau de Saclay, en m’attachant à voir quels liens pouvaient être établis avec ce que nous entreprenons dans l’hyper-centre parisien. Participer à cette journée permettait d’identifier des partenaires potentiels. Une autre chose m’a motivé à venir : le parti pris de l’intelligence collective. A l’issue de la journée, je constate que celle-ci a bien été à l’œuvre, avec beaucoup de bienveillance de la part des participants, chacun jouant collectif, sans chercher à se mettre en avant.
– Précisons que la journée se déroulait dans le bâtiment flambant neuf du Playground, dans le quartier de Polytechnique encore en chantier. Quelles ont été vos impressions sur cet environnement ?
Effectivement, le quartier est encore en chantier. On n’y perçoit pas encore cette « atmosphère entrepreneuriale », qui témoigne du dynamisme d’un écosystème d’innovation. Un constat manifestement partagé par d’autres participants. D’autant que cet écosystème s’organise en différents pôles sans réelle interface entre les différents acteurs de la recherche et de l’innovation. Mais précisément, c’est à force d’intelligence collective, celle mise en avant par la DeepTech Alliance Paris-Saclay au cours de cette journée, que les choses finiront par bouger.
Je crois aussi à la nécessité de renforcer la mutualisation des lieux d’enseignement. Car l’interdisciplinarité ne se décrète pas ni ne se décide a posteriori. Si on veut renforcer l’innovation collaborative, ouverte, nous devrions y préparer les esprits le plus tôt possible. Elle devrait donc être au cœur des formations initiales à travers des lieux de rencontre entre étudiants, mais aussi entrepreneurs, chercheurs, ingénieurs, investisseurs…
Je ne doute pas que l’écosystème progresse dans ce sens, mais pour l’heure, les évolutions ne sont pas forcément perceptibles de l’extérieur, quand on ne vit pas le territoire au quotidien.
– A contrario, quand on le vit au quotidien, force est de constater l’existence d’une vraie communauté, d’hommes et de femmes, qui ont plaisir à se retrouver sur un même lieu, le temps d’un événement. Partagez-vous d’ailleurs mon sentiment que cette journée de workshops a confirmé l’importance des interactions en présentiel : non seulement, elle a été productive, mais encore elle a témoigné du plaisir des participants à pouvoir échanger en direct. Même si le distanciel est entré dans les mœurs, le présentiel est loin d’avoir dit son dernier mot…
C’est vrai ! Dans le domaine qui est le mien – la santé numérique -, je constate que pour faire sortir un clinicien, un professionnel de la santé de son hôpital, il faut lui donner envie. Maintenant, quand on observe les innovations qui ont réussi dans notre écosystème de la santé, elles n’ont pu voir le jour que parce que des gens se sont rencontrés, ont pu se lancer dans une dynamique d’innovation. Le défi pour tous les écosystèmes, c’est précisément de faire en sorte que les parties prenantes puissent se rencontrer et écrire ensemble le début d’un récit, en gardant à l’esprit les enjeux humains que l’innovation peut recouvrir. Cela étant dit, force est de reconnaître que le distanciel s’est aussi imposé comme une alternative qui peut permettre de régler des problèmes posés par le présentiel (comme le temps de transport). Pour autant, il ne s’agit pas d’opposer les deux, mais de trouver le juste milieu entre le physique et le digital, étant entendu qu’en matière d’innovation, l’interaction en coprésence reste irremplaçable.
A lire aussi les entretiens avec Philippe Moreau, le directeur d’IncubAlliance (pour y accéder ici, cliquer ici) et Jean-Claude Morel (cliquer ici).
Journaliste
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