Le 5 décembre dernier, s’est déroulée l’inauguration du Centre de Design « The Design Spot » en présence de grands noms du monde du design. Parmi eux : Jean-Louis Frechin, de l’agence Nodesign.net, qui a bien voulu se prêter de nouveau à l’exercice d’un entretien à chaud.
– Vous assistez à l’inauguration de The Design Spot. En quoi cela constitue-t-il un moment important pour vous ?
C’est un moment important car il exauce un rêve que je partageais voici quelques années avec Alain Cadix, du temps où il dirigeait l’ENSCI Les Ateliers et que j’y enseignais. A savoir : l’instauration d’un dialogue entre le monde du design et celui de la science, en référence, bien sûr, à ce qui se faisait déjà dans les grandes universités américaines, mais aussi parce que nous déplorions l’écart entre ce que pouvait produire la recherche scientifique et technologique et la réalité des usages et des produits. Selon nous, le moyen de réduire cet écart passait précisément par un lieu dédié à la recherche sur le design. Et dès lors que Paris-Saclay avait vocation à devenir un concentré d’intelligences, le design, autre forme d’intelligence s’il en est, devait y avoir sa place, y compris comme enjeu de recherche. Le fait que de grands universitaires comme Wendy Mackay, directrice de recherche à Inria, ou encore Michel Beaudoin-Lafon, spécialiste des interactions Homme-Machine, soient présents à l’inauguration de The Design Spot, est de bon augure. Cela montre que les choses avancent.
– Qu’est-ce que cela vous fait-il de voir incarnée dans un lieu tangible ce qui n’était encore il y a peu qu’une idée formulée dans un rapport, en l’occurrence celui d’Alain Cadix… [« Pour une politique nationale du design », rapport remis en octobre 2013] ?
Effectivement, voir se concrétiser ce dialogue entre design et science dans un lieu concret, où designers et chercheurs pourront travailler conjointement, c’est forcément réjouissant. Mais que de temps s’est-il écoulé à partir du moment où l’idée a été lancée ! Je ne cacherai donc pas non plus mon impatience ! Cela étant dit, je constate que les designers et universitaires scientifiques ont répondu présent. De même que les élus, à commencer par la présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui s’est déplacée en personne, attestant d’un vrai engagement pour l’introduction du design dans le monde universitaire et comme élément de la politique régionale. On pouvait s’inquiéter de ses intentions suite à la dissolution du Lieu du Design.
Mais la création de The Design Spot donne aussi des responsabilités aux designers, qui devront être à la hauteur, tenir les promesses que le design revendique. Gardons aussi à l’esprit que ce dernier recouvre des approches hétérogènes. Ce n’est pas une science au sens où l’université l’entend ni une technique de concertation. The Design Spot devra donc tenir compte de cette diversité.
– Ce n’est pas la première fois que vous vous rendez sur le Plateau de Saclay. C’est d’ailleurs le 3e entretien que nous réalisons avec vous. Pouvez-vous témoigner du fait qu’il y avait des germes qui justifiaient la création d’un tel lieu, ici-même ?
De fait, on ne part pas de rien. Il y a ici beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui savent ce qu’est le design. Qu’on songe à l’Ecole CentraleSupélec, qui délivre un double diplôme avec l’ENSCI Les ateliers. Avec d’autres écoles de l’écosystème [Télécom ParisTech, ENS Paris-Saclay et l’X], elle participe également au « Design & Science Université Paris-Saclay » [ex-Prix ArtScience]. Bref, ici, on rencontre maintes personnalités qui, sans être designers, savent de quoi il retourne.
– Sans oublier EDF Lab où vous étiez pour le vernissage de l’exposition Observeur du Design, qui y était accueillie en septembre dernier…
Effectivement, EDF Lab travaille étroitement avec le laboratoire Design Lab I2R [implanté au centre de R&D des Renardières, près de Fontainebleau]. C’est une bonne illustration de la possibilité d’élargir le dialogue science/design au monde de l’entreprise et de l’intérêt qu’on y gagne car, autant le reconnaître, des entreprises sont parfois en avance sur des écoles de design. Mais sans doute est-ce un effet Paris-Saclay qui favorise justement les synergies entre le monde de l’entreprise et la recherche. Maintenant que The Design Spot est créé, le défi est de créer encore plus d’intelligence collective et d’actions communes entre ces différents acteurs.
– Que dites-vous à ceux qui pointent les difficultés d’accessibilité de ce Plateau de Saclay, difficultés dont The Design Spot pourrait pâtir aussi [il est hébergé dans le bâtiment de Nano-Innov] ?
Je pense que Paris-Saclay a atteint une masse critique, qui lui permet d’exercer un pouvoir d’attraction et, donc, de relativiser dans une certaine mesure les problématiques d’accessibilité. Pas plus tard que ce matin, j’échangeais avec un ancien élève qui me faisait part du projet de son entreprise, implantée dans l’écosystème, de créer un laboratoire d’initiation au design. Une illustration parmi d’autres du fait qu’il y a ici une demande suffisante.
Certes, ce n’est pas forcément simple de se rendre sur le Plateau de Saclay autrement qu’en voiture, mais les conditions de transport sont appelées à s’améliorer avec notamment la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express. Il faut juste être encore un peu patient. Paris-Saclay n’en reste pas moins quand même plus proche que la Silicon Valley !
Le projet est lancé, il n’est plus temps de ronchonner. Charge à chacun d’y contribuer sans toujours tout attendre des pouvoirs publics. Cela dit, si j’ai une recommandation à faire, ce serait d’ouvrir un peu plus de… troquets ! Vous connaissez ma grande théorie : il faut des lieux neutres, où les gens boivent des coups ensemble et échangent de manière informelle, c’est comme cela qu’ils inventent. Ce n’est pas autrement que l’impression 3D a vu le jour, en dehors des lieux dédiés à la R&D. Si le MIT a sa cantine, nous, nous avons nos troquets. Ouvrons-en juste quelques-uns à Saclay !
– Et Jean-Louis Frechin, qu’est-il prêt à faire pour contribuer à faire vivre The Design Spot ?
Je ne demande qu’à être utile. Seulement, je ne suis plus rattaché à aucune école d’enseignement supérieur. Enseigner, c’est ma vie, mais voilà, le numérique a été méthodiquement anéanti là d’où je viens. Je suis donc ouvert à toute proposition. En tant que professionnel, je ne demande cependant qu’à prodiguer mes conseils et ce, à titre bénévole, car, avec The Design Spot, nous avons une belle opportunité de faire encore grandir le design, de surcroît dans son dialogue avec la science et la technologie. Autant la saisir. L’enjeu est tout de même d’œuvrer au design du XXIe siècle. On peut donc compter sur moi.
– Le directeur de The Design Spot, Vincent Créance a précisé qu’il s’agissait d’un lieu de préfiguration. En quoi c’est important pour vous ?
L’erreur serait de figer les choses. Je ne crois pas trahir la pensée de Vincent en disant que The Design Spot est d’abord un état d’esprit. L’idée n’est pas tant de concentrer les compétences, que de jeter des passerelles au sein de l’écosystème. Vincent a d’ailleurs évoqué les deux côtés de la N118 comme on parle des deux rives parisiennes de la Seine en ne cachant pas son rêve qu’un autre The Design Spot voit le jour, de l’autre côté. Sans doute faudra-t-il donner un peu de temps au temps. Vincent étant un designer expérimenté et reconnu, je n’ai pas de doute quant au fait qu’il va se passer des choses intéressantes, ici, dans le dialogue science/design.
A lire aussi…
… les entretiens avec Yo Kaminagai, Délégué à la conception du Département « Maîtrise d’ouvrage des projets » au sein de la RATP (mise en ligne à venir) et Ellen Tongzhou Devigon-Zhao, de l’agence BURO-GDS (cliquer ici) ;
… le précédent entretien accordé par Jean-Louis Frechin à l’occasion du vernissage de l’exposition Observeur du Design – cliquer ici.
En illustration : Vincent Créance, directeur de The Design Spot, durant son discours.
Journaliste
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