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Nombres et calculs : retour aux sources mésopotamiennes.

Le 24 septembre 2018

Suite de nos échos à l’inauguration de la MISS intervenue le 12 juillet 2018 à travers le témoignage de Raphaëlle Momal, doctorante en mathématiques appliquées, d’AgroParisTech/Inra, qui anime notamment un atelier sur l’histoire des nombres et des calculs mathématiques…

IconoMissRaphaelleMomalScreenshot from 2018-07-18 10-11-59– Si vous deviez rappeler, pour commencer, l’objet de cet atelier, même si son intitulé est explicite ?

Il propose ni plus ni moins à des élèves, de la CM1 jusqu’à la 6e, de voyager très loin dans le temps ! Nous remontons à près de 5 000 ans en arrière, pour découvrir la manière dont on écrivait les chiffres et comptait en Mésopotamie : l’écriture cunéiforme et la base 60, un système complètement différent du nôtre, que les élèves apprennent à l’école. Ainsi, l’atelier est, pour eux, l’occasion de prendre conscience que plusieurs systèmes d’écriture des nombres se sont succédé ou ont coexisté au cours de l’histoire, et que d’autres pourraient voir le jour. Les élèves sont d’ailleurs invités à en imaginer un.

– Est-ce une forme de relativisme appliqué aux sciences qu’il s’agit de leur inculquer ?

Je parlerai davantage de prise de recul, par rapport à des convictions et certitudes. Au cours de ses études, un élève est amené à devoir assimiler de très nombreux savoirs et connaissances, sans plus avoir le temps de prendre justement de distance, de questionner ce qu’on lui enseigne. Cet atelier permet, donc, non pas tant de relativiser, que de garder en tête que d’autres modes d’écriture des nombres et systèmes de numérotation ont existé ou existent encore, et que l’on ne perd rien à les découvrir, à en comprendre les principes.

– Comment les élèves réagissent ? Se prêtent-ils au jeu ?

Au début, ils sont surpris par la manière dont, dans la civilisation mésopotamienne, on se représente des nombres. Tout cela leur semble « bizarre » tant c’est différent de notre manière de faire, qu’ils considèrent a priori comme la plus naturelle et la plus logique. En réalité, ce n’est pas si simple et pour les en convaincre, nous prenons, entre autres exemples, celui du poisson et la manière dont on se les représentait dans l’écriture cunéiforme. IconoMissRaohaelleMomalScreenshot from 2018-07-18 10-15-01Au début, il était représenté par un idéogramme, avant d’apparaître au travers de symboles plus abstraits, qui, naturellement, ne « parlent » pas aux enfants. Ce qu’ils ne manquent pas de nous dire. C’est alors que nous écrivons « poisson », en toutes lettres, sur le tableau, en leur demandant si cela peut prétendre en « représenter » un plus fidèlement. Force est d’admettre que non. Petit à petit, nous les amenons ainsi à prendre conscience de la grande diversité de formes d’écriture, des choses comme des nombres. Pour en revenir à l’écriture cunéiforme, elle a ceci de particulier de recourir aux mêmes signes, à base de clous et de chevrons, pour écrire et compter, et pour cause : ces caractères sont les seuls imprimables sur de l’argile au moyen d’un roseau. Soit les ressources dont la Mésopotamie était riche. Au passage, c’est l’occasion de sensibiliser les élèves à la manière dont les systèmes d’écriture reflètent les moyens dont dispose une civilisation à un moment donné de son histoire.

– Qu’en est-il des systèmes que vous leur proposez d’imaginer ?

Au début, ils peinent à comprendre où on veut bien les mener. Mais une fois qu’ils ont été sensibilisés au fait que d’autres systèmes numériques ont existé par le passé, différents du nôtre, ils saisissent l’intérêt d’en imaginer d’autres. Mieux, et c’est là qu’ils me surprennent, ils prennent la mesure du fait qu’un même système a fini par dominer à l’échelle mondiale, que cela est certes une chance, car cela permet à l’ensemble de l’humanité de communiquer, d’échanger, mais que cela s’est fait aussi au détriment d’une diversité de systèmes qui n’étaient pas dénués d’intérêt.
Si d’ailleurs le cas de la Mésopotamie concourt à susciter autant leur curiosité chez eux, c’est tout simplement parce que son système d’écriture est peu connu. Quand on leur demande où a été inventée l’écriture, ils citent spontanément la Rome antique sinon l’Egypte. Ils sont d’autant plus surpris d’apprendre que c’est en réalité en Mésopotamie que tout commence, et que notre manière de compter les heures vient en fait de leur système sexagésimal [cf nos heures de 60 minutes, de chacune 60 secondes…].

– Comment caractériseriez vous votre travail ? Cela relève-t-il de la vulgarisation ?

La vulgarisation s’inscrit dans une démarche descendante : on vulgarise des connaissances, des savoirs, pour les rendre accessibles à un grand public. Ici, nous sommes davantage dans une démarche horizontale, au sens où nous cherchons à échanger avec les élèves, d’avancer avec eux. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre, d’assimiler de nouveaux savoirs et connaissances, mais bien d’expérimenter, voire de créer, en les invitant à se mettre « à la place de », d’imaginer leur propre solution… C’est ce qu’on appelle la médiation scientifique, que je ne connaissais pas plus que cela avant de m’engager dans la MISS.

– Qu’est-ce qui vous a motivée à participer à ce type d’atelier ? Une thèse sur l’écriture cunéiforme ?

(Rire) Non. Celle que je mène actuellement porte sur les mathématiques appliquées… Mais, justement, j’étais intéressée à l’idée d’interagir avec d’autres disciplines. Naturellement, l’histoire des nombres ne pouvait que retenir mon attention. D’où le choix de cet atelier et de celui consacré aux rapports entre mathématiques et botanique, qui m’aura aussi permis d’apprendre beaucoup. Je ne connaissais rien à l’écriture cunéiforme avant de me lancer. C’est proprement passionnant, et cela me conforte dans l’idée que nous pourrions ouvrir cet atelier comme bien d’autres, aux adultes, a priori plus formatés que les élèves mais non moins curieux. En tant que doctorante, j’ai davantage affaire à des post-bac dans le cadre des enseignements que je donne. Participer à la MISS était aussi pour moi l’occasion d’en savoir plus sur la manière dont les sciences s’enseignent aux plus jeunes.

A lire aussi les entretiens avec Camille Baida, médiatrice de l’association ArkéoMédia (pour y accéder, cliquer ici) ; Coralie Caron, qui poursuit une thèse en biochimie à l’Institut Curie, de la Faculté des sciences d’Orsay (cliquer ici) ; Ludmilla Guduff, doctorante en chimie analytique, à l’Institut de chimie des substances naturelles, le pôle chimie du campus CNRS de Gif-sur-Yvette (cliquer ici) et Mélanie Guenais, enseignante-chercheuse du département de mathématiques d’Orsay (cliquer ici).

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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