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Entrepreneuriat innovant

Ordinateur quantique, du rêve à la réalité

Le 9 mai 2023

Entretien avec Valérian Giesz, cofondateur de Quandela

Optimiser des flux et des trafics avec des gains énergétiques à la clé est l’une des promesses des ordinateurs quantiques en passe de devenir réalité. Précisions de Valérian Giesz, cofondateur de Quandela, une spin-off made in Paris-Saclay ayant mis au point une solution à base de photons, inspirée des travaux du physicien Alain Aspect, prix Nobel 2022, qui accompagne le projet depuis ses débuts.

- Si vous deviez, pour commencer, pitcher Quandela ?

VG : Créée en 2017 par Nicolo Somaschi, Pascale Senellart et moi-même, Quandela est une spin-off* issue du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N) – une unité mixte CNRS / Université Paris-Saclay. Elle s’appuie sur les principes de la mécanique quantique pour apporter aux industriels de nouvelles générations de calculs à la fois plus puissants, plus efficaces et moins énergivores. Par rapport aux autres acteurs de la filière de l’informatique quantique, notre approche est sans équivalent puisqu’elle consiste à utiliser des flux de lumière pour réaliser les calculs, à l’échelle de la particule de lumière, c’est-à-dire du photon unique.
En soi, l’idée de faire des calculs à partir de faisceaux de lumière n’est pas nouvelle. Mais nous nous heurtions à la difficulté de générer des photons. C’est précisément le verrou technologique que nous sommes parvenus à lever, avec le concours du C2N, en recourant à des semi conducteurs, une solution totalement nouvelle. Et c’est à Paris-Saclay qu’elle a vu le jour ! Aujourd’hui, nous sommes capables de manipuler des photons un par un, d’y inclure de l’information quantique en mettant à profit le fait qu’un même photon puisse être simultanément dans plusieurs états – il peut être « intriqué » avec d’autres photons, qui partagent ainsi des propriétés communes.

- Qu’en est-il de l’ordinateur quantique ? Est-ce la prochaine étape qui vous permettra de rentrer dans une phase industrielle ?

VG : Sans attendre la mise au point de ce type d’ordinateur, nous commercialisons déjà des équipements – des émetteurs de photons pour les besoins de laboratoire de recherche – que nous avons exportés en Australie et en Italie. En parallèle de cette activité commerciale, nous avons poursuivi une intense activité de R&D pour développer une première génération d’ordinateur quantique. Un démonstrateur existe que nous avons mis à disposition via notre cloud Quandela. Nous comptons déjà plusieurs utilisateurs à travers le monde – aux États-Unis, à Singapour, en Italie… Il leur suffit de se connecter par internet pour réaliser leurs calculs, lesquels sont effectués ici, dans nos locaux de Massy, au sein de l’écosystème de Paris-Saclay. D’ores et déjà, des industriels nous ont dit être convaincus par leurs essais et nous ont passé commande d’ordinateurs. Il nous faut maintenant les fabriquer, les tester et les livrer. Nous sommes actuellement engagés dans la mise en place de cette activité industrielle.

- Où envisagez-vous de le faire ?

VG : À Massy, à deux pas de nos bureaux, dans le bâtiment qui se trouve au bout de la rue. Les composants, fabriqués en salle blanche à Palaiseau, y seront assemblés avec les lasers et les autres éléments optiques. Le produit fini sera ensuite livré à nos clients – des industriels ou le GENCI [l’organisme en charge, au niveau national et européen, de favoriser l’usage du calcul intensif associé à l’Intelligence Artificielle au bénéfice des communautés de recherche académique et industrielle]. Quandela sera ainsi l’un des premiers acteurs de la filière européenne du quantique à être en mesure de livrer des ordinateurs quantiques. Naturellement, cela demande des investissements. C’était l’enjeu de la levée de fonds de 15 millions d’euros que nous avons bouclée en novembre 2021.

- Est-ce à dire que ce serpent de mer qu’a semblé être l’ordinateur quantique va devenir réalité ?

VG : Oui, l’ordinateur quantique est bien sorti de l’imagination de chercheurs et d’ingénieurs pour devenir réalité ! Pour l’heure, notre plateforme est elle-même accessible à tous les curieux, industriels mais aussi chercheurs. Tout le monde peut s’y inscrire pour tester le calcul quantique, en vérifier les avantages, moyennant une familiarisation préalable aux spécificités du langage de programmation – il est plus élaboré que le langage de programmation de l’informatique classique. Par ailleurs, nous travaillons avec de nombreux industriels comme MBDA et Thales, mais aussi des banques (BNP Paribas et Crédit Agricole) pour voir comment programmer leur propre technique de calcul de façon à les adapter à nos ordinateurs quantiques.

- Au-delà des usages pour les industriels et entreprises, quelles sont les retombées à attendre pour le commun des mortels quand bien même ne sera-t-il pas l’usager direct d’un ordinateur quantique ?

VG : Il faut s’attendre à ce que l’informatique quantique impacte fortement nos existences puisqu’elle va permettre d’optimiser toutes sortes de flux et de trafics dans de très nombreux domaines à commencer par le secteur bancaire, la logistique et le transport – ferroviaire, aérien et maritime. Elle va permettre aussi d’accélérer la conception de nouvelles molécules pharmaceutique – aujourd’hui encore, il faut compter plusieurs années de R&D avant d’en mettre de nouvelles sur le marché… Cette informatique quantique sera aussi synonyme d’une efficacité accrue en matière de maintenance prédictive. On estime à 500 milliards de dollars la valeur ajoutée induite chaque année par l’introduction des ordinateurs quantiques, sans compter les gains énergétiques réalisés par l’optimisation des flux et des trafics.

- Est-ce qu’au moment de la création de Quandela, vous vous attendiez à autant d’applications et d’impacts ? Votre vision de l’informatique quantique a-t-elle évolué depuis la création de votre spin-off ?

VG : Si on m’avait dit, en 2017, que cinq ans plus tard, nous disposerions d’aussi puissantes capacités de calcul dans le cloud, je ne l’aurais pas cru. Aujourd’hui, nous sommes sur le point de lancer la production d’ordinateurs quantiques. Je n’ose pas imaginer où nous en serons dans les cinq prochaines années. Bien sûr, nous essayons de le prédire. Mais, c’est comme avec la météo, on n’est pas à l’abri d’erreur d’appréciation ! Une chose est sûre : cela va plus vite que prévu et c’est notamment grâce au fait que nous pouvons compter sur des esprits brillants, qui ont de très bonnes idées, pour implémenter de nouvelles techniques, que ce soit en algorithmie, mais également pour la fabrication de nouveaux composants. Bref, nous sommes certainement à l’aube d’innovations encore prometteuses.

- Si vous deviez décrire un ordinateur quantique ?

VG : Cela n’a rien à voir avec l’ordinateur portable que nous utilisons au quotidien. Il se présente sous la forme d’armoires comme ceux qu’on trouve dans un data center, à l’intérieur desquelles, au lieu de composants électroniques, on trouve des composants photoniques, reliés par de nombreux fils, des lasers, des miroirs. L’avantage de notre approche réside dans sa compacité et sa modularité, dans une connexion par fibre optique, qui est un gage de stabilité.

- Avez-vous engagé une réflexion sur le design de cet ordinateur ?

VG : Naturellement, nous sommes attachés à donner une identité visuelle à nos produits. Le choix du design et de la couleur, bleue souligne le caractère à la fois robuste et mystérieux de la photonique quantique. Nous avons travaillé sur une façade structurée pour avoir un effet ondulatoire.

- Où en êtes-vous sur le plan des effectifs ? Quelles compétences et expertises mobilisez-vous ?

VG : Aujourd’hui, nos effectifs s’élèvent à environ 70 personnes. Les profils sont variés : des experts en semi-conducteur, en optique, en informatique, en mathématique et en algorithmie, ainsi que des personnels administratifs, des ingénieurs commerciaux, bref, toutes les compétences nécessaires au bon fonctionnement d’une entreprise commerciale.

- Comment définiriez-vous votre rôle ? Celui d’un chef d’orchestre ?

VG : Non, je n’userais pas de cette métaphore. Mon rôle n’est pas tant d’orchestrer toutes ces compétences que de donner à nos équipes les moyens de travailler dans un environnement de travail favorable aux échanges. De là l’importance accordée à l’agencement de nos locaux qui comptent beaucoup de salles de réunion et d’espaces lumineux…

- Et des tableaux sur lesquels on peut voir des formules mathématiques d’une grande complexité…

VG : Même à l’heure du numérique et du virtuel, le tableau est un outil très apprécié des chercheurs appelés à échanger entre eux. Pas de salle de réunion sans tableau, donc. Nous en avons aussi installés dans des couloirs, dont un à proximité de l’espace cafétéria du rez-de-chaussée. Nos locaux, nous ne les avons pas envisagés seulement comme un espace de travail, mais bien comme un espace de collaborations et, donc, d’échanges plus ou moins programmés.

- Est-ce à dire que vous restreignez le recours au télétravail ?

VG : Non, bien sûr. D’autant moins que plusieurs de nos collaborateurs vivent à l’étranger et sont donc en full remote [ils travaillent d’où ils veulent et quand ils veulent]. Cependant, nous accordons beaucoup d’importance à ce qu’ils puissent venir de temps en temps ici, dans nos locaux de Massy, pour échanger en direct sur leur projet, se faire challenger par leurs collègues. C’est pourquoi le ratio de salles de réunion et d’openspace est relativement important par rapport au nombre de postes localisés ici.

- Nous sommes à deux pas de la gare TGV Massy. En quoi cette proximité sert-elle le développement de Quandela ?

VG : Quandela a vu le jour à Paris-Saclay. Le choix d’y rester s’est imposé de lui-même : nous y comptons de nombreux partenariats technologiques ; nous continuons à travailler avec le CNRS et l’Université Paris-Saclay que ce soit à travers le C2N ou d’autres laboratoires en informatique et en mathématique, en nous projetant déjà dans une nouvelle génération d’ordinateur quantique. Ancrés dans l’écosystème Paris-Saclay, nous le sommes aussi à travers les formations d’étudiants auxquelles nous participons : plusieurs de nos collaborateurs animent des TD et TP de masters en technologie ou informatique quantique(s) : à l’École polytechnique, à CentraleSupélec, à Télécom Paris, à l’Institut d’Optique…

- C’est l’occasion de souligner que l’essor de l’informatique quantique passe aussi par la mise en place de formations, de façon à disposer des compétences nécessaires. Qu’en est-il des personnes que vous avez recrutées. Dans quelle proportion sont-elles issues de l’écosystème ?

VG : Beaucoup de collaborateurs en sont issus. Et aujourd’hui plus que jamais, nombre d’étudiants postulent chez nous dès la sortie de leur école sinon après une thèse. Cela étant dit, nous essayons tout à la fois de tirer profit de la présence des talents présents dans l’écosystème et d’attirer des ingénieurs et chercheurs étrangers. Ce que nous parvenons bien à faire.

- Encore un mot sur le projet d’usine. Traduit-il la volonté de participer à l’effort d’industrialisation du pays ?

VG : À l’effort d’industrialisation et de reconquête de notre souveraineté dans le numérique. Un enjeu qui me tient à cœur au point de m’avoir convaincu d’accepter d’être un co-responsable d’un des groupes de travail sur le numérique de confiance, piloté par Michel Paulin, le DG d’OVHcloud. Cet effort passe par la préservation de notre souveraineté sur les infrastructures de stockage de données, les logiciels, mais aussi les technologies hardware. Il importe de ne pas dépendre d’un seul pays pour notre approvisionnement. Concernant l’informatique quantique, je considère que la France a une carte à jouer : il s’agit d’une toute nouvelle industrie de pointe dont nous disposons de tous les actifs et des compétences. Sachons en profiter.

- Qu’en est-il de votre engagement au sein de la French Tech Paris-Saclay ?

VG : J’en ai été l’un des membres fondateurs. Je fais toujours partie du board, mais en ai quitté le bureau considérant qu’il était sain que celui-ci se renouvelle régulièrement et conserve son élan. Il est actuellement présidé par Corina Numbela, cofondatrice de la start-up Spin-Ion.

- Un mot sur Alain Aspect, qui figure parmi les membres de votre board scientifique depuis sa création…

VG : Alain Aspect s’est toujours montré très impliqué. Il participe à nos réunions scientifiques avec les autres membres. Nous lui sommes d’autant plus redevables que nous reproduisons sur des nanopuces le fruit de ses premières expériences, menées dans les années 1980, consistant déjà à intriquer des photons. Ce que nous parvenons à faire désormais à l’échelle d’armoires de plus petite taille, de manière quasi industrielle.

- On imagine votre joie à l’annonce de son prix Nobel [partagé avec l’Américain John F. Clauser et l’Autrichien Anton Zeilinger]…

VG : Nous étions d’abord très heureux pour lui ! C‘est une belle reconnaissance de son travail, mais aussi de son rôle dans la promotion des technologies quantiques, que ce soit en France ou en Europe. C’est dire si la communauté des chercheurs et entrepreneurs de l’informatique comme de la physique quantique lui doivent beaucoup.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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