Suite de la rencontre avec Jean Jouzel, à travers un entretien réalisé à l’été 2013 et dans lequel il revient sur le projet relatif au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE). Et où il est aussi questions des conditions de travail collaboratif du chercheur à l’heure d’internet, des enjeux énergétiques, etc.
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– A vous entendre, vous ne faites pas qu’invoquer l’interdisciplinarité, vous la mettez en œuvre… Est-ce plus facile dans le champ de la climatologie ?
Oui, cette évolution vers l’interdisciplinarité est quelque chose de plutôt naturel dans ce domaine. Elle est aussi indispensable car les recherches en climatologie demandent d’importants moyens humains et de calcul. Nous n’aurions pas pu développer un modèle climatique du système terre sans la création de l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL). J’observe que le LabEx IPSL lui-même est parvenu à fédérer sans difficultés d’autres laboratoires, au-delà du périmètre de l’IPSL.
– Venons-en au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) et à son projet de regroupement…
Le LSCE est déjà le résultat d’une fusion de deux laboratoires. Cette fusion s’est révélée être une bonne chose. Tout le monde en convient. Les équipes ont appris à travailler davantage ensemble. Reste que ces équipes sont encore dispersées entre deux sites, à Gif-sur-Yvette et à Saclay. Or, on collabore a priori moins facilement avec des chercheurs travaillant dans d’autres laboratoires, même situés à seulement quelques kilomètres.
Le regroupement au sein d’un nouveau bâtiment facilitera les collaborations tout en nous faisant gagner en visibilité au plan international. Personnellement, j’avais été plutôt favorable à un regroupement à Guyancourt comme cela avait été évoqué au départ. Il en a été décidé autrement. Toujours est-il qu’un regroupement me paraît une bonne chose.
– Comment envisagez-vous concrètement ce regroupement ? Qu’est-ce que cela implique-t-il en termes de conditions de travail, d’aménagement voire de conception architecturale ?
Au sein du LSCE, les équipes ont appris à travailler ensemble autour de thèmes de recherche qui vont de la « dynamique et des archives du climat » jusqu’à sa modélisation en passant par les « Interactions Homme-Climat-Environnement », etc. Et la plupart de ces thèmes mobilisent des personnes des deux sites de Gif-sur-Yvette et de Saclay.
De manière générale, je crois que c’est la structuration de la recherche autour de thèmes qui importe avant même la proximité géographique entre les chercheurs. D’autant que déménager un laboratoire, cela ne va pas de soi et ne se justifie pas toujours dans la mesure où l’intérêt d’une équipe et/ou d’un chercheur peut évoluer au cours du temps. De même que l’objet d’une recherche collaborative : elle peut porter un temps plus sur l’expérimentation que sur la modélisation ou l’inverse. Il ne faut donc pas figer les choses.
Certes, l’éloignement ne facilite pas les interactions, mais encore une fois c’est plus la structuration scientifique qui importe. Un regroupement dans un même bâtiment peut faciliter cette organisation scientifique. Il ne peut en lui même enclencher une dynamique de recherche. Car encore faut-il que les chercheurs aient envie sinon l’habitude de travailler ensemble. S’ils ne sont pas enclins à collaborer, ce n’est pas le fait de les mettre ensemble, de les regrouper qui les incitera à le faire.
J’ajoute que l’unité de base de la recherche doit rester l’équipe constituées de quelques chercheurs réunis autour d’un thème commun : travailler de manière efficace requiert par ailleurs dinteragir avec un nombre restrient de personnes, du moins pour ce qui me concerne.
– Le regroupement ne permet-il pas de pallier les difficultés d’accessibilité du Plateau ?
L’accessibilité au Plateau reste en effet difficile pour les chercheurs comme pour les étudiants. Mais on s’y fait. Personnellement, je m’y suis longtemps rendu en car avant de finir par me résoudre d’y aller en voiture. Ce n’est pas simple de se rendre sur le campus du CEA en transport en commun ! C’est dire si nous fondons beaucoup d’espoir dans les projets d’aménagement des transports en commun. Il ne faudrait pas qu’ils tardent trop longtemps.
– La future entité sera abritée dans un nouveau bâtiment. Quels seraient vos souhaits à cet égard ?
Nous sommes en présence d’une évolution contradictoire. D’un côté, on conçoit des bâtiments propices à des contacts, de l’autre, j’observe que les chercheurs restent de plus en plus dans leur bureau et échangent par e-mail. Quand ils en sortent, c’est pour aller à l’extérieur, assister à un colloque. Il y a encore une vingtaine d’années, on se voyait davantage entre chercheurs d’une même équipe.
Moi-même, je le reconnais, quand je suis au laboratoire de Saclay, je vais rarement voir mes collègues modélisateurs. Ils sont dans un autre bâtiment, qui n’est pourtant qu’à 200 m ! Il est certain qu’un bâtiment, selon sa conception, peut jouer un rôle de catalyseur.
– Ne seriez-vous pas en train de regretter l’effet machine à café ?
Si ! Tant il est vrai que les contacts sont moins fréquents. L’avènement du net a modifié les échanges non sans compliquer les modes de communication. Un même e-mail peut être adressé à plusieurs personnes, sans qu’on sache qui doit y répondre. Au temps où on correspondait par voie épistolaire, on s’adressait à une personne précise et on prenait le temps de mûrir sa demande !
La proximité favorisera a priori les échanges et des séminaires communs, mais encore faut-il que les chercheurs en aient le temps. Il conviendrait de les dégager des tâches administratives ! Beaucoup passent leur temps à répondre à des appels à projet, à trouver des financements… Ils n’ont plus le temps de se poser et d’assister aux séminaires. Déjà, si on pouvait faire gagner du temps sur la circulation et les transports…
– On entend parler de sérendipité. Avez-vous fait vôtre cette notion ?
Je la considère plutôt avec amusement tant elle me paraît inutilement abstraite. Si j’en comprends bien le sens (à savoir, le fait de trouver de trouver ce qu’on n’avait pas cherché, mais qu’on était somme toute prédisposé à accueillir), alors oui, il importe de créer les conditions favorables à des découvertes fortuites. Si cela doit inciter les chercheurs à sortir de leurs bureaux, à se rencontrer davantage, alors tant mieux.
– Et sur le plan énergétique, quelles sont vos attentes à l’égard du futur bâtiment ?
J’espère que le bâtiment sera bien conçu en termes d’efficacité énergétique, mais aussi en termes de confort. Il ne suffit pas d’atteindre une performance énergétique. Encore faut-il que les chercheurs puissent y travailler confortablement.
– Au-delà, dans quelle mesure le Plateau pourrait-être un territoire de valorisation de solutions énergétiques innovantes ?
C’est tout l’enjeu de la participation de la FCS Campus Paris-Saclay au développement de l’innovation dans le domaine de la lutte et de l’adaptation au changement climatique, à travers le projet européen « Climate KIC » ( pour « knowledge and innovation community », soit, en français, une communauté de la connaissance et de l’innovation). Pour mémoire, ce projet, initié en 2010, rassemble des acteurs de l’éducation, de la recherche et de l’industrie autour de grands programmes de formation, de R&D et d’innovation. Il vise à accélérer et stimuler l’innovation, à créer de nouvelles opportunités de marché et de les capitaliser grâce à un réseau d’incubateurs. Centrée sur cinq territoires d’excellence, appelés centres de Colocation (CLC), à Paris, Londres, Berlin, Delft et Zürich, la KIC Climat met à disposition des espaces de partage, des outils d’incitation a la création d’entreprise, et crée des opportunités de collaborations de R&D et d’incitation pour les équipes mixtes du secteur privé, public et académique. La FCS Campus Paris-Saclay a pour mission de coordonner les vingt partenaires du CLC français. Elle participe également à créer des passerelles vers six régions européennes et à viser pour l’Europe le leadership mondial de l’innovation dans le domaine de la lutte et l’adaptation au changement climatique.
– Vous êtes spécialiste du réchauffement climatique et de ses effets. Quels sont-ceux visibles depuis le Plateau de Saclay ?
Le Plateau abrite le Sirta qui a notamment pour vocation de documenter les processus radiatifs, physiques et dynamiques au sein de l’atmosphère, et d’apporter des données de validation pour les modèles de météo et climat. Pour autant, ce n’est pas seulement à l’échelle de ce territoire qu’il travaille ! Cela étant dit, de manière empirique, j’observe que les brouillards qui caractérisaient le Plateau de Saclay durant l’hiver, semblent moins fréquents. Je me garderai d’en tirer des conclusions hâtives sur les effets supposés du réchauffement climatique !
Journaliste
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