Pour un « triangle d’or » de la gastronomie.
Le 6 janvier 2017, la Maison de charcuterie Gasdon se voyait remettre la Médaille de la Ville d’Orsay. Sylvain Gasdon a bien voulu nous livrer ses impressions. Où l’on voit au passage que sa vision d’une rue commerçante, fondée sur ce qu’il appelle le « triangle d’or », n’est pas sans évoquer un cluster gastronomique…
– Vous attendiez-vous à recevoir cette Médaille de la Ville d’Orsay ?
Non, pas du tout. Nous étions en pleine préparation des commandes pour le 31 décembre ! Moi-même étais parti en livraison. C’est Aileen qui l’a appris en croisant dans la rue M. Le Maire, qui venait chercher la sienne.
– Quelle a été vos réactions ? Vous avez déjà reçu plusieurs prix et récompenses…
Oui, c’est vrai, mais celle-ci a une saveur particulière…
– Un mot quand même sur Les Papilles d’Or, que vous avez reçues à plusieurs reprises…
Oui, en effet. La première fois, ce fut la 2e année après notre installation. Nous étions arrivés 2e (à l’époque, les Papilles d’Or distinguait les trois premiers ; désormais, on se voit attribuer un nombre de papilles à la manière des récompenses décernées par le Guide Michelin – on peut en obtenir jusqu’à 4). Nous l’avions vécu comme un encouragement : nos produits étaient manifestement appréciés. Restait à faire évoluer notre boutique – à l’époque, elle n’avait pas encore été réaménagée. Or la qualité de l’établissement compte aussi dans l’appréciation de la CCI qui décerne Les Papilles d’Or. Depuis, nous les avons eu deux fois avec le maximum de papilles ; plusieurs de nos produits – fromage de tête, jambon blanc, boudins noir et blanc, rillette, mousse de foie de volaille – ont été distingués et font notre réputation. Récemment, notre choucroute a reçu une Médaille d’argent.
Tous ces prix sont importants. Mais, comme je l’ai dit, la Médaille de la Ville a une saveur particulière : elle récompense l’ensemble de l’équipe et notre gestion de l’entreprise.
– N’est-ce pas aussi une manière de vous reconnaître comme un acteur de la ville ?
Si, probablement. C’est vrai qu’en plus de faire plaisir aux papilles de nos clients, nous créons des emplois. Après six ans d’existence à Orsay (nous avons ouvert en mars 2011), notre maison compte quatorze personnes, dont ma femme et moi.
Nous sommes très reconnaissants à la ville, pour l’accueil qu’elle nous a réservé. C’était important, car, comme j’ai eu l’occasion de vous l’expliquer dans un précédent entretien [pour y accéder, cliquer ici], notre parcours n’a pas été un long fleuve tranquille. La précédente boutique que nous avions ouverte a été un échec. Avec le recul, je peux dire que ce fut un mal pour un bien, car nous en avons beaucoup appris…
– On croirait entendre un startupper…
(Rire). Il a cependant fallu que je convainque ma femme de retenter l’aventure, après l’échec de notre première affaire. Cette fois, le succès a été au RDV. Cela dit, l’échec reste le lot quotidien du traiteur comme du cuisinier ! En permanence, on essaie des choses nouvelles. Forcément, parfois, on se trompe. Il faut donc remettre son métier à l’ouvrage.
– Qu’a fait la ville pour contribuer à votre développement ?
D’abord, elle nous a bien accueillis et cet accueil a été très important, car l’affaire que nous avons reprise était tombée très bas. Or, cette fois, nous n’avions pas d’autre choix que de réussir. Certes, les échecs sont formateurs, mais on ne peut pas les enchaîner !
M. le Maire a été particulièrement attentif à l’évolution de notre commerce. Pour en être lui-même un client, il a pu constater la queue qui s’est très vite constituée, chaque jour, peu de temps à peine après l’ouverture. Dès la 2e année, alors que nous recevions une médaille d’argent pour notre jambon blanc, il avait formulé l’espoir que, la prochaine fois, nous soyons premiers.
– Qu’attendez-vous d’autre de cette Médaille de la Ville ?
Pour moi, c’est un nouveau départ. Elle me conforte dans l’idée d’agrandir notre établissement pour y accueillir un atelier de fabrication.
– Comptez-vous vous investir davantage à l’échelle de la ville ?
Nous sommes déjà membres de l’association des commerçants de la ville d’Orsay. Malheureusement, je n’ai pas trop le temps de m’y investir. En revanche, je participe à la concertation autour du projet de réaménagement du centre-ville (du côté de La Poste). Si ce projet se concrétisait, nous pourrions imaginer de nous y installer pour nous rapprocher du boucher et du fromager et constituer ainsi une sorte de « triangle d’or » comme j’aime à dire.
L’autre jour, j’étais à Saint-Germain-en-Laye. J’ai été frappé par l’animation des rues commerçantes et le nombre de ces commerces de proximité. Orsay gagnerait à avoir une place commerçante avec un marché au milieu et non à l’écart comme c’est le cas aujourd’hui. Inutile de faire quelque chose de luxueux. Juste ce qu’il faut pour qu’on ait envie d’y faire ses courses.
– A vous entendre, on ne peut s’empêcher de songer à un cluster gastronomique…
(Rire). Un charcutier traiteur tout seul dans son coin n’a pas de chance de faire vivre le quartier. C’est important qu’il y ait d’autres commerces de proximité, dans les métiers de bouche : un boucher et un fromager, mais aussi un poissonnier, sans oublier un boulanger-pâtissier.
Quand nous nous sommes installés en haut de la rue de Paris, il n’y avait plus beaucoup de commerce hormis un vendeur de pizza, un photographe et un primeur. Depuis, nous sommes parvenus à y faire venir un boulanger-pâtissier. Nous travaillons avec lui dans le cadre de la Semaine du gout, de même qu’avec le primeur.
La présence d’autres commerces de proximité permet de créer une émulation collective. Quand je passe devant un grand traiteur ou un grand pâtissier, je ne peux m’empêcher d’aller voir ce qu’ils font. Même chose quand je vais dans un restaurant : quand un plat me plait, j’essaie de comprendre comment le cuisinier s’y est pris. Naturellement, je ne fais pas du copier-coller. Mais cela m’inspire : j’essaie de faire quelque chose d’approchant, en y ajoutant ma touche. On a toujours intérêt à s’inspirer de ce qui marche. Comme tout le monde, je suis en recherche, j’observe.
– Comptez-vous recruter encore ?
Oui, bien sûr, mais ce n’est pas simple car de moins en moins de jeunes veulent travailler dans la charcuterie. De manière générale, nous pâtissons d’un manque de considération pour les métiers manuels et l’apprentissage, malgré l’effort de valorisation par l’Etat. Les parents ont tendance à vouloir orienter leurs enfants vers des études longues. Il est vrai que les centres de formation en apprentissage ne sont plus toujours à la hauteur. On a tellement nivelé le niveau par le bas, que les jeunes les plus motivés finissent par se décourager. Même les concours manquent de rigueur. Celui auquel mon apprenti doit participer à l’échelle de l’Ile-de-France a vu ses dates changées à la dernière minute et ce, à deux reprises, en quelques semaines d’intervalle. Ce n’est tout simplement pas sérieux, car cela ne donne pas une bonne image de la filière de formation. A-t-on jamais vu les dates d’un tournoi de foot modifiées au prétexte que telle ou telle participant n’est pas disponible ?
Pourtant, ces métiers de bouche sont passionnants ! On peut d’ailleurs le voir à travers toutes ces émissions qui les remettent à l’honneur. Certes, et pour m’en tenir à celui de charcutier, cela demande du travail. Mais la récompense est là, dans le sourire et la fidélité des clients
Et puis, c’est un métier où on ne cesse d’apprendre, de se renouveler. Depuis que nous avons ouvert notre boutique à Orsay, nous avons enrichi notre offre de plats nouveaux. C’est aussi grâce à ce métier que j’ai pu voyager – avec ma femme, qui est Colombienne, nous avons séjourné à New York pour participer à l’ouverture d’un nouveau concept de charcuterie.
– Convaincre de l’intérêt de votre métier, est-ce aussi le sens de votre investissement dans la Semaine du goût ?
Oui, dans mon esprit, c’est aussi un investissement dans la durée. Qui dit si parmi les enfants qui y participent, ne se trouveront pas de futurs clients mais aussi de futurs apprentis ? (Rire).
Avec la boulangerie-pâtisserie, qui a, donc, ouvert à deux pas de là, nous avons eu l’idée de faire un pâté géant, qu’on laisserait aux enfants le soin de vendre devant nos boutiques pour financer un projet qui leur tiendrait à cœur. Malheureusement, cela été plus facile à dire qu’à faire (l’état d’urgence rend ce type d’opération difficile). Nous ne nous décourageons pas pour autant. Voir les enfants déguster nos produits avec autant de gourmandise, cela fait forcément plaisir et donne envie de continuer.
Journaliste
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