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Aménagement & Architecture

« Nous proposerons parmi les meilleurs logements qu’on puisse construire en France »

Le 11 janvier 2023

Architecte urbaniste de l’agence germe&JAM, Jean-Marc Bichat témoigne de la maîtrise d’œuvre urbaine du quartier de Moulon.

En 2016, une nouvelle équipe – le groupement composé de l’Atelier de paysages Bruel-Delmar, mandataire du groupement, de germe&JAM, architectes-urbanistse, d’Agathe Argot-Scène publique (concepteur lumière) et du bureau d’études techniques Artelia – avait été sélectionnée par l’EPA Paris-Saclay pour assurer la maîtrise d’œuvre urbaine et la maîtrise d’œuvre des espaces publics du quartier de Moulon via un accord-cadre d’une durée de six ans. Architecte urbaniste de l’agence germe&JAM, Jean-Marc Bichat témoigne.

- Pour commencer, pouvez-vous caractériser l’agence germe&JAM ?

JMB : Notre agence est un collectif issu de la fusion de deux ateliers d’architecture et d’urbanisme : l’atelier JAM créé, en 1994, par d’anciens étudiants de l’École Nationale Supérieure d’Architecture (ENSA) de Versailles – outre moi-même, Philippe Chavanes, Paul Bouvier, Vincent Marniquet et Mireille Rouleau* – et l’atelier Patrick Germe, qui avait été notre enseignant. Nous étions dans les années 1990 marquées par les événements de La Courneuve et des Minguettes, la Marche des Beurs… Nous voulions articuler davantage l’architecture aux questions urbaines et territoriales, et, pour tout dire, à la question sociale. Tout praticien que nous soyons, nous avons choisi d’enseigner : sur les cinq associés, quatre sont ainsi enseignants, dont moi-même qui enseigne à l’ENSA Paris – Val de Seine. Nous sommes attachés à ne pas scinder la pratique de la recherche et de la théorie.
Selon le plan de charge, nos effectifs oscillent autour de vingt-cinq personnes qui couvrent des compétences en matière d’architecture, de conception urbaine et territoriale, ainsi que dans le domaine du paysage – notre collectif comprend cinq paysagistes en interne, tout en faisant appel à des paysagistes reconnus pour les besoins de nos grands projets.

- Comment en êtes-vous venu à la maîtrise d’œuvre urbaine ?

JMB : Les missions de maîtrise d’œuvre urbaine sont relativement récentes dans les métiers de l’urbanisme et de l’aménagement. Elles apparaissent au tournant des années 2000. La conception urbaine était souvent réalisée dans le cadre des missions de conception architecturale. La construction des grands ensembles conjuguait ainsi souvent un plan de l’aménagement d’ensemble avec la réalisation des édifices et des espaces extérieurs, le plan d’ensemble étant une étape et une prestation réduite de la mission de maitrise d’œuvre. Bref, le projet « urbain » et de territoire importait peu… Ce sont nos enseignants et les architectes de ma génération qui s’y sont vraiment investis, non sans contribuer à en révéler tout le potentiel. Maintenant, si je devais définir cette maîtrise d’œuvre urbaine, je dirais qu’elle consiste en une mission de conception générale des espaces publics et du tissu urbain qui se déploie sur un temps long (en général plusieurs années renouvelables) et ce à toutes les échelles, du territoire au « plan guide » urbain jusqu’à l’îlot, la parcelle, les édifices.

- Qu’est-ce qui vous a prédisposés à vous intéresser à l’OIN de Paris-Saclay ?

JMB : Ses enjeux universitaires ! Deux de mes associés et moi-même avions consacré notre diplôme de fin d’études au rôle territorial et urbain de l’université à travers des exemples concrets (Jussieu à Paris, l’université d’Amiens). À l’époque, le ministre de l’enseignement supérieur, Lionel Jospin, avait lancé son plan « Université 2000 », un plan de recapitalisation immobilière qui fut l’occasion d’interroger le modèle des campus à la française implanté en périphérie, loin des centres villes.
Nous avions été primés à l’occasion du concours d’idée PAN (Programme Architecture Nouvelle) Université en 1990. Quand des années plus tard le projet de Paris-Saclay a vu le jour, nous y avons donc prêté une attention particulière, notamment sur la question de l’articulation de l’université avec la ville, de la mise en en relation de son campus avec le reste du territoire. Imaginer ce projet universitaire à l’échelle du Grand Paris peut être une bonne idée, même si sa localisation a pu et peut encore interroger.
Il faut aussi saluer la volonté de sortir de l’opposition universités/grandes écoles qui caractérise depuis si longtemps le système d’enseignement supérieur français. Le projet Paris Saclay part du principe que l’innovation et la recherche ne se font pas à huis-clos – si tant est qu’elles l’aient jamais fait -, en dehors de toute urbanité. Il suppose que les gens (chercheurs, étudiants, entrepreneurs…) se rencontrent, échangent, interagissent, de manière plus ou moins informelle. Personnellement, j’en étais d’autant plus convaincu que mon père, ingénieur agronome, m’avait très tôt expliqué combien il était illusoire de croire que le chercheur faisait des découvertes seul dans son laboratoire. En réalité, les interactions même informelles – le fameux effet cafétéria -, participent à l’émergence et à la diffusion des idées. À l’échelle d’un territoire, c’est le principe du cluster, consistant à associer universités, entreprises et zones résidentielles.

- Vous prenez part au projet depuis 2016 à travers le groupement en charge de la maîtrise d’œuvre urbaine de la ZAC Le Moulon. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette mission ?

JMB : La perspective de faire équipe avec les paysagistes Anne Sylvie Bruel et Christophe Delmar. Ironie de l’histoire, nous les connaissions bien pour avoir été en concurrence sur plusieurs concours, depuis quasiment une vingtaine d’années – Ils ont notamment assuré la maîtrise d’œuvre du projet urbain des Rives de la Haute Deûle à Lille dont nous avions emporté le concours pour l’élaboration du plan guide, trois ans plus tôt. Le même scénario devait se produire à Nantes. Bref, nous poursuivions un cheminement parallèle, dans un respect réciproque, mais sans nous être vraiment croisés, dans le cadre d’un groupement. Notre collaboration s’est révélée on ne peut plus fructueuse, tant sur le plan professionnel que sur le plan humain.

- Comment avez-vous appréhendé le fait d’intervenir dans un projet urbain déjà engagé ?

JMB : Nous avons pris le relais du groupement MSTKA (Saison Menu & Associés, Taktyk, Artelia), suite à un dialogue compétitif mené par l’EPA Paris-Saclay auquel nous avons été invités à participer, avec d’autres agences, pour poser un regard « critique », dans le bon sens du terme, sur ce qui avait été réalisé. Il ne s’agissait pas de dénoncer ce qu’avaient fait nos prédécesseurs, mais de mettre à profit notre regard extérieur.
Pour notre part, nous avions questionné le principe du zoning. Il nous semblait entrer en contradiction avec la vocation du cluster Paris-Saclay tel qu’il avait été pensé à son origine, à savoir favoriser les rencontres, les échanges entre des personnes – chercheurs, étudiants, ingénieurs… – de différents horizons, de façon à susciter des découvertes, à créer de l’innovation. En cela, le projet de Paris-Saclay prend acte du fait que celles-ci ne se font plus dans des laboratoires ou des centres de recherches peu ouverts sur l’extérieur. Nous avons également insisté sur notre volonté de poursuivre la démarche de Michel Desvigne, dont le groupement avait défini le plan guide de l’ensemble de l’OIN.

- En quoi celui-ci vous paraît-il adapté ?

JMB : Il a su traiter trois enjeux majeurs. En premier lieu, la grille : celle qui est proposée permet de porter un développement urbain périmétré et territorialisé, au sens où elle s’inscrit dans un système de communes linéaires. Ensuite, la « géographie augmentée », soit la manière dont cette grille s’insère en laissant toute sa place à la géographie du territoire, avec son plateau, ses vallées. Un principe qui ne nous paraissait pas cependant avoir été appliqué à la lettre, les vallées nous semblant avoir été un peu délaissées par le projet urbain. Or, la vallée Sud, en particulier, est une composante essentielle du territoire : c’est là que les habitants résident pour l’essentiel ; a contrario, le plateau, exposé aux vents, est plus difficilement habitable. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on comptait jusqu’ici l’on y compte encore peu de logements. Il nous a donc semblé qu’il fallait être plus ambitieux dans l’approfondissement, le traitement des rapports entre plateau et vallée.
Enfin, troisième enjeu : la densité et les formes urbaines. L’équipe de Michel Desvigne a considéré qu’on pouvait densifier le plateau, mais à la condition de se limiter aux bords du plateau, à un cordon aussi réduit que possible, de façon à préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers, quitte à sur-densifier ce cordon. Négociée avec les élus, cette densité s’est traduite concrètement par un plafonnement des bâtiments à R+5, en moyenne. À l’origine, le programme de la ZAC a été calculé sur ce plafond R+5 avec un résultat qui peu paraitre parfois discutable au regard notamment des enjeux d’attractivité résidentielle. Si on veut attirer les classes moyennes et faire en sorte qu’elles restent dans le quartier, il faut leur proposer des logements de qualité, spacieux, diversifiés au risque sinon de reproduire ce qui s’est passé dans les grands ensembles construits dans les années 1960 – les classes moyennes auxquelles elles étaient destinées les ont finalement quittées pour des maisons avec jardin.
Au-delà du cluster, c’est bien une ville qu’il s’agit de bâtir avec ses quartiers reconnaissables à leurs espaces publics, leurs commerces et leurs logements.

- À vous entendre, vous vous inscrivez bien dans l’esprit du plan guide, tout en vous réservant la possibilité de l’interpréter sinon de le traduire...

JMB : En effet, il s’agit bien pour nous de nous inscrire dans ce plan guide. Nous avons d’ailleurs échangé avec Michel Desvigne. Un plan guide est un passage obligé qui n’a pas vocation à rentrer dans le détail, mais à définir les orientations stratégiques, de surcroît à l’échelle d’un grand territoire, celui de l’OIN en l’occurrence. Dans son ensemble, le plan guide de Michel Desvigne a eu le mérite de poser les principes et les concepts, en composant avec les particularités du territoire tel que son système de rigoles et d’étangs hérité du XVIIe siècle.
Il aurait pu décliner précisément ses orientations à toutes les échelles, jusqu’à celle des quartiers et des îlots. Ce n’est pas le parti qu’il a pris, ni peut être la demande qui lui avait été faite à l’époque par l’EPA Paris-Saclay. Personne ne pouvait prétendre traiter de toute la complexité du projet, jusqu’à la plus petite échelle. D’autant que d’autres parties prenantes ont leur mot à dire, à commencer par les élus et les habitants.
Une fois le plan guide défini, c’est tout naturellement que d’autres équipes ont été sollicitées pour traduire ces principes à l’échelle des ZAC. Notre intervention correspond à une troisième étape consistant à traiter des secteurs restant à aménager dans le quartier de Moulon. Impulsé notamment par l’équipe Bruel Delmar, nous avons d’emblée porté une attention particulière au système hydraulique du plateau, quelque peu dégradé sous l’effet de son urbanisation. Nous avons notamment proposé de reconnecter les rigoles brisées par l’urbanisme contemporain. Le nouveau pont programmé au niveau de l’échangeur devrait intégrer par exemple un ouvrage de raccordement de la rigole de Corbeville.
Nous avons aussi cherché à orienter la grille urbaine du quartier de Moulon en insistant sur la relation plateau/vallée. L’aménagement des voies nord sud marque ainsi la primauté de cette orientation géographique par l’aménagement de noues plantées et la continuité des tracés et des systèmes de sol.
Alors, oui, nous nous inscrivons dans le plan guide, mais en nous autorisant à en interpréter les principes à l’échelle d’un quartier. Ajoutons que notre arrivée correspond à un changement de gouvernance de l’EPA Paris-Saclay, ayant visé à impliquer davantage les collectivités. Ce qui correspond à la pratique habituelle de notre équipe : travailler avec les acteurs du territoire où nous intervenons, les élus, les habitants, sans oublier le pôle universitaire. Si défi il y a, il est de trouver un juste équilibre entre les communes et ce dernier : de par sa taille, les flux qu’il engendre, ses effectifs, sa superficie, un campus universitaire est un acteur territorial puissant, à même de contrarier la capacité d’action des communes où il se trouve implanté. Il importe donc que les composantes giffoise et orséenne de la ZAC de Moulon parviennent à une masse critique suffisante pour produire de l’urbanité dans l’intérêt de toute la population : les universitaires (chercheurs et étudiants), bien sûr, mais aussi les habitants. Gardons à l’esprit qu’une ville est faite aussi de diversité.

- De là l’importance que vous accordez à la qualité des logements ?

JMB : En effet. Reconnaissons qu’en la matière, la situation est souvent catastrophique en France. Les conditions ne sont plus toujours réunies pour permettre à un architecte de faire de la qualité, le logement tendant à devenir un produit financier qui doit donc répondre à des exigences de rentabilité. Heureusement, il existe encore des projets ambitieux. Et c’est le cas de Paris-Saclay. Il faut à cet égard souligner le rôle de la maîtrise d’ouvrage, l’EPA Paris-Saclay, qui maintient un haut niveau d’exigence à l’égard des promoteurs, tant sur le plan de la qualité que des objectifs environnementaux. L’EPA Paris-Saclay nous a associés à la finalisation d’un cahier des charges qui permettra de proposer parmi les meilleurs logements qu’on puisse construire en France – avec par exemple jusqu’à 2,70 m de hauteur de plafond, des surfaces confortables, un bon éclairement des pièces, etc. Une qualité qui a pour ambition de permettre non seulement d’attirer des ménages des classes moyennes, mais encore, de les convaincre de rester dans le quartier.

« Le temps où il était possible de construire sans plus se préoccuper des conséquences en termes de consommation de terres agricoles est révolu. »

- Tout en limitant l’étalement urbain ?

JMB : Nous devrons plus que jamais composer avec l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Le temps où il était possible de construire sans plus se préoccuper des conséquences en termes de consommation de terres agricoles est révolu. C’est une chance pour Paris-Saclay qui ne connaîtra pas ainsi le même sort que les villes nouvelles qui n’ont pas pu empêcher la concurrence d’un étalement urbain au travers de zones pavillonnaires, faute d’avoir une offre de logements suffisamment attractives – on y revient.

- Au final, le mot ville est-il encore adapté pour rendre compte de ce qui se fabrique sur le plateau de Saclay ? Rend-il justice à l’urbanité que vous produisez dans ces secteurs du quartier de Moulon ? N’est-ce pas davantage un archipel urbain ou une ville archipel dont il faudrait parler ?

JMB : Plus que la ville, c’est la pertinence des périmètres de ZAC qu’il faut interroger. Nous intervenons parfois sur des territoires sans périmètre défini à l’avance, ce qui permet de raisonner une transformation plus équilibrée, moins zonée, car le propre d’un périmètre est d’induire une économie urbaine qui a aussi ses limites… cela conduisant souvent à une fragmentation du territoire, un effet de pièces. Quant à la ville archipel, elle offre l’intérêt de proposer une alternative à l’étalement urbain en privilégiant des polarités autour d’une ville-centre, les espaces naturel, agricole et forestier, considérés jusqu’ici comme du vide, faisant le lien entre elles. La difficulté consiste à maitriser sur le long terme l’épaisseur des espaces non urbanisés. Mais cette configuration en forme d’archipel est bien celle qui est envisagée à l’échelle de l’OIN Paris Saclay.
Cela étant dit, je me souviens qu’en 2016, l’année où notre groupement a été retenu, le terme de ville était plutôt banni par l’aménageur ou les collectivités. On parlait plutôt de campus urbain. Pourtant, le mot de ville n’est pas dépourvu d’intérêt. Il a le mérite de poser d’emblée la question sociale : par définition, la ville est le lieu de la diversité, le lieu où des gens d’horizons très différents peuvent se côtoyer, se croiser. Pour ma part, je la préfère à la notion de campus urbain, qui a l’inconvénient de faire la part belle à l’université, avec le risque d’en faire un lieu dédié, spécialisé, auquel les non universitaires n’auraient pas accès. Pourtant, un campus ne peut prétendre vivre dans une totale insularité. Les pompiers doivent pouvoir y avoir accès, de même que les éboueurs, les livreurs, etc. Des habitants doivent pouvoir y vivre. C’est tout le sens des « campus urbains » tels qu’imaginés par l’EPA Paris-Saclay : des campus qui comptent des logements, mais aussi des équipements, des commerces. L’avenir appartient à ce modèle hydride intégrant ces facteurs d’urbanité qui font qu’une ville est une ville.

* Ces deux derniers ayant pris depuis leur « autonomie » pour être remplacés par Jean-Pierre Castel.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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