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Campus urbain Gif-sur-Yvette

« OMA a traduit notre modèle pédagogique sous une forme architecturale et urbanistique. »

Le 3 octobre 2012

Hervé Biausser, Directeur de l’Ecole Centrale Paris, revient sur les valeurs et les principes du projet pédagogique qui ont dicté le cahier des charges du concours mixte d’architecture et d’urbanisme organisé pour la conception du bâtiment qui abritera l’école, en 2016 dans le quartier de Moulon.

– Comment avez-vous appréhendé vos échanges avec les architectes et urbanistes qui ont participé au concours mixte ?

En nous gardant de faire le métier de l’autre ! Nous ne sommes ni des architectes ni des urbanistes, mais des ingénieurs et des enseignants. Nous nous en sommes donc tenus à définir les concepts et les valeurs que nous voulions défendre à travers notre projet éducatif et que le futur bâtiment devait ensuite incarner. Au fond, qu’est-ce que ce projet devait exprimer ? En quoi le futur bâtiment serait-il emblématique de ce que l’École Centrale Paris veut être au XXIe siècle ? Comment ses personnels et ses élèves voudraient-ils s’y sentir ? Telles sont les questions que nous nous sommes posées.

– Comment avez-vous procédé pour définir ce projet pédagogique et en quoi consiste-t-il ?

Avant même de travailler à la préparation du concours, nous avons procédé à un temps d’échange avec l’ensemble des personnels (enseignants, chercheurs, techniciens, administratifs) et les élèves, afin de dégager les besoins, ce que les uns et les autres voulaient que le bâtiment exprime. Des besoins précis se sont naturellement dégagés : des besoins en surfaces, en rangements, de proximité,… Au-delà de ces besoins, un consensus s’est dégagé autour de sept valeurs clés et de quatre champs dans lesquels nous devions être présents.

– Quelles sont ces valeurs ?

La première est ce que nous sommes convenus d’appeler l’ « hybridation ». Elle revient à souligner le fait que tout monde contribue au projet de l’Ecole Centrale : les élèves, les enseignants, les chercheurs comme le personnel technique et administratif. Par conséquent, il n’y avait pas de raison de les séparer dans des zones spécifiques. Une volonté s’est clairement manifestée en faveur de l’instauration d’une proximité entre les élèves et les différentes catégories de personnels.

La 2e valeur est la densité. On sait que les bâtiments denses sont vertueux sur le plan énergétique. Mais la densité est aussi une façon de favoriser la proximité. Il ne faut certes pas qu’elle soit trop forte. Mais le fait de ne plus avoir de longues distances à parcourir à pied pour rencontrer ses collègues de travail, comme c’est le cas aujourd’hui, ne pourra que faciliter la rencontre et l’échange.

Ce qui m’amène à la 3e valeur : la… sérendipité ! Un mot étrange, j’en conviens, pour désigner l’art de trouver ce qu’on n’a pas cherché mais qui est mieux que ce qu’on cherchait ! Elle ne peut qu’être favorisée par les rencontres fortuites que l’on fait, ne serait-ce qu’en se rendant à la cafétéria, une salle de cours ou au laboratoire d’un collègue. Si on veut multiplier ce type de rencontres, il faut pouvoir donner les moyens de faire une halte : des tables, des bancs … Nous avons beaucoup insisté pour offrir cette possibilité.

La 4e valeur est la diversité. Certes, il doit y avoir un principe d’unité et de cohérence du bâti. Mais la diversité des activités devait se refléter dans la forme architecturale. Autrement dit, on ne devait pas être dans quelque chose de trop uniforme. Par sa propre diversité, le bâti doit s’adapter aux activités qui vont s’y dérouler et aux personnes qui y travaillent.

La 5e valeur est l’adaptabilité ou, comme vous voudrez, la flexibilité. Elle part d’un autre constat : nous ne savons pas ce que demain sera fait et pourtant, ce bâti, nous devons le construire pour une durée d’au moins 50 ans ! Nous avons donc demandé aux candidats de réfléchir à un bâtiment qui puisse s’adapter à l’évolution de nos besoins et de l’environnement. Ce n’est pas le moindre des défis !

La 6e valeur réside dans  le respect des temporalités et des rythmes de vie de tout un chacun. Autrement dit, la possibilité pour les élèves comme pour les chercheurs de travailler comme bon leur semble. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que certains aient envie de travailler jusque tard dans la nuit, le week-end ou pendant les vacances. Si des projets n’exigent d’occuper un espace que quelques heures, d’autres s’inscrivent dans la durée. Là encore le bâti doit permettre des temporalités différenciées. Je rêve qu’on puisse un jour se rendre à l’EC avec l’assurance qu’il y aura toujours quelque chose de nouveau qui s’y déroule, dans tel ou tel de ses recoins !

Enfin, la 7e valeur consiste à relever ni plus ni moins les défis à venir. Nos élèves devront apporter des solutions nouvelles aux problèmes auxquels le monde doit faire face et auxquels ils seront confrontés dans leur vie professionnelle et personnelle. Je veux parler des défis environnementaux, énergétiques, climatiques, etc.

– Comment pensez-vous vous qu’ils puissent le faire ?

Nous en venons aux quatre champs dans lesquels nos élèves, pour être des acteurs positifs et imaginatifs au sein de la société, devront investir.

En premier lieu, et cela ne vous étonnera pas, celui de la science et  de la technique. L’École Centrale Paris est une école d’ingénieurs et entend le rester. Le bâti doit donc fortement exprimer le fait que nous sommes dans un espace dédié aux sciences et aux techniques, où on a vocation à produire de la connaissance en croisant les activités de recherche et d’enseignement. Ce qui suppose que les enseignants et les chercheurs soient en contact, qu’il n’y ait pas de distance entre l’enseignement et la recherche.

Le 2e champ est l’entrepreneuriat. La plupart de nos élèves sont destinés à être des dirigeants ou des créateurs d’entreprises. C’est dans ce champ qu’ils vont exprimer leur talent et leur créativité. Il faut donc que l’espace de l’Ecole Centrale exprime bien que nous sommes dans un contexte lié à l’entreprise. Ce qui est déjà une réalité vécue au quotidien. Il suffit de voir le nombre de manifestations et de séminaires qui font intervenir des partenaires du monde de l’entreprise. Le futur bâti devra exprimer encore davantage cette réalité.

Le 3e champ est le monde lui-même ! Il n’y a pas de défi majeur qui n’ait une échelle internationale sinon mondiale. Or le monde que nous léguons aux futures générations est déjà sacrément compliqué et même complexe tant les dimensions économiques, sociales, politiques, environnementales, s’interpénètrent. Il faut que les Centraliens puissent décoder ce monde. Et ce n’est pas simple même si l’École Centrale Paris a la chance de compter déjà plus de 30% d’étudiants étrangers. Le bâti devra exprimer aussi cette volonté de nous inscrire dans le monde.

Enfin, le dernier champ d’expression du cursus est l’homme. Il s’agit de permettre à nos étudiants de dialoguer entre eux, avec leurs enseignants et avec l’extérieur. En résumé, 7 valeurs et 4 champs ou principes d’éducation. Quand je vois le bâti que le jury a retenu, je suis impressionné par la manière dont il parvient à les exprimer. Le projet est cependant loin d’être finalisé. Il y a encore plusieurs choses à définir…

– A vous entendre, ce projet architectural est la traduction d’une vision qui a émergé d’une histoire, celle de l’École Centrale Paris, et d’une réflexion collective. Est-ce à dire qu’il n’y a pas eu de benchmarking ? Dans quelle mesure vous êtes-vous inspiré d’autres campus ?

Quand nous avons travaillé à la conception de ce projet, nous sommes bien évidemment allés voir ce qui se faisait ailleurs en France et à l’étranger. Je veux d’ailleurs rendre hommage à François Cointe, le professeur d’architecture de l’École Centrale Paris et à toutes les personnes qui ont travaillé avec lui. Nous avons constitué une importante base de données recensant pas moins de 300 bâtiments qui ont été étudiés de près. Elle est  disponible pour ceux que cela intéresse. Ce travail nous a permis de nous poser les bonnes questions. Plus que sur le bâti, nous avons aussi beaucoup réfléchi sur le système d’information et d’échange en veillant à ce qu’il soit en cohérence avec la circulation physique des personnes.

– Un mot sur la proposition du lauréat, l’agence Oma. En quoi est-elle en phase avec votre projet pédagogique ?

La proposition que nous avons retenue est certainement celle qui a le mieux assimilé nos concepts et nos valeurs. Oma ne s’est pas contenté d’interpréter le cahier des charges ni même d’entrer dans la rationalité de l’ingénieur. Il a cherché à comprendre notre modèle pédagogique, ses valeurs et ses principes, pour le traduire sous une forme à la fois architecturale et urbanistique. Il le fait de surcroît de manière lisible. Il n’y a pas besoin d’un long discours pour décrire sa proposition.

Le bâtiment principal mixte des espaces privés et des espaces publics, l’espace de l’école et l’espace des citoyens. D’un côté, une géométrie qui reflète la culture des ingénieurs et qui servira de trame à l’école, de l’autre une rue passante, qui connecte l’école sur la collectivité. Je trouve cette proposition particulièrement séduisante.

– Un projet à la fois architectural et urbanistique…

L’intérêt de ce projet est en effet d’apporter des réponses à la fois architecturales et urbanistiques. C’est d’ailleurs pourquoi nous avions opté pour un concours mixte. Ce à quoi a parfaitement répondu l’équipe d’Oma. L’environnement dans lequel s’insère le bâti qu’il propose n’a pas été simplement donné, mais construit de façon à favoriser l’échange. Je trouve que cette empreinte du bâti sur l’espace et de l’espace sur le bâti est bien traitée. Notre école manifeste son ouverture sur la société. Quiconque pourra la traverser ou en faire le tour.

– Nous parlons d’un bâti qui va se trouver dans un campus lui-même situé sur le Plateau de Saclay… Dans quelle mesure ce contexte sert votre projet.

Le projet de Paris-Saclay est particulièrement original, en France du moins : c’est le seul qui ne soit pas un projet urbain, mais développé dans un territoire encore rural ! Ce qui rend ce projet passionnant car il nous laisse définir ce que peut être un campus urbain. Paris-Saclay ne sera pas un campus perdu au milieu de la nature. Comme le souligne l’EPPS, c’est aussi et peut-être d’abord un projet de ville. Une ville au sens où il s’y manifeste de l’urbanité. Une ville qui, en outre, sera très en prise avec l’environnement y compris naturel. Pouvoir se dire qu’on va concevoir tout à la fois un espace académique, universitaire, dédié à la recherche et à l’enseignement supérieur, mais aussi à des entrepreneurs innovants, et concevoir une ville, c’est une perspective que je trouve passionnante et stimulante.

Propos recueillis par Sylvain Allemand.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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