Entretien avec Antoine Miniussi, ingénieur système nanosat à l'ONERA
Si le New Space traduit l’émergence de tout nouveaux entrants sur le marché des lanceurs et des satellites – dont des start-up -, il n’en reste pas moins investi par des acteurs historiques de la filière aérospatiale. À l’image de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), au sein duquel travaille Antoine Miniussi, ingénieur système nanosat. Il nous explique comment l’ONERA participe à cette filière en faisant profiter de ses moyens d’essais et de ses expertises aérospatiales uniques. Et ce malgré les différences de temporalités entre celle imposée par la R&D et la démarche plus itérative et risquée adoptée par les start-ups.
- L’ONERA est reconnu comme un acteur majeur et historique de la R&D dans le domaine de l’aérospatial. Comment s’est-il saisi des enjeux et défis du New Space , qui se traduit par l’émergence de nouveaux acteurs engagés dans la course à la miniaturisation des lanceurs et satellites ?
AM : La vocation de l’ONERA a toujours été d’accompagner les industriels (grands et petits) du secteur aérospatial en poursuivant des travaux de R&D en partenariat et sous-traitance. C’est avec la même philosophie que nous envisageons nos rapports avec les acteurs du New Space , y compris les start-ups avec lesquelles nous avons déjà pris l’habitude de collaborer en leur faisant profiter de nos expertises et savoir-faire. Étant entendu que c’est une chose de travailler avec de grands industriels de type Thales, Airbus, etc., capables a priori de consentir d’importants investissements, c’en est une autre de le faire avec des start-ups qui, par définition, disposent de moins de ressources, tant financières qu’humaines, de moins de temps aussi…
Le New Space nous oblige donc à revoir certains de nos modes de fonctionnement. Un travail a été mené en ce sens, en interne, en vue de dégager des pistes de réflexion pour gagner en agilité et répondre ainsi au mieux aux attentes de ces nouveaux interlocuteurs qui ont le plus souvent besoin de réponses rapides à leurs problématiques.
- À vous entendre, ce New Space qui est présenté comme étant porté par de nouveaux « entrants » privés, vous offre aussi de nouvelles opportunités…
AM : Oui, et cette capacité à se renouveler, à interagir avec de nouveaux interlocuteurs, c’est ce que j’apprécie à l’ONERA. Il est vrai que l’Office a plus de soixante-dix ans d’existence, néanmoins la recherche et l’innovation étant son ADN, il s’adapte et évolue en permanence. Depuis son cœur de métier initial (l’aéronautique et défense), il a su évoluer en s’ouvrant à d’autres domaines d’expertise, non sans du même coup s’inscrire dans de nouvelles filières industrielles, à commencer par le spatial, à partir des années 1960. Indéniablement, une nouvelle filière est en train d’émerger avec l’arrivée de nouveaux acteurs, qu’il nous faut prendre en considération, d’autant plus qu’elle attire beaucoup de jeunes ingénieurs et startuppeurs. La plupart des interlocuteurs qui nous sollicitent ont entre 20 et 30 ans… Ils ne sont pas tous experts, mais ils sont passionnés et désireux d’investir le New Space . Ils ont des questions auxquelles il nous faut pouvoir les aider à répondre.
- Ce New Space est défini comme l’entrée de l’industrie du spatial dans l’ère de la miniaturisation des lanceurs comme des satellites, et de la démocratisation de l’accès aux données numériques et de leur traitement par l’IA. Est-ce ainsi que vous caractériseriez cette filière ?
AM : Il y a bien cette double logique de miniaturisation et de démocratisation, mais le New Space est loin de se réduire à cela. Je me garderai d’en donner une définition canonique, car il en existe plusieurs, ais, fondamentalement, ce New Space est d’abord une nouvelle approche consistant à gagner en rapidité, quitte à prendre plus de risque. Jusqu’alors, il était admis que la réalisation d’un programme spatial prenait nécessairement du temps, ne serait-ce que pour valider les bonnes options. Les promoteurs du New Space assument de pousser les essais moins loin, d’y consacrer moins de temps, en procédant par itération, autrement dit par essai-erreur. Une philosophie qui est viable économiquement dans la mesure où la miniaturisation des équipements – on y revient – réduit leur coût de fabrication. Les acteurs du New Space recourent autant que faire se peut à des technologies sur étagère, accessibles dans le commerce, en grande quantité, à des prix inférieurs aux technologies conçues sur mesure.
- Une philosophie que vous avez faite vôtre ?
AM : Non, loin de là. L’ONERA reste dans une logique de R&D, avec tout ce que cela signifie en termes de temporalité : nous prenons le temps d’innover et dé-risquer au maximum les nouvelles technologies avant de les transmettre aux industriels. J’ajoute que notre vocation est de mettre au point des technologies sur mesure, ce qui prend nécessairement du temps. Nous nous appuyons néanmoins sur ce qu’offre le New Space pour ces développements.
Comme le suggère bien notre logo, c’est du moins ainsi que je l’interprète, notre vocation est d’abord de faire le pont entre la recherche et l’industrie, dans le respect des temporalités des uns et des autres. Et cela reste vrai à l’heure du New Space.
- De quels atouts, de quelles ressources pouvez-vous vous prévaloir auprès des acteurs du New Space ?
AM : Notre premier atout, c’est notre multidisciplinarité. Nos recherches portent sur des domaines aussi divers que l’optique, l’électromagnétisme et le radar, la physique, les matériaux, le traitement de l’information et les systèmes, aérodynamique, énergétique. Si l’ONERA s’organise autour de sept départements scientifiques différents, tous savent dialoguer pour résoudre les problématiques transverses de nos partenaires.
L’ONERA, c’est aussi de nombreuses ressources technologiques et humaines, au point d’ailleurs que j’ai passé un an et demi à en faire l’inventaire. Quand bien même elles ne relèvent pas spécifiquement du New Space, elles peuvent être utiles à ses parties prenantes.
En premier lieu : des moyens d’essais dédiés, qui permettent de mener diverses expérimentations comme des tests de propulsion électrique pour mesurer très précisément les petites poussées de mini-propulseurs ; des bancs de décharge électrostatique, des bancs de vibration ; une enceinte à vide thermique, ou encore le banc PESO permettant de tester des technologies pour l’autonomie des petits systèmes spatiaux. Sans oublier le SpaceLab, un laboratoire de simulation numérique avancée en cours de développement, qui permettra de simuler l’environnement spatial, le contrôle de mission ou la gestion de constellations de satellites.
À quoi s’ajoutent des technologies tant hardware – caméras infrarouge et visibles, radars, capteur d’oxygène atomique, moyens de mitigation de décharge électrostatique, accéléromètres – que software – des logiciels pour du contrôle de pilotage de satellites, des logiciels pour la conception de systèmes spatiaux.
Enfin, 3e catégorie de ressources : des algorithmes, pour la simulation de l’écoulement fluide autour d’un lanceur, des atmosphères raréfiés en haute altitude.
- Participez-vous à des missions directement tournées vers le New Space ?
AM : Oui, elles vont de l’étude de l’ionosphère aux ceintures de radiation, à l’observation de la Terre, en passant par des moyens techniques pour atténuer les effets des décharges électrostatiques au sein des satellites. Ces missions ou études s’appuient sur les briques technologiques développées ces dernières années – les caméras embarquées, par exemple – qui sont durcies pour supporter les contraintes spatiales telles les radiations. Nous participons aussi à des projets de recherche associant directement des acteurs du New Space.
- Ici-même, dans l’écosystème de Paris-Saclay ?
AM : Oui. En voici un premier exemple : le projet CROCUS (ChaRging On CUbeSat) mené en partenariat avec le centre spatial de Polytechnique, avec pour objectif d’étudier les décharges électrostatiques dans les satellites, de valider une nouvelle génération de charges utiles et de démontrer l’efficacité d’un émetteur d’électrons ONERA pour limiter la charge négative des satellites. Autre exemple, la mission FLYLAB qui pave la route de l’observation de la Terre (visible et infrarouge) et des techniques de vol en formation.
Nous travaillons également avec le LATMOS, un laboratoire de l’Université de Versailles-Saint-Quentin, sur la charge utile CUIONO du nanosat INSPIRE-SAT7 qui devrait être lancé le 9 avril prochain, et le nanosat ASTERIX dont l’objectif est de mesurer le déséquilibre radiatif terrestre en concevant deux caméras embarquées, développées par nos soins.
- Une illustration, au passage, de l’intérêt de vous inscrire dans des écosystèmes territoriaux d’innovation…
AM : En effet, nous avons beau nous projeter dans l’espace, la proximité physique, géographique, est un atout pour faciliter les interactions avec nos partenaires même si, bien sûr, nous interagissons aussi avec nos collègues des autres sites de l’ONERA. Il reste que la dynamique à l’œuvre au sein de l’écosystème Paris-Saclay concourt à stimuler les envies de partenariats avec des acteurs locaux.
- Comment une start-up du New Space peut-elle concrètement vous solliciter ? Avez-vous mis en place un « guichet unique » pour l’orienter vers le bon interlocuteur ?
AM : Au sein de l’ONERA, je suis son interlocuteur tout désigné. Elle peut me contacter directement ou me croiser sur les salons professionnels. Bientôt, elle pourra s’adresser au ONSATLab (pour Onera Satellite Laboratory), un laboratoire transverse interne, mais qui devrait à terme faire office de point d’entrée pour les acteurs du New Space, start-up et autres. Je m’attelle actuellement à la finalisation de son site web. Par ailleurs, l’ONERA participe à BLAST, un programme d’accompagnement et d’accélération de start-up deep-tech dans le domaine aéronautique-espace-défense, lancé en 2020. Nous leur consacrons à chacune une centaine d’heures. J’en accompagne deux personnellement en leur faisant profiter de mon expertise technique.
- Dans quelle mesure prenez-vous en compte les préoccupations croissantes en termes de durabilité, d’efficacité énergétique ?
AM : Ce sont des enjeux majeurs auxquels je suis personnellement très sensible. Dès l’avant-projet, nous nous posons la question de l’impact environnemental, que ce soit de la mission elle-même ou de l’approvisionnement des pièces entrant dans la fabrication d’un satellite. Nous y sensibilisons directement nos fournisseurs. À l’image de ses travaux pour l’aéronautique, l’ONERA s’implique dans de la R&D qui répond aux contraintes environnementales. Par exemple, en 2021, l’ONERA s’est équipé d’un banc de simulation spatiale, ERIS, dédié à l’étude de la propulsion spatiale électrique. Autre exemple, dès 2015, l’ONERA planchait sur le projet HYPROGEO, en concevant et en testant un démonstrateur de moteur hybride. Nos missions spatiales sont d’ailleurs contraintes par la loi française de 2008 relative aux opérations spatiales – la seule loi à ce jour qui oblige les opérateurs à désorbiter leurs satellites en fin de vie afin de garantir un environnement spatial propre.
- Qu’est-ce qui vous a prédisposé à vous intéresser aux enjeux du New Space, même si on le devine au fait que vous êtes manifestement de la même génération que ces jeunes startuppeurs qui ont grandi dedans…
AM : Je m’y intéresse de longue date. Déjà, en 2010, mon projet de fin d’étude d’ingénieur à l’ELISA Aerospace, – une école d’ingénieurs qui venait d’être créée à Saint-Quentin (en Picardie) – avait pour objet la réalisation d’une mission à partir d’un nano-satellite – un cube de 30 cm de côté. J’aimais l’idée d’en avoir une vision globale en intervenant sur chacun des sous-systèmes. Ce qui n’est guère possible quand on travaille sur de gros satellites comme cela devait être mon cas au début de ma carrière professionnelle – j’ai travaillé chez Thales Alenia Space, à Cannes, sur l’assemblage de satellites de télécommunications – des satellites qui font de l’ordre de quatre tonnes et six mètres de côté… Puis j’ai fait une thèse en astrophysique – en instrumentation spatiale sur le satellite Planck, qui avait été déjà lancé à l’époque. Ce qui m’a amené à rejoindre la NASA, à Washington, où pendant six ans j’ai travaillé sur le futur satellite de la mission européenne ATHENA, le télescope spatial retenu par l’ESA pour sa future grande mission spatiale sur le thème de l’univers chaud et énergétique.
Des projets passionnants, mais qui me frustraient un peu dans la mesure où – j’y reviens – je n’avais qu’une vision restreinte du système d’ensemble. Il faut savoir que des centaines de personnes sont impliquées dans la conception de tels satellites, dans le cadre d’une division du travail qui ne vous en donne qu’un aperçu. Or, moi, j’avais envie d’avoir une vue plus globale de la mission et de me retrouver aussi dans un environnement plus dynamique. Accessoirement, je voulais aussi rentrer en France. En 2021, j’ai donc saisi l’opportunité d’une offre de recrutement d’un ingénieur système nanosat émise par l’ONERA, pour renouer avec mes premières amours. J’interviens au titre d’expert technique sur plusieurs des missions New Space que j’ai évoquées – FLYLAB, CROCUS, etc. – et comme business developer en contribuant à l’organisation initiale et la recherche de financement de futurs projets New Space en partenariat avec des acteurs privés et publics.
Journaliste
En savoir plus