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Science & Culture

Paris-Saclay, côté scène.

Le 25 octobre 2017

Permettre à des amateurs ou de futurs professionnels de se former au monde du théâtre à travers des projets menés collectivement, telle est la vocation D’Un Théâtre L’Autre, une association créée voici plus de vingt ans, à Orsay, par Philippe Vallepin, qui en assure encore la direction artistique. Une rencontre qui ne serait pas intervenue si tôt, sans une luxation de l’épaule et la suggestion de notre kinésithérapeute…

– Si vous deviez présenter D’Un Théâtre L’Autre et rappeler ce qui vous a conduit à sa création ?

D’Un Théâtre L’Autre est une structure associative que j’ai créée il y a plus de vingt ans, en 1995. J’étais à l’époque très présent à Orsay et dans ses environs. Depuis pratiquement quinze ans, j’avais déjà monté des ateliers de théâtre qui fonctionnaient plutôt bien. Ils accueillaient un public d’amateurs, mais extrêmement varié, de tous âges. Pendant une dizaine d’années, j’étais aussi intervenu au Lycée Blaise Pascal d’Orsay ou encore à Normal Sup, rue d’Ulm, à Paris. Après toutes ces expériences, je m’étais demandé ce que je pouvais bien faire pour accompagner les personnes, a priori des adultes, qui souhaitaient aller au-delà d’une pratique théâtrale dans le cadre de cours, progresser à travers le montage de projets de spectacles qu’elles donneraient devant un public. C’est ainsi que m’est venue l’idée de créer D’Un Théâtre L’Autre, une structure que j’ai voulue aussi souple que possible, pour les aider dans cette démarche. Non pas que nous renonçons à l’apprentissage du métier de comédien, mais les activités sont d’abord organisées dans la perspective d’apprendre à monter un projet de A à Z, y compris dans ses conditions de financement.

– D’Un Théâtre L’Autre aurait-il pu voir le jour ailleurs ou sa création doit-elle aussi au terreau favorable que constitue l’environnement d’Orsay avec ses nombreux chercheurs, enseignants, étudiants, etc. ?

Il est clair qu’un facteur socio-démographique a joué positivement dans la création D’Un Théâtre L’Autre. Au-delà d’Orsay, nous avons bénéficié d’une proximité avec la Vallée de Chevreuse, qui concentre aussi beaucoup de chercheurs et d’enseignants, lesquels ont une appétence naturelle, tout comme leurs enfants, pour la culture sous toutes ses formes, y compris théâtrale. Comme les ateliers que j’ai pu animer, D’un Théâtre L’Autre a très vite reçu un accueil favorable et il a été possible d’y développer des pratiques avec un niveau élevé d’exigence.

– Connaissiez-vous ce territoire avant que d’y promouvoir le théâtre ?

Oui. Je suis originaire de Saclay et j’ai été au Lycée Blaise Pascal d’Orsay. Quoique résident désormais principalement à Tours, je conserve des attaches à cette ville où je reviens régulièrement, ne serait-ce que pour les besoins D’Un Théâtre L’Autre.

– Rappelons que Tours n’est qu’à une heure de Massy-Palaiseau et que vous vous êtes déplacé jusqu’ici à Orsay, pour les besoins de l’entretien…

Effectivement…

– En quoi consiste désormais votre activité au sein de cette association ?

En plus d’en assumer la direction artistique, j’anime l’atelier de création, dont la vocation est double : il s’agit d’accompagner des amateurs de haut niveau, en leur donnant un lieu où ils peuvent développer leur pratique du théâtre, et de permettre à ceux qui souhaitent devenir professionnels, de faire l’expérience du plateau à travers les pratiques concrètes de projets qu’ils réalisent ensemble. Chaque projet est joué au minimum une demi-douzaine de fois, ici à Orsay, dans les environs et parfois ailleurs (nous avons été à Annecy et même fait une tournée au Québec) et ce, dans l’idée de parfaire son expérience dans des conditions concrètes. Beaucoup de membres de l’association ont suivi ce chemin : d’amateurs éclairés, ils sont devenus des professionnels.

– Est-ce à dire que votre structure s’est finalement imposée comme une école de théâtre ?

Non. Nous n’avons absolument pas cette prétention. Il s’agit juste d’une étape dans le long chemin qui mène vers la pratique professionnelle, à travers l’expérience du montage d’un projet, encore une fois, dans toutes ses dimensions, y compris les plus pratico-pratiques.

– Quelles autres activités propose D’Un Théâtre L’Autre ?

Outre l’atelier de création, la structure propose Tout Théâtre Compris (TTC) : un temps de rencontre, programmé chaque année, au mois de février, entre les personnes qui ont des pratiques de théâtre amateur, au sein D’Un Théâtre L’Autre ou ailleurs, à Orsay et ses environs, pour qu’ils échangent et, pourquoi pas, mènent des projets ensemble. Une initiative née du constat suivant : les gens qui partagent une même pratique sur un territoire ont la fâcheuse tendance à se regarder un peu comme des concurrents et à s’éviter. J’ai considéré qu’il fallait envisager les choses autrement. J’ai donc mis en place ce temps de rencontre, qui, aujourd’hui, fonctionne bien. Il est l’occasion d’organiser des ateliers d’échange et de formation, facilement accessibles (il n’en coûte que trois euros la journée), mais aussi d’accueillir un spectacle proposé par une structure extérieure au territoire. Bref, Tout Théâtre Compris (TTC) est une manière d’entretenir une curiosité permanente à l’égard de ce que font les autres. Tout simplement.

D’Un Théâtre L’Autre propose également, chaque année, un séjour au festival d’Avignon : nous nous retrouvons dans une grande maison, louée collectivement. Quiconque est libre d’aller aux spectacles qu’il veut, du Off comme du In. Nous faisons juste bénéficier aux participants de nos conseils. A ceux en particulier qui viennent pour la première fois dans cette friche insensée qu’est le festival d’Avignon, nous indiquons les théâtres qui ont une vraie programmation. Nous nous retrouvons au moins aux petits déjeuners, qui, comme vous pouvez le deviner, sont des moments d’échanges passionnants et passionnés !

– Et le public qui assiste aux représentations montées dans le cadre D’Un Théâtre L’Autre : vous est-il fidèle ?

Oui. Un public suit depuis des années nos activités. Bon an mal an, un projet peut attirer en cumulé entre 500 et 700 spectateurs avec même parfois des pics de l’ordre de 900 personnes. Ce public est cependant au diapason de ce qu’on peut observer en France : il est a priori intéressé par les classiques du répertoire et peut-être un peu plus récitent à l’égard du théâtre contemporain. Nous considérons donc que c’est aussi de notre devoir de le lui faire connaître en veillant à une alternance dans le montage de nos projets. Si, donc, nous montons volontiers du Molière, du Feydeau, du Marivaux, etc., nous montons aussi des auteurs comme Noëlle Renaude, par exemple, auquel on doit notamment Ma Solange, comment t’écrire mon désastre ? Alex Roux. Un roman-théâtre en trois volumes, qui met en scène pas moins d’un millier de personnages et dont on a adapté le 1er volume en n’en retenant que quarante-huit, interprétés par huit comédiens (soit en moyenne six personnages pour chacun !). Actuellement, nous préparons les adaptations d’œuvres d’auteurs grecs : Le Léthé, se souvenir de l’oubli (d’après Léthé, cinq monologues), de Dimitris Dimitriadis (pour des représentations à la mi-novembre) et Le Point aveugle, de Yanis Mavritsakis (qui sera, elle, jouée en mai 2018).

– Qu’est-ce qui a présidé au choix de ces auteurs-ci ? Etait-ce une manière de faire entendre par d’autres voix un pays qui a été sous le feu d’une actualité « brûlante » ? De montrer que le théâtre peut se faire l’écho autrement d’un pays dont on ne parle plus qu’au regard de considérations économiques et financières ?

Merci pour ces questions qui renvoient en réalité à celle, énigmatique s’il en est, de savoir ce qui peut bien motiver les choix d’un directeur artistique et à laquelle il est, pour tout dire, difficile de répondre ! Je crois qu’on choisit un texte autant qu’il nous choisit. Toujours est-il que c’est une élève de la classe du Conservatoire de Nantes (dont j’étais professeur de 2007 à 2015) qui m’a fait découvrir le texte de Dimitris Dimitriadis. Je l’ai trouvé d’emblée extraordinaire. Son auteur n’est pas un inconnu au demeurant : il est né en 1944, en Thessalonique, et a été monté au théâtre pour la première fois par Patrice Chéreau, dès la fin des années 60. Il a fait ses études en Belgique et est francophone. On lui doit la traduction de plusieurs auteurs grecs.

– L’avez-vous rencontré ?

Non, mais j’ai pu m’entretenir avec lui au téléphone. Maintenant, pour répondre pleinement à votre question, je préciserai que c’est après coup que j’ai trouvé dans ce texte une résonance avec l’actualité de la Grèce. A cet égard, une autre de ses œuvres, Je meurs comme un pays, m’a particulièrement marqué. Même s’il l’a écrit juste après le régime des colonels, en 1978, il dit ne pas avoir eu en tête cet épisode de l’histoire contemporaine de la Grèce. Reste qu’en tant que lecteur, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec cette nouvelle forme de violence que connaît le pays dans le contexte de crise financière. Dimitris parle en réalité toujours du monde d’aujourd’hui. Une illustration du fait que les grands artistes sont bel et bien des visionnaires.

– Comment a-t-il été reçu par votre « troupe » ?

Nous venions d’adapter et de jouer Le Dindon, de Georges Feydeau, qui n’a a priori rien à voir : c’est une pièce enlevée, enjouée, qui doit être jouée à un rythme rapide. Ce qui nécessite beaucoup de précision et d’engagement des comédiens. Tout c’était cependant bien passé, tant et si bien que, sans attendre les autres représentations que nous devions donner, j’ai proposé de travailler sur la lecture des deux textes de Dimitris : le Léthé et Je Meurs  comme un pays. Ce texte étant composé de cinq monologues, nous l’avons adapté comme nous aimons le faire (c’est une manière aussi de s’approprier collectivement un texte), avec l’idée de le donner à entendre à travers un chœur de onze voix. Le premier essai s’est révélé catastrophique ! Une partie de l’équipe a littéralement fondu en larmes. Il est vrai que le texte est particulièrement aride pour ne pas dire étrange. Pour mémoire, Le Léthé relate l’histoire des âmes des bienheureux, qui errent dans les Champs Elysées, et dont certaines demandent aux Dieux à pouvoir revenir à la vraie vie. Ce qui est possible à une condition cependant : que ces âmes traversent le fleuve – le Léthé – pour effacer de leur mémoire le moindre souvenir de leur vie antérieure. Un texte on ne peut plus énigmatique, une antithèse totale du Dindon ! Naturellement, je ne pouvais pas laisser les comédiens dans un rapport si émotionnel à ce texte. Je me suis donc employé à en trouver un autre, avec le concours de Françoise Dubor, une universitaire, qui m’assiste depuis plus d’une quinzaine d’années. Nous sommes ainsi parvenus au texte de cet autre auteur grec, Yanis Mavritsakis, Le Point aveugle. Un texte magnifique qui raconte tout autre chose, selon une théâtralité plus conventionnelle puisqu’on y trouve des personnages, des situations… Pour autant, nous n’avons pas renoncé au Léthé.

– En le faisant jouer par ceux qu’il n’avait pas autant désarçonnés ?

Oui, et en les associant à d’autres comédiens, intéressés par ce projet.

– De manière générale, comment arrêtez-vous vos choix ? Avec les autres parties prenantes de l’atelier de création ?

Absolument pas ! Nous pourrions certes imaginer de procéder ainsi, collectivement, mais jusqu’à présent, ce n’a pas été le cas. Je tiens à pouvoir travailler sur de vrais textes, qui représentent un réel intérêt, y compris au regard du travail d’adaptation. Je préfère donc assumer la direction artistique en laissant à chacun la liberté de participer ou pas à tel ou tel projet. Dans cette éventualité, d’autres occasions se présenteront toujours pour eux de revenir afin d’en monter un autre au sein d’Un Théâtre L’Autre. Depuis la création de l’atelier, nous avons enregistré des allées et venues, des départs et des retours et c’est ce renouvellement permanent qui en fait aussi la richesse. Les liens ne rompent jamais définitivement. C’est une banalité que de le dire, mais c’est si vrai : nous formons comme une grande famille. Le fait de travailler ensemble sur plusieurs projets, dans le temps, forcément, cela crée des liens.

– Comment procédez-vous au travail d’adaptation ?

Collectivement, cette fois. Tout simplement parce qu’il est difficilement concevable de le mener seul. L’adaptation de La Mort du roi Tsongor, un roman épais (300 pages) de Laurent Gaudé, prix Goncourt des Lycéens, a représenté un travail de titan. Elle a pu être menée de front grâce à l’implication de chacun. Il y a une dizaine d’années, nous avions adapté un autre roman, en forme d’abécédaire : Le Dictionnaire Jeanne Ponge, de Fabienne Mounier, que j’ai bien connue. En lisant les définitions, les unes après les autres, on découvre en réalité une histoire mettant en scène une jeune fille et sa grand-mère. Nous l’avons donc adaptée sous la forme d’un spectacle déambulatoire, dans les différentes pièces d’une bâtisse ancienne, la Grande Bouvêche, une des plus anciennes de l’Essonne, avec ses tours médiévales. On en faisait deux fois le tour, avec une vingtaine de spectateurs invités à nous suivre, en changeant de décor entre les deux tours.

– Quels autres textes envisagez-vous d’adapter ?

Les Mamelles de Tirésias, d’Apollinaire, que nous monterons en 2018/2019. Pourquoi ce texte, me direz-vous ? Personnellement, je l’ai découvert il y a une trentaine d’années et déjà je m’étais dit que je le monterais bien un jour. Il fallait juste que l’opportunité se présente ! (Rire).

– Où jouez-vous vos spectacles ? Avez-vous une salle attitrée ?

Nous jouons principalement dans la salle Jacques Tati, à Orsay : en plus d’être bien équipée, elle reste dans l’esprit de ces salles polyvalentes créées dans les années 70. Nous disposons ainsi d’un espace à géographie variable, qui offre de multiples possibilités scéniques. Par exemple, pour les besoins du Léthé, nous pourrons placer les spectateurs au milieu de la salle, assis sur des tabourets, de façon à ce qu’ils puissent suivre les acteurs qui se déplaceront. Ce n’est qu’à titre exceptionnel, que nous avons joué au Centre culturel de la Grande Bouvêche. Nous aimons aussi joué chez des particuliers, à Orsay même, pour de petites formes inspirées des Précieuses ridicules : des jeux de société ou littéraires, des devinettes ou encore des bouts rimés [exercices consistant à composer un poème à l’aide de rimes données d’avance, d’après Wikipédia], et qui étaient l’occasion de s’amuser dans la bonne société de la première moitié du XVIIe siècle. En parallèle au Dindon, nous avions proposé une petite pièce du même auteur (C’est une femme du monde), ainsi qu’un de ses monologues écrits pour les grands comédiens de l’époque, proposés en ouverture de rideau. Dans ce cas, nous jouons devant quinze-vingts personnes.

– Vous avez témoigné de vos fortes attaches à Orsay et ses environs. Quel regard portez-vous sur le projet de Paris-Saclay  et son impact sur le territoire où vous avez grandi et où vous continuez à intervenir ?

Etant en effet particulièrement ancré sur le territoire, de par mon parcours personnel et les activités professionnelles que j’y poursuis, je peux d’abord témoigner, hélas, des difficultés à renforcer les liens avec l’université, celle de Paris-Sud, qui y est présente. C’est une énigme que je ne suis toujours pas parvenu à résoudre. Cependant, les choses bougent. On perçoit un bouillonnement et plus d’opportunités à nouer des liens. Enfin, serais-je tenté de dire. Cela fait quarante ans que j’attends cela. Certes, nous ne partons pas de rien. A plusieurs reprises, j’ai fait participer à nos spectacles des étudiants qui ont une pratique de théâtre amateur. Un de mes anciens élèves enseigne le théâtre à la Faculté de Médecine de Châtenay-Malabry [qui relève de Paris-Sud]. Pour les besoins du Léthé, nous travaillons avec un des laboratoires de la Faculté d’Orsay, Le sas, groupe science-art-société, qui a, comme son nom l’indique, vocation à créer des liens entre Science et Art – on lui doit notamment l’installation De l’Œil de Mars à l’Horizon du Soleil, une grande sphère de deux mètres de diamètre, sur lequel se projette un œil, qui vous suit du regard… Le directeur artistique de ce laboratoire, Xavier Maître, se trouve être un ami de longue date, qui a vécu aussi à Orsay [pour en savoir plus, voir le dernier entretien qu’il nous a accordé, en cliquant ici]. Et après tout, les vrais projets ne se montent-ils pas aussi, à la faveur de rencontres qui n’ont rien de fortuit ?

– N’avez-vous pas été en lien avec le Festival Curiositas, qui se propose d’encourager des projets menés dans une logique de co-création par des chercheurs et des artistes ?

Si. J’ai même été plusieurs années de suite membre du jury en charge de sélectionner les projets artistico-scientifiques et théâtraux appelés à y participer.

– Quel regard les chercheurs posent-ils sur le théâtre ? Sont-ils là aussi dans un rapport de co-création ?

Oui et c’est justement ce qui fait l’intérêt de ces échanges avec eux. Il est vrai que de par leur connaissance des matériaux, des phénomènes physiques ou autres, ils se révèlent à leur tour comme des hommes de l’art, serai-je tenté de dire, quitte à jouer un peu sur le sens du mot.

– Comptez-vous vous projeter au-delà d’Orsay, jusque sur le Plateau où de nouveaux bâtiments ont été construits ou sont en passe de l’être, avec des amphithéâtres et des salles bien équipés pour y accueillir des spectacles…

Ce serait tout simplement formidable que de pouvoir donner des représentations ou répéter dans ces nouveaux lieux. Pour être un ancien d’Orsay, je ne suis pas pour autant introduit dans cet écosystème en cours de constitution…

– Gageons que cet entretien suscite l’intérêt et des liens… Et vous-même, qui vous a amené au théâtre ? Vos parents ?

Non. Mon père était chaudronnier de formation avant de changer de métier (l’activité altérait sa faculté auditive). Il a travaillé ensuite dans l’Aérospatialel. Quant à ma mère, c’est une scientifique, mathématicienne de formation : elle a débuté au CEA de Saclay, du temps où les ordinateurs n’existaient pas, comme calculatrice scientifique (à l’image de ces héroïnes du film Les Figures de l’Ombre, sorti l’an passé). Elle a conservé les cahiers dans lesquels elle faisait ses calculs. Ensuite, elle a travaillé dans divers autres domaines : la thermique, la neutronique ou encore la prospective en matière de déplacement de matières radioactives. Elle a ensuite beaucoup voyagé à l’étranger comme expert pour répondre aux besoins de pays confrontés à cette problématique.

L’environnement de la recherche ne m’est donc pas étranger. J’y ai été plongé tout petit. A défaut d’avoir fait une carrière scientifique, j’ai été prédisposé à amorcer des dialogues avec des chercheurs, comme je l’ai fait à travers le Festival Curiositas ou ma collaboration avec le laboratoire d’Orsay. Etant un enfant du « pays », j’ai aussi compté beaucoup de fils et de filles de scientifiques parmi mes amitiés d’enfance et d’adolescence. A commencer par le fils de l’ancien directeur de Polytechnique, dont la fréquentation m’a valu de m’y rendre très souvent (lui est devenu un des plus grands libraires de livres anciens de Paris !). Maintenant et pour répondre à votre question,  j’ai vraiment découvert le théâtre lors de mes années d’études au Lycée Blaise Pascal. J’avais pris part aux activités de l’atelier qui y avait été créé. J’avais 15 ans. Depuis lors, je ne l’ai jamais plus quitté.

 – Comment expliquez-vous cette passion ? Une réaction à l’ambiance scientifique du milieu familial ?

On me pose souvent la question, mais je suis bien en peine d’y répondre. Et je doute que ce soit en termes de réaction « contre » qu’il faut l’analyser. C’est une passion qui remonte d’ailleurs à bien plus loin que l’adolescence. Je me souviens d’une toute première expérience du théâtre, dès l’âge de six ans : j’avais joué un rôle, je ne sais plus lequel, mais manifestement cette première interprétation, sur scène, devant un public, m’a durablement marqué. Mais c’est à l’âge de 15 ans, que la passion s’est déclarée, sans jamais s’étioler. Après des années d’enseignement et de pédagogie, je pense l’avoir même essaimée, tout en la conservant intacte en moi. Cette question de la vocation, je ne manque pas cependant de la poser à ceux qui ont suivi mes cours. Parmi les Normaliens, auprès desquels je suis intervenu, je m’en souviens d’un qui m’avait dit que la passion pour le théâtre l’avait pris dès la maternelle et ne l’avait plus quitté !

– Jusqu’où essaimez-vous votre passion ? Menez-vous des projets à l’international ?

Oui, à travers, cette fois, un ensemble de musiques anciennes, Doulce Mémoire, dont je suis le metteur en scène associé. Cet ensemble propose des projets musicaux intégrant du théâtre sinon des éléments scéniques. J’ai assuré pour lui aussi bien l’adaptation de textes que la mise en scène et mise en lumière des spectacles. Il m’arrive aussi parfois d’y jouer. Ce fut le cas, par exemple, pour celui que nous avons créé en 1997 et qui a été repris depuis et encore cette année, il y a une dizaine de jours. Implanté à Tours, Doulce Mémoire rayonne en Région Centre, en France, mais aussi en Europe et dans le reste du monde. J’ai notamment monté un spectacle avec des artistes de l’Opéra de Pékin, et en ai donné un autre, qui avait été préalablement créé en France. Il y eut aussi un projet mené Taïwan, que nous avons repris en Chine continentale puis en France.

– Une illustration au passage du renouveau de la « localité » au sens ou l’entend le philosophe Bernard Stiegler, à savoir : un lieu propice à un ancrage territorial tout en étant ouvert sur le monde…

Je ne connaissais pas cette vision de la localité, mais elle entre parfaitement en résonance avec une de mes convictions : il y a nécessité d’être ancré dans un territoire et, en même temps, de rester curieux à l’égard d’autrui, d’ici et d’ailleurs, en allant à sa rencontre. C’est cette conviction qui, comme je vous l’expliquais, à motiver la création de Tous Théâtre Compris (TTC) : il s’agit de permettre à des comédiens amateurs ou professionnels, d’un même territoire de se rencontrer, mais aussi de se confronter à d’autres expériences, d’autres visions. Comme indiqué, Tous Théâtre Compris (TTC) est l’occasion de présenter des projets extérieurs, nés sur d’autres territoires.

– Un principe qui vaudrait aussi pour un écosystème dédié à l’innovation… !

Bien sûr. Il en va, me semble-t-il, de l’innovation comme de la création : dans un cas comme dans l’autre, on ne peut rester dans un rapport d’endogamie.

– Merci pour cet entretien qui n’aurait pas pu avoir lieu, en tout cas si tôt, sans la rencontre fortuite avec un certain Jean-Luc Plisson [voir l’entretien qu’il nous a accordé – mise en ligne à venir]…

Jean-Luc est un ami de longue date. Cela fait plus de quarante ans que nous nous côtoyons. Notre amitié s’est nouée à travers le théâtre. En marge de ses activités de kinésithérapeute, il accompagne des projets pour en réaliser des clips ou des vidéos. Sa femme a joué enceinte de leur fils, Thomas, dans un projet que j’avais monté ici. Le fils en question, devenu Polytechnicien, travaille aujourd’hui au sein d’Un Théâtre à L’Autre. Paris-Saclay, c’est aussi cela : des êtres aux parcours hybrides… Et rien de tel que la passion du théâtre pour créer des liens durables et même intergénérationnels entre eux.

– Etres hybrides dont vous faites partie… !

(Rire).

Propos recueillis par Sylvain Allemand avec la complicité d’Emie Sellier.

Légendes photos : Ivanov, de Tchekhov (en illustration de cet article) ; Les Précieuses Ridicules, de Molière (en illustration du carrousel du site).

Pour en savoir plus sur D’Un Théâtre L’Autre et en connaître la programmation, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

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