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Agriculture & Alimentation

Pour une recherche en mode collaboratif.

Le 24 juillet 2018

Suite de nos échos à la journée de préfiguration du Living Lab, coordonnée par Terre et Cité*, le 10 juillet 2018, au Centre INRA de Versailles, à travers, cette fois, le témoignage Marianne Cerf, cette directrice de recherche de l’INRA.

– Qu’est-ce qui vous a motivée à participer à cette journée ?

Je suis directrice de recherche à l’Inra, par ailleurs animatrice de l’Initiative For Design in Agrifood Systems, un réseau d’unités de recherche au sein de l’Université Paris-Saclay. Créé en 2015 à l’initiative de l’Inra et d’AgroParisTech, il a pour but de concevoir et développer des solutions innovantes au service de la durabilité dans les systèmes alimentaires et ce, dans le cadre de l’écosystème de Paris-Saclay. De là ma présence à cette journée dont les problématiques relatives au Living Lab recoupent bien évidemment les nôtres.

– Dans quelle mesure cette notion de Living Lab fait-elle sens pour vous ? Si, d’ailleurs, vous deviez la caractériser, comment vous y prendriez-vous ?

Pour moi, un Living Lab, c’est d’abord une démarche d’innovation collaborative, consistant principalement à faire travailler ensemble les acteurs d’un territoire, de façon à valoriser leur créativité, inventivité et savoir-faire, l’enjeu étant aussi de répondre de manière concrète et innovante à leurs attentes et demandes. Ce qui suppose de bien appréhender le contexte. Les chercheurs y ont naturellement toute leur place, mais pour accompagner les acteurs, en s’enrichissant de leur expertise tout en valorisant leurs propres travaux de recherche. Une telle démarche convient d’autant plus à la chercheuse que je suis, que mes travaux de recherche s’inscrivent dans l’ergonomie de conception et la manière d’intégrer les acteurs dans les processus de conception de solutions innovantes.

– On devine, donc, effectivement votre intérêt pour une démarche de Living Lab. Néanmoins, dans quelle mesure ne questionne-t-elle pas la pratique et le rôle du chercheur ?

Effectivement, un Living Lab questionne immanquablement les pratiques classiques de la recherche, académique s’entend, dans la mesure où il amène le chercheur à travailler avec d’autres personnes, porteuses de savoirs et connaissances produits selon d’autres modalités pour ne pas dire protocoles. Une situation au demeurant pas si étrangère au chercheur, amené à interagir avec une diversité d’interlocuteurs. Toujours est-il que le Living Lab oblige à un travail de traduction, en l’occurrence de ces savoirs et connaissances, sinon des questionnements des acteurs du territoire, pour qu’ils puissent être exploités scientifiquement. Cela suppose aussi que le chercheur accepte de travailler sur des données empiriques, moins « pures » que celles sur lesquelles il a l’habitude de travailler ou encore sur des problématiques qui, de prime abord, ne paraissent pas avoir un enjeu pour la recherche, mais qui n’en sont pas moins susceptibles de déboucher sur des résultats intéressants y compris pour des projets scientifiques novateurs. Ce dont je peux témoigner à la lumière de ma propre expérience : chaque fois que je pars du terrain, je me retrouve confrontée à des questionnements stimulants, que je n’aurais pas formulés si, justement, je ne m’étais pas confrontée à des acteurs et à leur expérience du terrain.

– Qu’est-ce qu’un Living Lab implique encore au regard du positionnement du chercheur par rapport à la dynamique d’innovation ?

Dans un domaine comme le nôtre, celui de l’agro-écologie et des systèmes alimentaires durables, on ne compte plus les innovations qui viennent des acteurs eux-mêmes. Le propos n’est donc pas pour les chercheurs d’impulser la dynamique d’innovation, mais plutôt d’amplifier en la matière les capacités de ces derniers. C’est en tout cas ce qui m’intéresse dans le cadre de l’initiative que j’évoquais.

– Depuis le début de cet entretien, vous parlez d’ « acteurs ». Mais de qui s’agit-il exactement ?

Ce sont bien évidemment les agriculteurs et maraîchers, mais aussi les communautés d’agglomération, des associations environnementales, ou encore des entreprises, notamment de la restauration (je pense à Sodexo dont des représentants participaient aux ateliers de ce jour) ou même de la grande distribution. Sans oublier les usagers, ceux qui vivent le territoire au quotidien sans y résider nécessairement.

– Des acteurs qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble…

Oui, et c’est bien le défi du Living Lab que de parvenir à les faire travailler ensemble dans des processus d’innovation territorialisés au service du développement durable – si j’ai bien compris l’enjeu de cette journée. Pour cela, il convient de privilégier une démarche de projet sur une démarche de concertation, qui trop souvent se borne à mettre autour de la table des représentants des divers acteurs, en vue de produire du consensus, mais sans réelles retombées en termes d’innovation. Au contraire, une fois que vous êtes engagé dans une démarche de projet, vous êtes plus disposé à chercher, avec d’autres, des réponses adaptées aux problématiques qui se posent sur le territoire. S’engage alors un processus d’apprentissage collectif de la conception de solutions innovantes.

– Ce que vous dites me remet en mémoire l’idée d’une « alliance inédite » entre des acteurs qui se regardaient traditionnellement « en chiens de faïence ». Idée que l’on doit à Jean-Guy Henckel fondateur du Réseau Cocagne, un acteur s’il en est de Paris-Saclay dans le domaine du maraîchage et de l’alimentation…

Je souscris bien sûr à cette idée. Reste la question de savoir comment on s’y prend pour y parvenir. Cela suppose des méthodes originales, permettant de réunir des acteurs pour autre chose que des échanges et une confrontation de points de vue, mais bien pour créer ensemble, dans une démarche collaborative, des « inconnus désirables », comme le disent les collègues de Mines ParisTech, qui proposent une théorie de la conception innovante. A priori, cela exige de prendre du temps, de ne pas chercher à mettre d’emblée tout le monde autour de la table.

– Au fond, à l’image de ces journées que Terre et Cité coordonne à intervalles réguliers, en associant une diversité d’acteurs – élus, agriculteurs, chercheurs, startuppers, etc.

Oui, en effet, et qui permettent ainsi fil du temps de créer le sentiment de participer à une même communauté, propice à de vrais échanges, sans jeux de posture…

– Que dites-vous alors à ces chercheurs, qui considèrent que leur vocation est de produire des connaissances aussi universelles que possibles, à partir de protocoles de recherche scientifique, et non en réponse immédiate aux besoins d’un territoire en particulier et encore moins pour satisfaire les attentes de ses seuls acteurs ou usagers…

Pour ma part, j’appartiens, au sein de l’Inra, à un département dédié aux « Sciences pour l’action et le développement », qui, historiquement, a toujours travaillé de manière pluridisciplinaire, à partir des questionnements tels qu’ils émergent des territoires. C’est dire si je me retrouve pleinement dans une démarche de type Living Lab. Certes, un chercheur se doit de monter en généricité, mais justement à partir de la singularité. C’est facile à dire, plus difficile à faire, parce que nous autres chercheurs n’y sommes pas nécessairement formés. Le travail scientifique, à la fois solitaire et collaboratif, y incline cependant.

– Dans quelle mesure l’écosystème de Paris-Saclay est-il un terrain de jeu favorable à un Living Lab ?

L’avenir le dira. A priori, il est riche de nombreuses potentialités. Reste une diversité d’acteurs qui n’ont pas encore l’habitude de travailler ensemble. Des chercheurs, pour m’en tenir à eux, sont encore attachés à un modèle de la science plus fondamentale qu’appliquée, menée en laboratoire, avec d’autres scientifiques. Modèle qui a bien évidemment toute sa légitimité, mais qui ne devrait pas empêcher une démarche de recherche plus appliquée et innovante, au service d’un territoire et en mode collaboratif avec ses divers acteurs. Et parmi ceux et celles présents aujourd’hui, il y a bien une volonté d’articuler cette exigence avec celle de produire des connaissances scientifiques originales.

* Avec le concours de plusieurs partenaires : APPVPA, Versailles Grand Parc, Saint-Quentin-en-Yvelines, Communauté Paris-Saclay, l’Inra, AgroPAris-Tech et le Labex BASC.

A lire aussi le compte rendu de la journée (pour y accéder, cliquer ici) et les entretiens avec Claire Martinet, chargée de mission « agriculture locale et circuits courts » au sein de Saint-Quentin-en-Yvelines (cliquer ici) et Pierre Plevin, ancien de l’ESTACA, président et cofondateur de Selfeden, une start-up qui développe des solutions IoT pour mesurer et piloter tout type d’environnement de culture (cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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