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Agriculture & Alimentation

Plateau de Saclay, un territoire où il fait bio vivre

Le 3 octobre 2022

Analyser les rapports à la biodiversité urbaine et cultivée dans le contexte d’urbanisation du plateau de Saclay, telle est l’ambition du Projet « TerriBio Saclay ». Précisions de d'E. Baudry, spécialiste d'écologie urbaine

Analyser les rapports à la biodiversité urbaine et cultivée dans un contexte d’urbanisation celui du plateau de Saclay, telle est l’ambition du Projet « TerriBio Saclay », lauréat de l’appel d’offres Excellence de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de Paris-Saclay). Spécialiste d’écologie urbaine, chercheure au Laboratoire Écologie, Systématique et Évolution (ESE, UMR Université Paris-Saclay, CNRS – AgroParisTech), Emmanuelle Baudry en expose les principes et les résultats les plus significatifs.

- Pouvez-vous rappeler, pour commencer, les enjeux de TerriBio Saclay ?

Il s’agit d’étudier le rapport que les gens entretiennent avec la biodiversité urbaine et cultivée et la manière dont ce rapport évolue dans le contexte du plateau de Saclay, un territoire en cours d’urbanisation. Avec Romain Melot, directeur de recherche en sociologie à l’Inra, qui a porté avec moi ce projet, nous nous sommes intéressés à trois aspects en particulier : les motivations de l’intérêt que les gens disent trouver dans leur rapport à la nature ; leur perception des espaces agricoles et ce qu’ils en attendent en termes d’évolution dans le contexte d’urbanisation ; enfin, le rôle des jardins potagers dans le maintien d’une biodiversité locale. Précisons encore que TerriBio Saclay a été proposé en réponse à un appel d’offres interdisciplinaire lancé en 2019 par la MSH de Paris-Saclay.

Emmanuelle Baudry dans l’une des exploitations maraîchères du plateau de Saclay.

- Quelles approches disciplinaires avez-vous privilégiées ?

Nous nous sommes placés à l’interface de l’écologie urbaine, ma discipline, et des SHS : la sociologie (représentée par Romain Melot, donc), ainsi que la géographie (par Ségolène Darly, maitre de conférence en géographie à l’Université Paris 8). Je précise que nous avons aussi bénéficié du soutient d’Anne-Claire Maurice, docteure en socio-anthropologie de l’environnement.
Dès lors qu’on s’intéressait aux rapports de la population à la nature sur un territoire donné, il n’y aurait pas eu de sens à s’en tenir à une approche strictement écologique. Il importait de prendre en compte le rôle des acteurs sociaux et la diversité des espaces naturels et agricoles, et donc de privilégier une approche multidisciplinaire. On sait cependant la difficulté à mettre en œuvre une telle approche. C’est tout l’intérêt d’un appel d’offres comme celui lancé par la MSH Paris-Saclay que d’y inciter en mettant à disposition des moyens.

- Dans quelle mesure avez-vous impliqué les acteurs du territoire – habitants, agriculteurs, etc. ?

C’est une autre caractéristique de notre projet : les acteurs du territoire y ont été étroitement associés et ce grâce au précieux concours de Terre & Cité, qui nous a fait bénéficier de sa connaissance des réseaux d’acteurs du territoire et de son expérience dans les démarches participatives. Nous avons procédé à de rapides allers retours avec les acteurs pour cerner leurs questionnements et leurs attentes, puis échanger autour des connaissances qu’ils avaient sur le sujet, avant, enfin, de leur faire part de ce que nous-mêmes avions observé.
Je doute que nous serions parvenus à autant de résultats dans le laps de temps dont nous disposions – un peu moins de deux ans, soit une durée relativement courte par rapport à des programmes de recherches ordinaires, mais au final suffisante compte tenue de la médiation de l’association Terre et Cité dont nous avons pu bénéficier.

- Au final, quels résultats significatifs tirez-vous de TerriBio qui s’est achevé en 2021 ?

Ce programme s’est effectivement achevé l’an passé, mais la valorisation de ses résultats au travers de publications est encore en cours. Non que nous ayons pris du retard, mais outre la temporalité propre aux revues scientifiques, nous n’avons pas résisté à l’envie d’enrichir nos résultats d’autres données. Je suis cependant d’ores et déjà en mesure de mettre en exergue au moins trois résultats parmi les plus significatifs.
Le premier porte sur le rapport général des gens à la nature dans un contexte d’urbanisation, c’est-à-dire où les paysages sont de plus en plus marqués de l’empreinte d’activités humaines, par l’artificialisation des sols. Ce rapport va dans le sens d’un intérêt croissant, mais il peut s’exprimer par des voies différentes. Les uns le manifestent à travers des activités sociales, collectives (du jardinage dans des jardins partagés, par exemple), d’autres au travers d’un goût pour la compréhension du fonctionnement des écosystèmes, ou pour les aménagements en faveur de la biodiversité comme les hôtels à insectes ou les nichoirs à oiseaux.
Un résultat qui nous incline à penser que les actions de préservation de la biodiversité gagneraient à prendre en considération ces deux aspects, en proposant, d’une part, des activités collectives, propices à du lien social ; d’autre part, des aménagements, qui faciliteraient le contact avec cette biodiversité.

- Qu’en est-il spécifiquement du plateau de Saclay ?

J’allais justement y venir car c’est le territoire sur lequel nous avons porté notre attention, en nous intéressant tout particulièrement à la perception par la population des espaces agricoles. Un premier constat s’impose : ces espaces sont de prime abord perçus comment étant une caractéristique majeure de ce territoire alors même que l’urbanisation s’y poursuit et que s’affirme sa vocation de pôle scientifique et technologique. Cela ressort clairement des enquêtes que nous avons menées auprès de différents acteurs du territoire : habitants, agriculteurs, décideurs locaux, usagers, chasseurs… Certes, ce résultat était prévisible, mais nous ne nous attendions pas à ce que cette perception domine autant. Le corollaire, c’est une aspiration à une urbanisation aussi contrôlée que possible avec, cependant, des variations suivant l’âge, le statut socio-professionnel et, dans une moindre mesure, le niveau d’éducation des personnes – les retraités étant ceux qui manifestent le plus clairement une volonté de préservation de ces espaces agricoles et, donc, de contrôle de l’urbanisation. Voilà pour le deuxième résultat.
Le dernier concerne le rôle des jardins potagers, l’autre type d’espaces sur lesquels nous avons porté notre attention avec les grands espaces ouverts à vocation alimentaire – les espaces agricoles. Il en ressort que la pratique du jardinage n’est pas seulement motivée par la quête d’une alimentation saine, de qualité, locale. Elle exprime aussi un intérêt pour la biodiversité : on jardine aussi pour le plaisir d’être au contact du vivant, des plantes, d’observer les oiseaux, les insectes…

- Dans quelle mesure les confinements intervenus au cours de l’année 2020 ont-ils pesé sur cette évolution ?

Il apparaît clairement qu’ils ont contribué à l’affirmation de cette double motivation. Le jardin a été d’autant plus réinvesti pour y produire ses propres légumes et établir un rapport plus sensible à la biodiversité que les gens étaient confinés. Précisons que c’est d’ailleurs durant la première période de confinement que nos enquêtes auprès de la population ont été menées.

- Comment êtes-vous parvenus à ces résultats ? Quelle est la part entre les données qualitatives et les données quantitatives ?

Nous avons commencé par des entretiens qualitatifs. Puis nous nous sommes appuyés sur les enseignements de ces entretiens pour construire une enquête plus quantitative et tester des hypothèses. Dans un troisième temps, nous avons procédé à de nouvelles enquêtes qualitatives pour valider nos résultats. Cette combinaison d’enquêtes qualitatives et quantitatives permet tout à la fois d’aller au plus près des rapports singuliers que des personnes entretiennent avec la nature, et de mettre au jour des caractéristiques plus générales, autorisant une comparaison de la situation du plateau de Saclay avec d’autres contextes.
Je précise que la majeure partie des enquêtes qualitatives et quantitatives a été conçue, réalisée, puis analysée par Anne-Claire Maurice durant son postdoc de dix-huit mois. Sa double compétence en SHS et en environnement, sa maitrise à la fois des approches qualitatives et quantitatives, associées à un excellent sens relationnel, précieux pour le contact avec les acteurs du territoire, lui ont permis de produire des résultats remarquables.

- Quels sont justement les plus significatifs au regard de votre approche disciplinaire, l’écologie ?

Longtemps, c’est en tant qu’écologue, stricto sensu, que j’abordais la biodiversité. Jusqu’à ce qu’un programme de recherche, mené avec un collègue du Muséum national d’Histoire naturelle, ne m’incite à m’orienter davantage vers l’écologie urbaine. Ce programme portait sur la population d’écureuils du Parc de Sceaux. En bonne écologue classique, j’avais commencé à ne porter mon attention que sur eux, sans m’intéresser aux humains avec lesquels ils interagissaient. Or, ces écureuils avaient pris l’habitude de se nourrir à partir de ce que ces derniers, à commencer par les enfants, leur donnaient à manger… Je ne pouvais donc prétendre comprendre leur comportement, pourquoi ils se déplaçaient de telle ou telle façon, la densité de population, si je faisais abstraction de leurs interactions avec les visiteurs du parc de Sceaux !
Depuis lors, je privilégie une approche aussi intégrative que possible. Ce fut le cas dans le cadre de TerriBio Saclay où, avec mes collègues, nous nous sommes intéressés aux interactions entre les gens et la nature, au regard des espaces agricoles et potagers.

- Qu’est-ce qui vous a déterminée à choisir le plateau de Saclay en dehors du fait que l’appel d’offre émanait de la MSH Paris-Saclay ?

Deux motivations ont à l’évidence joué en faveur de ce choix. D’une part, le caractère périurbain du territoire – périurbain au sens où il est soumis aux facteurs d’anthropisation [liés à l’action humaine] majeurs que sont les activités agricoles intensives et l’urbanisation. Il nous a paru intéressant de voir comment un rapport privilégié à la nature pouvait s’y maintenir et sous quelle forme.
Ensuite, ce même territoire dispose d’un riche écosystème de recherche. J’avais oublié de le mentionner à l’oral, mais une des raisons importantes du choix de Saclay a aussi été la présence de Terre et Cité, qui sont des partenaires extrêmement précieux.Beaucoup d’équipes travaillent sur les thématiques de TerriBio Saclay. Plusieurs structures s’emploient à les mettre en relation comme, par exemple, le Labex BASC dont Terribio Saclay a d’ailleurs directement bénéficié. Mon propre laboratoire est situé à Gif-sur-Yvette. Il se trouve aussi que j’ai passé mon enfance dans cette commune et que je réside désormais à Palaiseau, une autre commune de l’écosystème Paris-Saclay. C’est dire si je connais ce territoire, en plus d’y être attachée. Il était donc naturel d’y mener un projet de recherche comme TerriBio Saclay.

- Que dites-vous à ceux qui vous objecteraient la nécessaire neutralité du chercheur ?

C’est une vraie question, dont on discute régulièrement entre collègues. Ma position est la suivante : je ne suis pas neutre et ne prétends pas l’être au sens où mon objectif est de produire des résultats qui peuvent être utiles au maintien d’une biodiversité sur le territoire. Mon travail de recherche ne saurait se borner à décrire la situation. Les résultats que j’en tire doivent être utiles à l’action. Ce qui me paraît en revanche plus problématique au regard de la neutralité du chercheur, c’est de manquer de rigueur dans le choix des méthodes et outils utilisés. Dis autrement, la recherche ne saurait servir à instruire un discours qui ne serait pas établi scientifiquement.

Pour en savoir plus sur TerriBio Saclay

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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