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Neuro-architecture et attractivité des lieux…

Le 23 août 2018

Tel était le thème de l’intervention de ce spécialiste de neuro-pharmacologie, Professeur au Collège de France, dans le cadre du colloque « Saisir le rapport affectif aux lieux », qui s’est tenu au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle, du 15 au 22 juin 2018. Où il était aussi question, avec Jacques Glowinski, de Paris-Saclay, en guise d’illustration d’un modèle simplifié du cerveau…

– Vous êtes intervenu sur le thème de la neuro-architecture. Comment en êtes-vous venu à développer une telle approche ?

Je suis neuro-pharmacologue de formation. A ce titre, je me suis intéressé aux modalités de transmission et de perception des messages neuronaux et à leurs modifications sous l’effet de substances d’origine naturelle ou synthétiques. Une approche qui s’est révélée très utile pour appréhender des enjeux liés à l’architecture et à l’urbanisme, auxquels je m’intéressais par ailleurs. De plus, j’ai eu la chance de rencontrer des architectes tels qu’ Oscar Niemeyer, durant toute l’année qu’il a passé en France, et Ricardo Bofill, qui fut le premier à me dire qu’il était sans doute utile de tirer profit des recherches sur le cerveau dans le domaine de l’architecture. Mais avant de préciser les liens de celle-ci avec le fonctionnement du cerveau, j’ajoute que, dès 1966, à mon retour des Etats Unis, j’ai pris part à l’introduction en France de la neuro-pharmacologie moderne en créant et développant un groupe de recherche au Collège de France. Au fil du temps, nos travaux m’ont conduit à développer un modèle simplifié de l’organisation spatiale et fonctionnelle du cerveau.

– En quoi consiste ce modèle simplifié ?

Schématiquement, ce modèle comprend trois réseaux : deux réseaux neuronaux, les réseaux exécutif et régulateur, et un réseau constitué de cellules gliales plus nombreuses que les neurones : le réseau énergétique. Le réseau exécutif mobilise la grande majorité des neurones et est impliqué dans l’exécution des fonctions dépendantes d’ensembles neuronaux distribués dans les sphères cérébrales, notamment les sphères sensorimotrices, émotionnelle et cognitive. Le réseau régulateur mobilise, lui, des catégories de neurones ayant des propriétés distinctes de celles du réseau exécutif ; leurs implications peuvent varier selon les personnes, le moment de la journée, les signaux extérieurs, le métabolisme intérieur. Ces neurones du réseau régulateur favorisent ou, au contraire, répriment les capacités opérationnelles des neurones du réseau exécutif. Enfin, le réseau énergétique a été découvert plus récemment, à partir de l’intérêt porté aux cellules gliales qui entourent les neurones. Jusqu’alors, on pensait qu’elles n’avaient vocation qu’à les protéger. En réalité, elles favorisent le transfert dans les neurones du glucose et de l’oxygène présents dans le sang et qui sont indispensables au fonctionnement cérébral. Elles participent également à l’élimination des déchets neuronaux. Sensibles aux médiateurs chimiques libérés par les neurones et communiquant entre elles, ces cellules gliales contribuent en outre à la régulation de l’excitabilité neuronale.

– Quelle a été la réception de ce modèle simplifié ?

Positive. En plus de servir à exposer les avancées de la neuro-pharmacologie, il s’est révélé être un outil de pédagogie efficace dans le cadre de mes enseignements. De fait, il permettait de donner un aperçu rapide et néanmoins suffisamment instructif de la manière dont le cerveau fonctionne. Puis, progressivement, au gré d’une série de rencontres, j’ai été amené – et j’en reviens ainsi à votre interrogation – à m’intéresser à l’architecture. D’abord, aux Etats-Unis, où j’ai séjourné de 1963 à 1966 et pu ainsi découvrir les campus à l’américaine, avec leurs lieux de recherche et d’enseignement proprement remarquables tant du point de vue de leur esthétique que de leur agencement, leur intégration dans l’environnement naturel, leur fonctionnalité et l’ambiance qui y régnait. A mon retour en France, j’ai, comme indiqué, intégré le Collège de France, au titre de chercheur. J’ai été d’autant plus frappé par le contraste entre les campus américains et l’allure générale de cette vénérable institution : elle était composée de différents bâtiments, tous anciens, mais d’époques différentes, cloisonnés et pour tout dire peu confortables – les amphithéâtres en particulier, n’avaient rien de fonctionnel. Dans plusieurs cas, j’ai été aussi frappé par la distance entre les Professeurs et les autres membres du personnel, qui, à l’époque, n’étaient pas encore représentés dans les instances de gouvernance de l’Institution. Rien de tel aux Etats-Unis où un tel clivage n’est pas concevable. Le biochimiste Julius Axelrod (et futur prix Nobel de médecine – il lui a été décerné en 1970), que j’ai eu la chance d’avoir comme patron de recherche du temps de mon séjour dans ce pays, travaillait dans un esprit d’équipe, avec les mêmes égards pour le personnel administratif que pour ses collègues chercheurs.
Au sein du Collège de France, le neuro-physiologiste Yves Laporte, conscient de la situation, avait institué un conseil d’établissement, qui a permis de combler en partie le fossé entre les différentes catégories de personnel. Il avait aussi commencé à réintroduire une vision d’ensemble de l’institution, intégrant les trois sites : outre celui de la place Marcellin Berthelot, ceux des rues d’Ulm et du Cardinal Lemoine. Il reste que l’éclatement entre autant de sites n’était pas très propice à une bonne circulation de l’information.

– Comment avez-vous commencé à transposer votre modèle à l’architecture…

Vers 1970, le projet d’agrandissement du stade de Roland Garros eut pour conséquence de contraindre l’Institut Marey, un centre de neurophysiologie du Collège de France, qui se trouvait alors au Bois de Boulogne, à déménager. En l’occurrence, à Gif-sur-Yvette. Avec le Professeur Albert Fessard, le directeur de l’Institut, nous avons sollicité un architecte pour concevoir un bâtiment adapté aux nouvelles conditions de la recherche. Malheureusement, l’un d’eux nous a été imposé, celui-là même qui avait conçu les bâtiments de l’Université de Jussieu en bordure de la Seine. Son projet pour l’Institut de Gif ne correspondait pas à ce que nous souhaitions, ce qui m’a amené a participer très activement à son amélioration et à m’intéresser de plus en plus à la conception des bâtiments universitaires. Mais, curieusement, je n’ai jamais occupé le laboratoire qui m’était destiné à Gif. Je suis resté au Collège. Après avoir été élu Professeur en 1981, j’ai été nommé en 1991 vice-président de son Assemblée des Professeurs. L’administrateur se trouvait être alors André Miquel, titulaire de la Chaire de Langue et de Littérature arabes classiques [1976-1997], qui avait dirigé la BNF. Le secrétaire de l’Assemblée des Professeurs n’était autre que Marc Fumaroli, historien, membre de l’Académie française, qui avait également longtemps séjourné aux Etats-Unis.
Durant l’été qui précéda notre prise de fonction, je pensais qu’une des priorités était de commencer à rénover les bâtiments du Collège. Cela m’a incité à élaborer un projet préliminaire de rénovation en en estimant le coût à quelque 300 millions de francs. Projet que j’ai naturellement soumis à André Miquel, qui en a parlé à Emile Biasini [alors Secrétaire d’Etat aux Grands travaux, auprès du ministre de la Culture et de la Communication], qu’il connaissait bien, et à Jack Lang [ministre de la Culture]. Quelques semaines plus tard, à ma grande surprise, la décision était prise de rénover le site Marcelin Berthelot du Collège dans le cadre des Grands travaux du second septennat de Mitterrand. Le budget alloué ne permettait pas d’entreprendre l’intégralité du projet, mais il était suffisant pour lancer un concours d’architecture ambitieux et réaliser la première phase des travaux. Il s’agissait notamment du centre de conférence qui comprenait notamment tous les nouveaux locaux en sous-sol, sous les trois cours du bâtiment Chalgin : les cours d’honneur, Letarouilly et Budé.
C’est dans ces conditions, que mes collègues m’ont proposé d’être le responsable pour le Collège de cette opération de rénovation, en m’associant à Luc Tessier, le responsable de la maîtrise d’ouvrage déléguée dans le cadre de la mission des Grands travaux. Ma première initiative a été d’établir, avec une équipe d’une dizaine de personnes (professeurs, chercheurs et administratifs), un programme global et détaillé des quatre phases envisagées au départ pour la rénovation du site Marcelin Berthelot.
L’enjeu était de mieux répartir les locaux destinés aux enseignements, à la recherche, à la documentation, aux équipements et aux services administratifs. Il était aussi de faciliter la circulation de l’information entre les différents sites du Collège et de favoriser l’interdisciplinarité en supprimant au maximum les cloisonnements. Ceci nous a très rapidement conduits à réfléchir à une rénovation plus globale incluant les différents sites de l’Institution. Il s’agissait aussi de créer par l’organisation spatiale et le choix des matériaux, les conditions d’une ambiance à la fois respectueuse de l’esprit du lieu et conviviale. Le programme imaginé par notre équipe fut naturellement transmis aux « programmistes » de la mission des Grands travaux, étape indispensable pour lancer le concours d’architecture. C’est le projet des architectes Bernard Huet et Jean Michel Wilmotte qui fut retenu…

– Pourquoi ?

D’abord, parce que ce projet respectait l’histoire du bâtiment tout en introduisant toute la modernité nécessaire. Il s’inscrivait parfaitement dans l’architecture existante. Concrètement, les architectes avaient envisagé de prolonger les murs et ouvertures du rez-de-chaussée du bâtiment principal jusqu’au niveau du sous-sol, créant ainsi une continuité et un enracinement élégant du bâtiment Chalgrin. L’aménagement souterrain du centre de congrès, sous les trois cours du bâtiment – notamment celui de l’amphithéâtre Marguerite Navarre et de son foyer – était très fonctionnel et harmonieux. Tout en étant contemporaine, l’architecture évitait les effets de rupture. Ce faisant, le projet de Bernard Huet et Jean Michel Wilmotte s’inscrivait bien dans l’esprit du programme que nous avions imaginé.

– Comment la suite s’est-elle déroulée ?

Comme, je l’ai déjà évoqué, le projet de rénovation devait se dérouler en quatre phases. Si la première phase était financée, le lancement des trois autres nécessitait l’obtention de nouveaux financements. La première phase s’est achevée en 1998 avec la réalisation du centre de conférences. La phase suivante a été plus difficile à lancer car le ministre de la Recherche de l’époque n’était guère favorable au projet. Pour des raisons inexpliquées, on nous imposa de lancer un nouveau concours d’architecture. La candidature de Jacques Ferrier fut retenue, mais des difficultés administratives retardèrent encore le projet. Celui-ci démarra finalement grâce au soutien du nouveau président de la République, Jacques Chirac. Jusqu’au bout, il ne m’en fallut pas moins me battre pour convaincre les responsables ministériels et trouver de nouveaux financements. Une autre des difficultés était de convaincre les collègues réticents à l’idée de déménager – je précise que les activités du Collège n’ont jamais cessé durant les travaux, ce qui n’a fait qu’accroître leur complexité. C’est à partir de 2002 que nous avons aussi entrepris des travaux sur les autres sites en utilisant des crédits propres au Collège. Nous avons ainsi rénové complètement le site de la rue d’Ulm, transformé la station de Marcellin Berthelot, située à Meudon, en centre d’accueil pour les chercheurs étrangers, ou encore rénové la station d’embryologie de Nogent pour la louer. Le projet de Jacques Ferrier et de son agence était de rénover les trois bâtiments accolés de laboratoires construits dans les années 1920-1930 et principalement destinés à la physique, la chimie et la biologie, et de créer une bibliothèque générale. Dans l’ensemble, ce projet correspondait très bien à nos attentes. Lors de la seconde phase, Jean-Marie Couster (un architecte ayant travaillé avec Jean Michel Wilmotte) fut associé à l’équipe de Jacques Ferrier pour veiller à préserver l’homogénéité de l’ensemble de la rénovation et pour rénover également le site de la rue d’Ulm.
En 2006, je partais à la retraite. Mais mes successeurs, Pierre Corvol (biologiste, spécialiste de l’hypertension) puis Serge Haroche (physique quantique) m’ont demandé de continuer à m’occuper du projet de rénovation. J’aurai ainsi suivi ce projet pendant 22 ans, de 1991 jusqu’à son achèvement, en 2013.

– Quel enseignement tirez-vous de cette expérience ?

Je me souviens des premières paroles d’Emile Biasini, au moment de son lancement, au début des années 90 : « Vous verrez, vous vivrez une belle aventure, mais elle sera semée d’obstacles ! ». Il n’eut pas complètement tort ! De fait, on ne rénove pas un lieu comme le Collège de France sans susciter des résistances ni se heurter à des contraintes techniques. Cela étant dit, le modèle du cerveau simplifié – j’y reviens – s’est révélé fort utile pour appréhender la rénovation d’un ensemble aussi complexe de sites.
Comme pour le cerveau, celui-ci comprend trois réseaux : un réseau exécutif correspondant aux différentes fonctions de l’institution (l’enseignement, la recherche, les équipements et l’administration) et dont les locaux respectifs doivent être répartis dans les divers bâtiments de façon cohérente et fonctionnelle ; un réseau de régulation, incarné, lui, par les cheminements, les axes de circulation, la lumière, l’éclairage, la transparence, la signalétique, sans oublier l’ambiance générale et l’existence d’espaces propices aux rencontres fortuites ; enfin, le réseau technique, principalement déployé dans une galerie souterraine et qui assure l’éclairage, le chauffage, la climatisation, etc.

– Venons-en à Paris-Saclay dont vous avez témoigné au cours de votre communication. Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans ce projet ?

C’est suite à ma rencontre en 2005 avec le Préfet de Région, Bertrand Landrieu, que j’avais invité au Collège de France. Il m’a sollicité pour être l’un des deux garants de la concertation d’un projet d’urbanisme mené sur les départements de l’Essonne et des Yvelines. Ainsi, pendant trois ans, j’ai fait partie d’une équipe animée par Jean-Pierre Dufay , un polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussées. Je me rendais toutes les semaines dans des locaux aménagés dans l’aéroport de Toussus-le-Noble. Ma mission était de consulter les industriels et les universitaires. Lucien Chabasson, le second garant de cette concertation, était plus particulièrement chargé des relations avec les représentants des communes et les associations. J’ai pu ainsi prendre la mesure des problématiques du Plateau de Saclay.
Puis il y eut, en 2008, le lancement du Plan Campus auquel je devais aussi participer en intégrant le comité de sélection des projets des grands centres universitaires. Comme vous le savez, celui de Paris-Saclay ne fut pas retenu lors de la première sélection car, en dépit de la qualité scientifique unanimement reconnue des différents acteurs, le projet manquait de cohérence et d’envergure pour favoriser le rapprochement entre l’université Paris 11 et les Grandes Ecoles. Je peux témoigner du mécontentement que cela avait suscité chez la ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse. Elle décida de me confier la mission de chef de projet pour arriver à construire un second projet pouvant convaincre et satisfaire les membres du Jury. Un second chef de projet, Vincent Pourquery de Boisserin, fut nommé par Christian Blanc, alors Secrétaire d’Etat, chargé du Grand Paris, qui était lui aussi très mécontent de cette situation. L’entente avec Vincent Pourquery de Boisserin fut parfaite. Nous avions des compétences complémentaires et nous sommes rapidement devenus des amis. Cet Ingénieur général des ponts eaux et forêts est actuellement coordinateur du projet Charles de Gaulle Express.

– Aviez-vous de nouveau utilisé votre modèle simplifié du cerveau ? Et d’ailleurs, jusqu’où peut-on pousser l’analogie avec un projet comme Paris-Saclay ? Autant on peut concevoir sa transposition à l’échelle d’un ensemble de bâtiments – ceux du Collège de France, en l’occurrence – autant on peut s’interroger sur sa pertinence à l’échelle de tout un écosystème…

Effectivement, cela ne va pas de soi et je me suis d’ailleurs gardé de remobiliser en l’état mon modèle, même s’il partage une qualité avec le cerveau, le fait d’être adaptatif. Toujours est-il que le défi n’était bien évidemment pas de même nature que pour le Collège de France. Dans le cas du campus de Saclay, il s’agissait de réunir un peu plus d’une vingtaine d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Dans ce contexte, il m’a paru nécessaire d’utiliser une approche différente, qui surprenne assez les parties prenantes, pour les amener à adopter une autre manière d’envisager le projet, sans jeux de posture. Schématiquement, elle consistait à envisager le Plateau de Saclay à l’image d’une fleur avec trois pétales et un bouton central, une tige et des feuilles…

– Pourriez-vous vous expliquer ?

La tige représentait métaphoriquement les liaisons entre les différents établissements présentés sur Plateau de Saclay, plus particulièrement celle reliant Polytechnique et Supélec, au voisinage du CEA. Les feuilles représentaient, elles, des lieux de respiration, à l’interface du monde de la recherche et de celui des entreprises (grands groupes, mais aussi PME, start-up,…). Il fallait par conséquent se garder de densifier ce futur campus, d’autant plus que Christian Blanc avait judicieusement proposé de transférer la plus grande partie des laboratoires du Campus d’Orsay sur le Plateau de Saclay.
Quant aux trois pétales en forme de cercle, elles illustrent la méthode de concertation élaborée en accord avec mon alter ego, Vincent Pourquery de Boisserin. Chacun de ces cercles réunissait une vingtaine de personnes. Le premier, le cercle exécutif, comprenait des représentants ou responsables des principales fonctions d’enseignement et de recherche des établissements du futur campus (dans les domaines des mathématiques, de l’astrophysique, de la physique, des sciences de l’ingénieur, de la chimie, de la biologie humaine, animale et végétale, des sciences sociales etc.). Le deuxième cercle, le cercle régulateur, était constitué de représentants politiques (des élus), de responsables administratifs, de représentants des agriculteurs, des entreprises, des étudiants, de diverses associations du territoire, etc. Enfin, le troisième cercle se composait des différents responsables de la transformation urbaine (promoteurs, urbanistes, architectes, géologues, paysagistes, économistes,…).
Les membres de chaque cercle étaient invités à s’exprimer sur leurs souhaits, préoccupations et priorités, à évoquer les obstacles rencontrés, tout en pouvant se concerter avec des collègues extérieurs. Par ailleurs, deux représentants de chaque cercle participaient au point de convergence (le bouton de la fleur), aux côtés des deux chefs de mission, d’Alain Bravo (président d’un comité de gouvernance du campus et directeur de Supélec), du président de l’Université de Paris 11, des directeurs scientifiques du CEA et de l’Ecole polytechnique, enfin, du directeur de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Cachan [aujourd’hui ENS Paris-Saclay]. Ce point de convergence se tenait chaque semaine, dans mon bureau au Collège de France, pour suivre les évolutions de la concertation, identifier les axes qui se dégageaient et ajuster en conséquence les orientations initiales. Il fonctionna jusqu’aux décisions finales.
Une centaine de personnes auront ainsi été impliquées. Les échanges donnaient lieu à des synthèses qui devaient nourrir le rapport final, lequel fut remis, comme prévu, neuf mois après le lancement de la démarche.
Nous avions estimé à quelques 3,5 milliards d’euros le montant du budget nécessaire pour la réalisation du campus Paris-Saclay, que nous recommandions d’organiser autour de grands pôles : biologie/pharmacie/chimie (autour de la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, qui devait rejoindre le Plateau de Saclay), physique (Orsay, CEA,…), sciences de l’ingénieur (Centrale, Supélec, Polytechnique, l’ENS Cachan…), SHS (avec HEC), agro (Danone, AgroParisTech)… Toutefois, l’excellent projet initial de l’architecte urbaniste Bernard Reichen fut en partie modifié par Christian Blanc, toujours Secrétaire d’Etat pour le Grand Paris, et son principal collaborateur, Pierre Veltz, qui, par la suite, joua un rôle important dans la réalisation des différentes phases du projet. Celui-ci devint plus compact, plus dense, laissant moins d’espaces pour associer progressivement des entreprises au campus. Mais schématiquement, la distribution des pôles et établissements était respectée. J’aurais volontiers poursuivi cette expérience lors de la phase opérationnelle, ne serait-ce que pour contribuer à la mobilisation collective, indispensable à la réussite de ce type de projet. Il en fut décidé autrement. Pour autant, je n’éprouve aucun regret. Paris-Saclay a été une expérience très enrichissante. Je me réjouis de voir la place qui a été faite à des architectes aussi prestigieux que Renzo Piano. Cela concourt aussi à l’attractivité du campus au plan international.

– Avec le recul, le rhizome n’apparaît-il pas une métaphore plus à même de rendre compte de la dynamique de Paris-Saclay ? Vous-même avez recouru à la métaphore du végétal…

C’est vrai que cette notion est intéressante. Christian de Portzamparc l’utilise d’ailleurs pour évoquer le développement des villes. Mais le territoire de Paris-Saclay s’organisait autour de points fixes ou de polarités, si vous voulez : CEA, Polytechnique, le quartier de Moulon, le Campus d’Orsay (Paris-Sud),… Selon moi, il fallait assumer cette multiplicité de polarités et veiller à en faciliter les interactions par leur mise en réseau, plutôt que d’en imposer une seule. Même chose pour les lieux fonctionnels (cafés, crèches,…), que nous recommandions de créer à divers endroits. Pour tout dire, j’avais en tête l’exemple du Parc de la Villette avec ses diverses Folies, qui sont autant d’attracteurs, remplissant des fonctions diverses et néanmoins complémentaires.

– Au fil de vos réflexions autour de ce projet de Campus Paris-Saclay, tel que vous l’envisagiez, avez-vous rencontré la notion de sérendipité ?

Dès lors que vous créez des points de fixation, que vous les multipliez, vous engendrez une certaine viscosité, propice à l’émergence de rencontres et à des découvertes fortuites. Pour le dire autrement, vous rendez possible l’émergence de phénomènes, qui n’ont pas été programmés, encore moins planifiés. Même si nous n’y recourrions pas explicitement, la notion de sérendipité était bien présente dans notre manière d’envisager les choses.

– Dix ans après, quel regard portez-vous sur la dynamique de Paris-Saclay ?

Malheureusement, je n’ai fait que la suivre de loin. Au prétexte que votre mission est terminée, vous passez à autre chose. Quant à ceux qui prennent le relais, ils ne sont pas toujours disposés à vous tenir au courant et vous faire participer, même épisodiquement, à l’aventure. Ils ne cherchent pas non plus toujours à engager leur propre démarche dans une longue perspective, intégrant les étapes initiales.
Pourtant, quand on veut se projeter dans l’avenir, on gagne toujours à tirer parti du passé sinon à s’inscrire dans une filiation. Sans les nombreuses contributions d’un Yves Laporte et d’un André Miquel, je n’aurais pu mener mon projet de rénovation pour le Collège de France.
Mais pour en rester au Campus de Paris-Saclay, je regrette qu’on ait renoncé à transférer les laboratoires de Paris-Sud sur le Plateau. Cela ménageait la possibilité de transformer la vallée en une forme de ville étudiante, moyennant une rénovation des bâtiments. Devant les difficultés de transport qui ont toujours été un des grands obstacles au développement du Campus, nous avions même imaginé la construction d’un périphérique pour relier plateau et vallée.

– Mais ce projet-ci n’est manifestement pas abandonné…

Ce dont je me réjouis !

– Ajoutons que votre vision de Paris-Saclay, avec ses « attracteurs » et ses « émergences », n’est guère éloignée de l’expérience qu’on peut en avoir aujourd’hui…

Ce que vous dites-là ne peut encore que me réjouir !

– Un mot sur la neuro-architecture et ses éventuels prolongements ?

Je continue à la mobiliser actuellement pour les besoins du projet de la Cité de la Mode, auquel je participe en travaillant avec l’agence de Patrick Mauger, le chef de projet de la première phase de la rénovation du Collège. Il est devenu un ami et depuis quelques années, il me demande de participer aux réflexions initiales sur l’organisation spatiale et fonctionnelle de certains de ses projets.

Icono Jacques Glowinski_0944– Venons-en au contexte dans lequel se déroule l’entretien : le Centre culturel international de Cerisy où vous participez au colloque « Saisir le rapport affectif aux lieux »*. Que vous inspire ce lieu dans lequel je vois de prime abord une antithèse de Paris-Saclay tel que vous l’aviez envisagé avec ses multi-polarités ? Précisons que nous sommes au fin fond du Cotentin, dans un château du XVIIe siècle…

Au risque de vous surprendre, je ne vois pas d’antithèse ! Le Centre culturel international de Cerisy s’organise lui-même autour de plusieurs lieux et espaces : le château, bien sûr, mais aussi les corps de ferme réaménagés, le parc, le potager sans oublier les alentours. Tout cela constitue un cadre extraordinaire, qui se transforme sous l’effet de la présence des personnes qui l’investissent (intervenants et auditeurs). Des interactions se produisent, tout sauf programmées, instaurant une ambiance particulière, faite de beaucoup de convivialité. Nous n’avions pas d’autre intention pour Paris-Saclay : créer un cadre propice à des rencontres improbables et néanmoins indispensables, porteuses de nouvelles découvertes ou innovations [en illustration : le public du colloque de Cerisy au moment de l’intervention de Jacques Glowinski].

* Pour en savoir plus sur le programme de ce colloque, cliquer ici.

Sylvain Allemand
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