Cette année, la Semaine européenne de la mobilité se déroule du 16 au 22 septembre 2023. Nous avons voulu saisir cette occasion pour en savoir plus sur le rôle de l’EPA Paris-Saclay dans la promotion des mobilités douces. Réponses de Simon Borlant, chef de projet mobilités, qui revient sur plusieurs projets et chantiers portés en partenariat avec une diversité d’acteurs du territoire : collectivités, associations d’usagers, opérateurs de transport, start-up,…
- La notion de mobilité douce s’est imposée au cours de ces dernières années. Mais que recouvre-tr-elle exactement ?
SB : De manière générale, cette expression sert à désigner tous les modes de déplacement qui ne nécessitent pas le recours à de l’énergie fossile. Pour ma part, je préfère parler de « mobilités actives », car cela a le mérite de rappeler l’effort physique qu’on doitil faut consentir, que l’on fasse de la marche, du vélo, de la trottinette, etc. Dès lors, l’enjeu des aménagements est de réduire cet effort physique, en limitant les détours, en rendant les parcours aussi accessibles et simples que possible et ce, pour le plus grand nombre : les piétons, mais aussi les personnes à mobilité réduite, les cyclistes – y compris ceux qui recourent à un vélo à assistance électrique car ils peuvent être, eux aussi, amener à fournir un effort physique sur une partie de leur parcours -, ceux qui pratiquent la trottinette, le skateboard, etc.
- Dans quelle mesure envisagez-vous néanmoins ces mobilités au regard des autres modes de déplacement, en voiture ou par les transports en commun ? Dans une logique multi- ou intermodale, autrement dit, en termes de complémentarité ?
SB : Je n’opposerai pas les mobilités actives aux autres mobilités et ce, pour une raison simple, c’est que nous sommesest tous amenés à pratiquer les premières, y compris lorsque nous nous déplaçons en voiture ou en transport en commun, ne serait-ce que parce qu’il nous faut toujours marcher a minima pour accéder à ces modes, passer de l’un à l’autre – soit l’enjeu de l’intermodalité que vous évoquez.
Le défi est de changer d’échelle, d’accroître la part modale des déplacements actifs. Un défi de taille quand on sait que nos villes, anciennes et nouvelles, ont été en grande partie (ré)aménagées pour y favoriser la circulation de l’automobile. En moyenne, les infrastructures qui lui sont dédiées – places de stationnement comprises – représentent 40% du foncier urbain. Les 60% restant sont occupés par les bâtiments, les espaces verts, les places / trottoirs et pistes cyclables, etc. Or, l’espace public est de plus en plus contraint du fait de la densification de nos villes, mais aussi des impératifs de la renaturation. Il nous faut donc réfléchir à la manière de permettre aux mobilités actives de se faire une place, en toute sécurité pour ceux qui les pratiquent, en réduisant notamment la place de la voiture.
Afficher la transcription de l'image
Piste cyclable dans le quartier de Moulon © Carlos Ayesta
Piste cyclable dans le quartier de Moulon © Carlos Ayesta
- En disant cela, pointez-vous le risque de conflits d’usage accrus entre les modes de déplacement ?
SB : Oui, c’est bien le risque. Il nous faut sortir de l’ère du tout automobile qui s’est traduit par une ségrégation des différents modes, l’expression la plus caricaturale de cette tendance étant la ville ou chaque mode à son espace et son infrastructure dédiée. Une logique dont il faut aujourd’hui plus que jamais sortir. À cet égard, des pays comme l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas nous montrent la voie à suivre en démontrant qu’il n’est pas nécessaire d’investir toujours dans des infrastructures dédiées et coûteuses, mais de privilégier des espaces partagés en accordant néanmoins la priorité aux piétons et aux cyclistes, comme à ceux qui recourent à d’autres mobilités actives, en réduisant les espaces empruntables par les automobilistes, les places de stationnement ainsi que les vitesses de circulation.
Cela étant dit, gardons à l’esprit que les conflits d’usage n’opposent pas seulement les mobilités actives aux mobilités motorisées. Force est de constater des conflits entre piétons et cyclistes, dès lors qu’ils sont amenés à partager le même espace, le trottoir en l’occurrence. Aussi, selon les situations qui se présentent au sein des quartiers aménagés par l’EPA – soit les ZAC, pour zone d’aménagement concerté -, nous prenons le parti de positionner désormais la piste sur la chaussée pour bien la démarquer du trottoir. En cas contraire, nous veillons à ménager plus d’espace aux piétons.
- À vous entendre, on mesure la diversité des modes de déplacements, mais aussi des acteurs, des opérateurs. Le défi n’est-il donc pas aussi, au-delà des solutions techniques, de les faire davantage travailler ensemble ? En posant la question, je me demande si ce n’est pas justement le rôle d’un établissement comme l’EPA Paris-Saclay ?
SB : Le fait est, la conception de cheminements pour des modes actifs est un exercice particulièrement complexe car elle confronte à une diversité d’interlocuteurs selon que nous intervenons sur une voie communale, intercommunale ou encore départementale. Nous sommes par nécessité dans une co-conception avec la commune, l’intercommunalité, voire le département si nous intervenons sur le domaine départemental. Alors oui, on peut dire que le rôle de l’EPA Paris-Saclay est de mettre en musique ces acteurs de manière à promouvoir les mobilités actives à toutes les échelles du territoire de l’OIN.
- Au-delà de cette fonction, en quoi consiste la contribution de l’EPA Paris-Saclay ?
SB : Au sein de chacun des quartiers que nous aménageons – les ZAC de l’École polytechnique, de Corbeville, de Moulon, de Satory et de Guyancourt – nous définissons en accord avec les collectivités les régimes de vitesse. Nous nous appuyons pour cela sur un modèle de prévision de trafic qui nous donne un indice pour déterminer le type d’aménagement à prévoir : s’il doit être dédié au vélo ou s’il doit/peut être partagé en zone 30, par exemple – dans le cas où le trafic automobile est de moins de 2 000 véhicules par jour, les référentiels techniques estiment qu’il n’est pas nécessaire de dédier une infrastructure au vélo. Nous intervenons également sur les espaces piétons en veillant à ce qu’y soient respectées les exigences en matière d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite.
Un autre de nos chantiers concerne les liaisons plateau/vallée. En 2017, nous avons conclu avec la Communauté d’agglomération Paris-Saclay une convention partenariale qui s’étend au-delà du périmètre opérationnel des ZAC, pour y aménager six de ces liaisons – quatre piétonnes et deux cyclables. Les liaisons piétonnes ont été réalisées ainsi que l’un des aménagements cyclables entre le centre-ville de Gif-sur-Yvette et la ZAC de Moulon. Celle prévue sur la route de Versailles – sa conception est toujours en cours – prendra plus de temps à se faire. D’autres liaisons plateau-vallée seront réalisées, notamment sur la commune d’Orsay. Elles font l’objet de discussions avec la Communauté d’agglomération Paris-Saclay et les villes qui sont en train d’aboutir sur l’élaboration de leur plan vélo respectif.
L’EPA Paris-Saclay intervient également pour promouvoir par anticipation la création de grands itinéraires jusque dans les ZAC appelées à se développer dans les Yvelines – Versailles-Satory et Guyancourt – et ce, en lien avec ce département et celui de l’Essonne, les agglomérations mais aussi les gares de la future ligne 18 du Grand Paris Express.
Toujours dans l’idée de rééquilibrer le partage de l’espace public entre les modes de déplacement, nous sommes engagés dans une réflexion de réduction des surfaces de stationnement automobile au profit du stationnement vélo. Un nouveau décret paru en 2022 augmente de manière significative les obligations en la matière. Nous avons l’ambition d’aller au-delà à l’occasion des constructions nouvelles à proximité des futures gares de la ligne 18. Nous négocions avec les communes ce que nous appelons des mises en compatibilité des Plans locaux d’urbanisme [PLU] pour diminuer le nombre de places dédiées au stationnement des voitures. Sachant que pour les stationnement vélo, nous sommes soumis à une nouvelle contrainte qui tient à la diversité de matériels existant, entre le vélo classique, le vélo cargo, qui connaît un certain succès, et d’autres vélos hors normes. Nous devons donc prévoir un quota qui tienne compte de la place variable que peut occuper ce mode de déplacement.
- On comprend à vous entendre à quel point les enjeux de mobilité ne sont pas que des questions d’équipements et de solutions techniques, mais bien d’aménagement. Vous avez évoquez les gares de la ligne 18. À ce propos, on comprend que les projets que vous menez le sont en articulation avec ces dernières, et, donc, en négociation avec la Société du Grand Paris…
Afficher la transcription de l'image
Liaison plateau-vallée station Guichet du RER B / quartier de l’École polytechnique © Carlos Ayesta
Liaison plateau-vallée station Guichet du RER B / quartier de l’École polytechnique © Carlos Ayesta
SB : Oui, bien sûr. Nous avons repris les études de pôles d’échanges multimodaux liés aux gares Palaiseau et Orsay-Gif de la ligne 18., Ces gares ont vocation à être des pôles multimodaux. Nous souhaitons en faire des espaces inclusifs pour l’ensemble des usagers, en permettant aux cyclistes d’y accéder facilement via des infrastructures sécurisées, des parkings dimensionnés. Notre objectif étant de multiplier par trois la part modale du vélo dans les années à venir, nous avons obtenu d’Île-de-France Mobilités de redimensionner en conséquence la surface des stationnements vélo. Reste à convenir avec les associations de cyclistes – notamment le Collectif Vélo en Île-de-France – de la juste proportion à réserver aux consignes sécurisées – fermées, accessibles uniquement avec un pass – et aux arceaux en libre service.
- Êtes-vous confiant dans la progression de la part modale de ce dernier dans le contexte de Paris-Saclay ?
SB : Reconnaissons que si les premiers aménagements du plateau de Saclay se sont faits sur fond de regain d’intérêt pour le vélo, de prise de conscience de la nécessité d’en augmenter la part modale – à travers notamment la mise en place des vélib’ à Paris au début des années 2000 – force est de constater que cette prise de conscience ne s’est pas tout de suite traduite par la volonté de remettre en question la place de la voiture. Il est vrai que celle-ci reste un moyen privilégié pour se rendre sur le plateau en l’absence de moyens de transports en commun encore suffisamment développés. Mais la situation évolue et de manière positive puisque le mode qui s’impose désormais comme le moyen le plus pertinent pour circuler à l’échelle du campus urbain et des environs immédiats est le vélo, avec assistance électrique (VAE), et ce, nettement plus que la voiture. C’est en effet en vélo que l’on peut se déplacer le plus rapidement d’est en ouest sur des distances tout sauf négligeables, de l’ordre de 5 km ; qu’on a aussi la meilleure appréhension du territoire. Compte tenu de la morphologie de ce dernier, des dénivellations et de la taille de beaucoup des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, la marche n’est, elle, pas aussi adaptée qu’on pourrait l’espérer, d’autant que ces établissements sont aussi dans des quartiers séparés de quelques kms.
Certes, de par sa morphologie, ce territoire soulève des défis, à commencer par la dénivellation déjà évoquée entre les plateaux et les et les vallées, qui peut dissuader des usagers à recourir au vélo pour leur mobilité quotidienne. Nous avons cependant bon espoir que, grâce à l’assistance électrique, la part modale du vélo y progresse au détriment de l’automobile. Le VAE constitue une alternative sérieuse pour les étudiants qui n’ont pas les moyens de disposer de leur propre véhicule. Il peut aussi séduire des cadres soucieux de l’impact environnemental de leurs déplacements du quotidien.
- Sans oublier les populations à faibles revenus, qui constituent une autre réalité démographique de l’écosystème…
SB : Vous faites bien de le rappeler car le déplacement en vélo permet à ces ménages de faire des économies substantielles. Il peut aussi intéresser les personnes dont les amplitudes horaires rend compliqué le recours aux transports en commun.
- Y compris par temps de pluie ?...
SB : C’est l’objection qu’on adresse souvent à ce mode de déplacement. Mais interrogez des cyclistes habitués : moyennant un équipement adapté – il en existe -, on peut pédaler qu’il pleuve ou qu’il vente, à condition toutefois que des vestiaires soient aménagés dans les établissements pour se changer et laisser son matériel, ce qui n’est encore que trop peu souvent le cas.
- De manière générale, l’écosystème Paris-Saclay, c’est aussi une filière mobilités comptant de nombreux acteurs tant du côté de la recherche que des opérateurs et industriels…
SB : En effet, l’écosystème concentre un nombre impressionnant d’acteurs de la filière mobilités, qui font du territoire un lieu d’expérimentation et de démonstration de solutions innovantes. En voici un exemple, parmi les start-up : Zoov, propose une solution originale permettant de réduire la place des stations de vélo en accès libre dans l’espace public : les vélos, à assistance électrique, ne disposent plus de leur propre borne de recharge ; ils se pluggent l’un après l’autre pour se recharger. La solution a été expérimentée sur le plateau de Saclay avant d’être déployée à l’échelle de la France et en Europe depuis son rachat par la société Smoove – l’opérateur des vélos en libre service dans plusieurs métropoles dont Paris. Ce n’est pas tout : les usagers pouvant louer un vélo via une application mobile, nous – l’EPA Paris Saclay, mais aussi la Communauté d’agglomération de Paris-Saclay, les entreprises -, disposons de précieuses données sur les trajets effectués et ainsi des moyens de mieux apprécier les besoins de mobilité ou de services, et d’y répondre.
- Un autre exemple ?
SB : Je souhaite aussi citer Floware avec laquelle nous avons mené une première expérimentation l’hiver dernier [2022] sur une période de trois mois dans la ZAC de Moulon, plus précisément dans le secteur de la future gare Orsay-Gif. Un secteur à fort enjeu puisqu’il constitue l’un des carrefours du campus urbain à la fois pour les trajets nord-sud sur la N118 et la route de Versailles et les trajets est-ouest sur la RD128.Cette start-up a conçu des outils d’aide à la décision en matière de politique de mobilité. À partir de capteurs et de caméras, elle est en mesure de recueillir des données sur tout type de déplacement, 24 h sur 24 h, 7 jours sur 7 et dans la durée. Ce qui est déjà un progrès considérable par rapport aux opérations classiques de comptage des déplacements. Ce n’est pas tout, ses caméras sont en mesure de distinguer les modes – voiture, bus, poids lourds, mais aussi les modes actifs jusqu’alors peu pris en compte – ce qui d’ailleurs peut expliquer la moindre attention dont ils ont fait l’objet jusqu’à récemment dans le cadre des politiques publiques.
En bref, les données fournies par Floware sont d’autant plus intéressantes qu’elles permettent d’apprécier les trajets effectués réellement et ainsi de faire apparaître d’éventuels écarts entre les trajets réels et les aménagements, et donc les ajustements à apporter en conséquence le cas échéant. Par exemple, nous nous sommes rendus compte que les piétons n’empruntaient pas forcément les traversées que l’on avait aménagées. Ils vont au plus court pour s’économiser. Ce qui, comme vous pouvez vous en douter, sont des informations précieuses pour un établissement d’aménagement comme le nôtre.
Nous poursuivons notre partenariat avec Floware sur une autre ZAC, celle de Versailles-Satory, en vue de requalifier la RD 91 pour des trajets routiers et cyclistes, le diffuseur et le giratoire Bir Hakeim à proximité duquel va être construite la future gare de la ligne 18.
- Terminons cet entretien par une question plus personnelle : qu’est-ce qui vous a prédisposé tant au regard de votre formation que de votre parcours professionnel à investir ce champ des mobilités dont on mesure à vous entendre combien il vous expose à une diversité de problématiques, mais aussi d’interlocuteurs – techniciens de collectivités, élus, opérateurs de transports, associations, startupeurs…
SB : Une diversité d’autant plus large qu’au sein de l’EPA Paris-Saclay, j’ai en charge l’ensemble des mobilités, actives et autres, au regard des enjeux d’aménagement. De formation, je suis urbaniste-, architecte. Avant de rejoindre l’EPA Paris-Saclay, je travaillais dans un bureau d’études spécialisé dans des projets de transports en commun (métro et tramway notamment) à travers le monde. Au sein de l’EPA Paris-Saclay, j’interviens dans les projets relatifs aux infrastructures de mobilité, les aménagements qui permettent le déploiement de solutions de mobilité, en mettant l’accent sur les transports en commun et les modes actifs. Ces sujets m’intéressent d’autant plus qu’ils engagent une réflexion sur la soutenabilité des aménagements que nous sommes amenés à développer.
- Je ne résiste pas à vous poser une ultime question sur vos propres pratiques mobilitaires au quotidien. En clair, comment venez-vous à votre bureau : en voiture, en transport en commun, par un des modes actifs ?
SB : (sourire). Je n’ai pas de voiture personnelle. Je n’use de ce mode que pour certains déplacements professionnels en utilisant l’un des véhicules de service (tous électriques). Cela fait 34 ans que je suis un usager quotidien des transports en commun. Je considère que ceux-ci sont indispensables à la vie urbaine et au bon partage de l’espace public et qu’ils ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique. Avec nos partenaires et les équipes avec qui je travaille, j’organise régulièrement des visites du campus urbain à vélo, depuis les bureaux de l’EPA Paris-Saclay, histoire de les convaincre de ce que je disais tout à l’heure : ce mode de déplacement est particulièrement adapté pour se rendre comme pour se déplacer sur le territoire de Paris-Saclay.
Journaliste
En savoir plus