Entretien avec David Besse, directeur de Dynamique Embauche
L’écosystème de Paris-Saclay avec ses pôles académiques, ses grandes écoles, ses universités, ses laboratoires et centres de R&D, mais aussi… ses associations et autres structures d’insertion par l’activité économique. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le Réseau de Cocagne. Voici Dynamique Embauche, dont le directeur nous dit plus. Merci à lui et à Charles Cosson, de la Terrasse Discovery +x, qui nous l’a fait découvrir. Preuve s’il en était besoin que des univers apparemment très éloignés peuvent tisser de précieux liens, en s’en remettant à de la pure intelligence… humaine.
- Pouvez-vous, pour commencer, définir Dynamique Embauche, sa genèse, son statut ?
David Besse : Dynamique Embauche est une association d’insertion créée en 1988, il y a donc près d’une quarantaine d’années, à l’initiative du Syndicat intercommunal des maires de la Vallée de la Bièvre, qui entendaient se mobiliser pour répondre aux problématiques du chômage de longue durée, qui se posaient dans leur commune, dans une démarche de service public de l’emploi. Dès l’année suivante, en 1989, ce syndicat intercommunal a adopté un statut associatif. Dans le même temps, les politiques publiques de l’emploi se sont structurées, en prenant le relai d’initiatives locales ou intercommunales : l’ANPE, créée en 1967, s’était bien structurée et en 1988 le RMI, aujourd’hui RSA, était mis en place, sa gestion étant confiée aux départements. Dans ce contexte Dynamique Embauche s’est muée en Association Intermédiaire (AI), agréée par l’État et le Département de l’Essonne. Désormais, son conseil d’administration n’est plus présidé par un maire. Sa vocation reste cependant la même : accompagner sur le plan socioprofessionnel des personnes parmi les plus éloignées de l’emploi : chômeurs de très longue durée, seniors, femmes seules avec enfant(s), jeunes de quartiers prioritaires de la politique de la ville, réfugiés, personnes en situation de handicap, bénéficiaires des minima sociaux.
- En couvrant quels domaines d’activité ?
D.B.: Au début, nous proposions principalement des activités de service à la personne, à domicile : ménage, repassage, bricolage, entretien de jardin,… ; de la formation en situation de travail. Il en a été ainsi de 1988 jusqu’à 2015. Cette année-là, Jean-Claude Bonnin, un historique issu du secteur médico-social, ancien conseiller municipal de l’opposition à Jouy-en-Josas, Président de Dynamique Embauche depuis plus de vingt ans, engage son développement en reprenant un atelier chantier d’insertion (ACI) qui était en faillite, La Repasserie de Courtabœuf.
- Et votre propre engagement au sein de Dynamique Embauche, à quand remonte-t-il ?
D.B.: A 2014. Cette année-là, j’entre dans le conseil d’administration, au titre de vice-président. L’année suivante, nous décidons de reprendre l’ACI La Repasserie, et deux ans après nous décidons de créer un service d’aide à domicile pour les personnes en situation de dépendance liée au vieillissement ou au handicap : Multiservices et Soins à Domicile (MSSD). Nous obtenons un conventionnement de la direction de l’autonomie du Conseil départemental de l’Essonne, avec un agrément SAAD pour cette nouvelle association. L’objectif était double : non seulement aider les personnes bénéficiaires du dispositif, mais aussi assurer une suite de parcours positive pour les salariés en insertion de Dynamique Embauche et de La Repasserie de Courtabœuf. Le principe de « suite de parcours » ou de « sortie en emploi ordinaire » constitue un critère d’évaluation majeur de l’État pour déterminer le montant de sa subvention. Concrètement, quand un salarié entre dans le circuit de l’insertion, son parcours est limité à deux ans ; nous ne pouvons pas l’accompagner au-delà – sauf dérogation si des freins subsistent encore. Pendant ces deux ans, donc -, nous accompagnons la personne de sorte qu’elle retrouve confiance en elle, un sentiment d’utilité sociale, des codes professionnels, et de la technicité professionnelle de façon à ce qu’elle puisse occuper un emploi en milieu ordinaire ou qu’elle intègre une formation certifiante ou professionnalisante.
C’est tout le sens de la diversification opérée dans le Service d’Aide à Domicile MSSD, qui permettait de former des personnes sur des métiers d’aides et de services relevant du secteur ordinaire. Nous faisions ainsi d’une pierre deux coups : proposer des emplois ordinaires à nos propres salariés en insertion.
Cependant, au cours de l’année 2018, nous nous sommes heurtés à un double problème. D’abord, nous nous séparons de la directrice du SAAD qui ne parvenait pas à équilibrer l’activité de l’association MSSD, puis l’année suivante du directeur de l’association intermédiaire et du chantier d’insertion. Se pose alors la question de les remplacer.
- Un aspect de la réalité de cette économie qui, bien que résolument sociale et solidaire n’en est pas moins confrontée à des problématiques de gouvernance…
D.B.: En effet ! À l’époque, j’étais engagé dans un autre secteur – je dirigeais des foyers de l’enfance en Essonne. Mais j’ai estimé que le temps était venu de prendre mes responsabilités. Après réflexion, j’ai propos au Président Jean-Claude Bonnin et au trésorier de l’époque, Michel Léon, un autre historique, ancien professeur de math et conseiller municipal à Igny, de quitter mes fonctions et de prendre la direction des trois structures. Une proposition qui a été bien accueillie ! Le conseil d’administration m’a confié une feuille de route axée sur le rééquilibrage des comptes, l’augmentation de l’activité des structures et la création d’une entreprise d’insertion pour entrer dans les orientations des nouvelles politiques de l’emploi et de l’insertion. Nous étions en 2020 et, déjà, on nous annonçait qu’il fallait engager l’ESS dans la voie de l’entrepreneurial social, autrement dit la professionnalisation et la commercialisation. Ce qui impliquait de sortir d’une logique de subventionnement et de bénévolat, d’assumer d’être un acteur compétitif et concurrentiel par rapport aux entreprises marchandes, commerciales, malgré cette différence de taille : nous employons une main d’œuvre objectivement moins productive. Un défi que j’ai souhaité relever avec une conviction : les ingrédients étaient là, c’est juste la recette qu’il fallait faire évoluer !
Depuis, je ne regrette pas mon choix. Certes, le développement de notre association me mobilise à plein temps, mais je sais déléguer, responsabiliser nos salariés et les clients sont au rendez-vous.
Avec cette entreprise d’insertion nous nous sommes lancés dans des activités nouvelles dans le BTP mais aussi la blanchisserie industrielle, dont nous devions tout apprendre ! Le Groupe Dynamique Embauche, c’est aujourd’hui l’association intermédiaire Dynamique Embauche ; l’Atelier et Chantier d’insertion La Repasserie de Courtabœuf ; le Service d’Aide à Domicile M.S.S.D. ; l’Entreprise d’insertion Les B.R.A.S. de Dynamique.
Et puis, en 2023, alors que l’objectif était de stabiliser l’ensemblier des quatre structures, nous avons saisi l’opportunité de racheter une deuxième entreprise d’insertion (RE-SACLAY) dans le secteur de l’écologie industrielle. Dans la foulée, nous avons créé une nouvelle association pour porter notre petit centre de formation professionnelle SVP Formation, désormais certifié Qualiopi !
- Comment financez-vous cette diversification ?
D.B.: Depuis sa création, notre association intermédiaire injecte des fonds propres pour financer ses projets. Nous faisons des avances de trésorerie entre nos structures pour leur permettre de réaliser des investissements. Et en complément de l’activité commerciale liée à tous les services et chantiers que nous assurons pour les entreprises, les collectivités et les particuliers, je monte des dossiers de demande d’aide exceptionnelle, tantôt pour du fonctionnement tantôt pour de l’investissement. Cela étant, c’est la qualité du travail produit et la bonne santé financière de l’ensemble qui reste le levier principal de notre réussite.
En 2021, nous avons procédé sur le plan commercial à de la suractivité volontaire de l’ACI La Repasserie pour préparer l’ouverture de l’entreprise d’insertion Les BRAS de Dynamique. J’ai prospecté de nouvelles entreprises pour gérer leurs tenues professionnelles et nous sommes ainsi montés jusqu’à 120-130% d’activité en rémunérant les heures sup’ en conséquence, en nous organisant en 2 X 7h (deux équipes travaillant chacune 7 heures par jour en chevauchement), ce qui est plutôt atypique dans notre secteur. Naturellement, ce ne devait être qu’une situation provisoire. Une fois l’entreprise créée, nous avons fait la bascule des bilans, redescendu le volume d’affaires au seuil habituel de notre chantier d’insertion. Ainsi, l’entreprise a pu démarrer en comptant déjà de gros clients industriels. En règle générale, il faut compter deux à trois ans pour qu’une entreprise d’insertion monte en puissance, franchisse les seuils, rembourse les avances de fonds des autres structures.
Deux ans plus tard, une nouvelle opportunité se présente : l’acquisition de l’entreprise Re-Saclay, qui nous a ouvert de nouvelles perspectives de développement dans le domaine de l’environnement et de l’écologie industrielle. Non sans renouveler la vision de l’ESS, puisque nous concilions le social et l’environnemental, en plus de l’économique. Seulement, nous ne disposions pas des fonds nécessaires. Surtout, nous n’avions aucune connaissance du secteur des déchets, mais alors aucune !
Malgré cela, en mai 2023, avec mon équipe de la production et de l’insertion, nous nous sommes jetés à l’eau. Autant vous dire que nous avons bu la tasse durant les premiers mois ; la première année s’est soldée par un déficit. La situation était critique : développer oui, c’est d’ailleurs pour cela que j’avais été recruté, mais il fallait veiller à l’équilibre des comptes et à maintenir les emplois créés ! Or, l’entreprise avait des dettes, au moment de son rachat, qu’il nous fallait rembourser, et présentait des mécanismes de surendettement. À force d’injecter des liquidités, les autres structures ont basculé dans le rouge… Heureusement, grâce aux efforts de chacun, le plan de redressement que m’a validé le conseil d’administration fin 2023 a atteint ses objectifs. Un an et demi après, l’exercice 2024 présente une croissance de +30% et presque toutes nos structures sont redevenues excédentaires.
Au passage, nous récoltons aussi les fruits de cette démocratie participative que j’ai tenu à mettre en place, dans le respect des valeurs de notre ancien Président M. Bonnin : je considère que je ne suis rien sans les autres, et eux ne sont rien sans moi. Un état d’esprit qui facilite l’appropriation collective du projet associatif. Je communique et j’accompagne énormément chaque salarié de l’équipe permanente. Le moindre effort est précieux, jusqu’à celui consistant à renégocier un prix fournisseur, à s’organiser pour réduire les besoins en effectifs pour une tâche donnée… C’est cette attention de tous les instants, qui, cultivée depuis près de deux, a produit ses effets positifs sur notre situation financière.
- Sans compter que les dividendes de structures comme les vôtres sont reversées à elles-mêmes et non à des actionnaires, ce qui peut être un autre facteur de motivation et d’engagement de vos salariés…
D.B.: Comme j’aime à le rappeler, je suis moi aussi un salarié ; je perçois un salaire fixe sans variables ni bonus en cas de résultats positifs : quand une prime est versée, son montant est le même pour tous les salariés, y compris moi, tout directeur que je sois. Même chose pour les autres avantages sociaux. Les dividendes sont comme vous le rappelez, reversés à la personne morale, une association à but non lucratif qui forme et embauche des personnes en situation difficile. Ils sont réinvestis dans nos ressources humaines, l’acquisition de nouveaux équipements, etc.
- Revenons à la démarche entrepreneuriale sociale dans laquelle vous avez voulu vous inscrire. Qu’implique-t-elle dans le management des effectifs, la gestion des ressources humaines ?
D.B.: Une première conséquence, c’est que nous ne pouvions plus nous dispenser de fiches techniques pour définir, décrire les process de travail, ni d’un effort de veille juridique et d’actualité sur la sécurité, la prévention, la mécanisation de certaines tâches. Autre conséquence : nous nous retrouvons désormais dans la cour des grands : travailler avec Bouygues constructions ou Eiffage, le Conseil départemental, le groupe La Poste, ENGIE et un grand nombre de mairies nous impose une amélioration continue de nos prestations et contribue à nous faire monter en qualité de prestations. Aussi, nous observons la concurrence, réalisons des diagnostics territoriaux et ajustons régulièrement notre stratégie financière.
Naturellement, les conditions de travail de nos salariés sont adaptées et nous nous ne manquons pas de rappeler à nos clients que nous n’en restons pas moins des acteurs de l’insertion professionnelle. Nous n’en devons pas moins également être aussi pro que possible. Nous nous équipons en conséquence, et nous cherchons des dons d’EPI et d’outillages, car ils se consomment rapidement. Nous n’avions pas de marteaux-piqueurs, d’engins hydrauliques,… Autant d’équipements que nous n’imaginions pas utiliser un jour ! Nous nous retrouvons dans des situations où il nous faut apprendre, innover, expérimenter. Nous faisons ce qu’il faut pour nous former, nous professionnaliser. Je dis « nous », car cela vaut aussi pour moi puisque j’encadre des salariés en insertion sur des chantiers. Ce qui me change du bureau ! Autant le reconnaître, si la plupart du temps, cela se passe bien, d’autres fois, c’est plus difficile. Mais nous nous accrochons. Avec le temps, nos salariés s’habituent à aller de surprise en surprise. Et on y met de l’humour, ça aide à relativiser ! La perspective d’accéder à des emplois à temps plein, de bénéficier d’heures sup’ rémunérées, d’apprendre à utiliser des équipements dont on confie les clés, c’est motivant.
- Reste une différence de taille avec vos « concurrents » du secteur privé : ainsi que vous l’avez rappelé, vous ne pouvez pas, sauf dérogation, conserver plus de deux ans ces salariés que vous formez…
D.B.: C’est toute la difficulté qu’il nous faut savoir gérer, car c’est au moment où nos salariés sont devenus professionnels, employables, qu’il nous faut nous en séparer. En réponse à cela, j’ai monté un comité de direction réunissant, outre moi-même, la cheffe de service de l’insertion qui, elle est évaluée sur les sorties en emploi ordinaire, et la responsable d’exploitation, qui, elle, l’est sur les résultats de la production – elle veille donc à ce titre à faire monter nos salariés en compétences. Deux objectifs contradictoires : tandis que la première a intérêt à ce que les salariés trouvent un emploi ailleurs, la seconde n’a qu’une envie, les garder… Ce comité reflète bien l’ambivalence inhérente aux entreprises d’insertion ; il nous permet d’y faire face au mieux, dans un dialogue permanent entre ces directions, et c’est dans cet interstice que se niche la singularité de chaque personne en parcours, avec ses freins mais aussi ses progrès, ses réussites et ses projets.
- Dans quelle mesure pourriez-vous recruter vous-même des salariés en insertion ?
D.B.: Nous sommes un groupe inclusif ! Plus de 70% de notre staff de salariés permanents sont issus de l’insertion. C’est un formidable vivier ! De fait, quand des sorties d’anciens dont nous sommes particulièrement satisfaits se profilent à l’horizon, nous les recrutons en CDI si des postes sont à pourvoir en interne. Mais ce ne peut être qu’en nombre limité, car cela a un coût. En tant que responsable de la stratégie financière, je m’emploie à l’absorber en faisant des demandes d’aides, des plans de revitalisation, en faisant aussi feu de tout bois – par exemple, je me débrouille pour disposer de véhicules moins chers, et puis on répare, on prolonge la vie de nos équipements au mieux. Restent les loyers qui plombent nos budgets, car contrairement à de nombreuses autres structures d’insertion, nous ne bénéficions pas de mise à disposition de locaux par une collectivité.
- On mesure à vous entendre l’« ingénierie financière » qu’il vous vous déployer…
D.B.: Exactement ! Ingénierie est le mot. Heureusement, j’ai été formé à ce genre d’exercice.
- Nous y viendrons, mais auparavant, quels sont vos résultats en termes d’insertion, d’effectifs de salariés permanents et en insertion ?
D.B.: En cinq ans, nos effectifs de salariés en insertion ont été doublé : aujourd’hui, nous en accompagnons plus de 300, répartis entre nos diverses structures, lesquelles sont passées de deux à cinq, plus un centre de formation en 2024, ce qui fait six. Nous avons aussi créé des emplois ordinaires, permanents, soit 19 personnes. Tous postes cumulés, cela représente 80 Équivalents Temps Plein (ETP). Désormais, notre budget est de l’ordre de 4 millions d’euros. Parallèlement, nous avons élargi notre champ d’action : au début, nous travaillions uniquement dans le périmètre de la Communauté d’agglomération de Paris-Saclay ; désormais, on intervient sur toute l’Île-de-France et même jusqu’à Lyon, depuis l’année dernière. Le secteur de l’écologie industrielle, la gestion des déchets nous emmène maintenant dans le Loiret où nous sommes titulaires d’un gros marché de collecte, tri et transport.
- Vos bureaux se trouvent dans le parc d’activité de Courtabœuf, lui-même inscrit dans l’écosystème de Paris-Saclay. Dans quelle mesure ce double environnement sert-il votre projet ? Cet écosystème fait-il sens pour vous ?
D.B.: Absolument ! Nous mesurons notre chance d’être en Essonne, un département dont les élus, de quelque bord politique qu’ils soient, ont la même volonté d’être des acteurs de l’insertion et de l’emploi. Quant à la Communauté d’agglomération, elle fait appel à nous pour des travaux, du transport, de la logistique et de l’événementiel. Le Syndicat intercommunal de gestion des ordures ménagères, le Siom, est un partenaire de premier ordre et nous accompagne également dans notre professionnalisation sur le secteur des déchets et du réemploi. Le parc d’activité de Courtabœuf, le plus grand d’Europe, représente un important bassin d’emplois, mais aussi un bassin commercial de premier plan pour nous. Il faudrait que les entreprises de cette ZAC nous connaissent davantage, car nos services sont à la fois professionnels mais aussi sociaux, un double avantage pour l’affichage de leur RSE. Vous l’aurez compris, il y a encore beaucoup à faire !
Les marchés publics comportant des clauses sociales, sont de réelles opportunités pour nous. La MEIF Paris-Saclay, et notamment la Responsable du pôle des clauses – nous accompagne énergiquement jusqu’à la signature avec de grands comptes. Bref, je le répète, nous sommes entrés dans la cour des grands. Nous nous retrouvons à faire des travaux de démolition, ce qui nous a amenés à devoir louer des pelleteuses, du terrassement, de la gestion de déchets de chantiers, de l’installation de voiries, du curage de bâtiment comme chez les ex-Nokia à Marcoussis. Jusqu’ici, tout s’est bien passé. Nous travaillons aussi pour la Ligne 18 du Grand Paris Express au niveau des stations Massy-Palaiseau, Antony et Massy Opéra, et avons géré les bases de vie de Eiffage pour la construction du Groupement Hospitalier Nord Essonne (GHNE). D’ailleurs, aujourd’hui, dans un tout autre cadre, nous sommes leur prestataire de peinture, on leur a fait la pharmacie et d’autres couloirs. Quand de nouveaux projets, de nouvelles propositions, se présentent à nous, je prends le temps de réunir nos équipes pour les leur présenter et étudier ensemble la faisabilité.
- Mais comment expliquez-vous qu’une entreprise comme la vôtre et de manière générale les entreprises d’insertion soient si méconnues ? Ne pâtisseriez-vous pas de l’accent mis sur les ambitions scientifiques et technologiques de l’écosystème Paris-Saclay ?
D.B.: On le sait, le développement économique et, donc, l’innovation, ne peuvent se produire dans la durée en dehors d’un développement social. Cela vaut pour tout écosystème y compris celui de Paris-Saclay : tout scientifique et technologique qu’il soit, il ne peut se développer sans prise en compte de cette dimension sociale. Il importe que son développement serve aussi aux personnes les plus éloignées de l’emploi. C’est dire si l’ouverture d’une ressourcerie – adossée à la nouvelle déchetterie – sur le plateau de Saclay a du sens, d’autant plus que nous y sommes en co-exploitation avec Veolia, sous la coupe du Siom qui, là encore, est un soutien de premier rang. L’implantation de cette ressourcerie sur le plateau face à la future sous-préfecture, juste à côté du Groupe Hospitalier Nord Essonne, de grandes écoles, est tout un symbole. La présence d’une telle structure sociale ne manque pas d’ailleurs de susciter l’intérêt des habitants comme des chercheurs, des étudiants, des cadres d’entreprises, des élus. Pour preuve, à peine ouverte, le 27 mars 2025, notre ressourcerie drainait plusieurs centaines de visiteurs. Comme quoi le réemploi n’est pas qu’une question de pouvoir d’achat, il est aussi une question de valeur. Et cette population a bien compris l’intérêt de contribuer aussi au développement social du territoire. À défaut d’acheter, des personnes nous donnent des biens. Certaines se proposent de faire du bénévolat. Des établissements nous ont contactés pour donner du mobilier. Bref, la ressourcerie de Re-Saclay est la preuve en acte que, non seulement des structures sociales ont toute leur place sur le plateau de Saclay, mais encore que leur présence est plébiscitée.
- Rappelons qu’il en existe d’autres, je pense en particulier au Réseau Cocagne qui, à l’initiative de Jean-Guy Henckel, a fait le choix à la fin des années 2000 d’installer son siège et son lieu de formation à Vauhallan. Vous connaissez-vous ? Travaillez-vous ensemble ?
D.B.: Oui, nous nous connaissons et nous veillons entre structures d’économie sociale et solidaire à travailler en bonne intelligence plutôt qu’en concurrence. Toutes ne jouent pas le jeu, mais dans l’ensemble ce principe est respecté. Des boulots, des contrats, il y en a pour tout le monde, car, malheureusement, des personnes démunies, éloignées du marché de l’emploi, il y en a beaucoup. En 2014, les structures agréées insertion en Essonne se sont réunies pour créer une sorte de fédération : Act’Essonne, qui regroupe le plus grand nombre d’entre nous sur le département – et dont je suis membre du bureau. Cette fédération nous permet d’être en lien direct avec le département, l’État, les collectivités et autres EPI, sans oublier les associations d’entreprises locales comme l’Adezac.
- Et vous, qu’est-ce qui vous a prédisposé à vivre cette aventure ?
D.B.: Je suis issu d’une famille historiquement imprégnée des champs de l’éducation, de la formation et de la culture du travail social. J’ai commencé à travailler comme éducateur en protection de l’enfance, comme chef de service, puis comme directeur multisites de foyers de protection de l’enfance en Essonne – auprès de gamins sous mesure administrative et judiciaire de protection-, après un détour de sept ans comme directeur pédagogique d’un centre de formation et quelques missions à l’étranger. Mais j’ai toujours fait plusieurs choses à la fois. Que voulez-vous, quand on est hyper actif, il faut bien s’occuper ! En parallèle de mes diverses fonctions, j’ai suivi un master en sociologie de l’intervention sociale, soit tout ce qui touche aux relations de l’individu aux groupes et, réciproquement, aux effets de normes, de codes, pour mieux aborder les questions de déviance et d’exclusion.
Suite à quoi, j’ai intégré un cursus supérieur d’ingénierie sociale avec une étude commandée par le ministère de la santé pour préparer le décret de fusion des CCAA et des CSST – secteur de la toximanie et de l’alcoologie. Ensuite je suis entré en cursus supérieur de dirigeant d’établissement sanitaire et social piloté, par l’École des Hautes Etudes de la Santé Publique (EHESP), tout en continuant, bien sûr, à travailler. Professionnellement, c’est en 2005 que j’ai rencontré mon ancien Président – Jean-Claude Bonnin : cette année-là, j’avais été sollicité par le campus des métiers du social, à Buc, pour intervenir dans des formations d’éducateurs spécialisés puis des formations de cadres, chefs de service, ingénieurs et directeurs d’établissement. Finalement, ce centre m’a recruté à temps plein et j’y suis resté sept années jusqu’à occuper les fonctions de DG adjoint, responsable de la filière de formation et de certification des directeurs d’établissements, rattachée à l’École nationale de la Santé publique, au titre de certificateur en Île-de-France. Avec Jean-Claude, nous avons travaillé à fond sur le sujet ! Toujours dans ce cadre, j’ai été amené à occuper des délégations régionales puis nationales en lien avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère de l’Éducation nationale. Ce qui m’a amené vers le ministère des Affaires étrangères…
- ?!
D.B.: Effectivement, cela peut surprendre ! Moi-même ne l’avais pas programmé. Toujours est-il que cela m’a valu de faire, entre 2015 et 2020, des missions à l’étranger pour promouvoir les politiques sociales françaises et nos politiques de formation professionnelle. Professeur rattaché à la faculté des Lettres Ben M’sik de Casablanca au Maroc, j’ai enseigné là-bas auprès d’étudiants en master. Avec le doyen des universités, la ministre de la Famille et la Société civile, nous avons œuvré pour créer une branche professionnelle du travail social, avec ses reconnaissances de diplômes, une grille de salaire, ses comités paritaires etc. Je suis également intervenu au Portugal, à Porto – j’enseignais en master, à l’institut supérieur de service social (ISSSP). Puis il y eut une mission en Chine, à Pékin. Une expérience moins convaincante qui n’a pas eu de suite cette fois-ci…
Déjà administrateur de Dynamique Embauche, c’est donc en 2014 que j’ai quitté la direction du centre de formation pour prendre celle de trois établissements de protection de l’enfance du département de l’Essonne, retrouvant ainsi mes premières amours d’éducateur spécialisé.
De retour en Essonne, j’avais recruté Jean-Claude Bonnin pour qu’il supervise mes équipes tout en étant, je le rappelle, au CA de sa structure, Dynamique Embauche. Ironie de l’histoire : quand j’ai quitté la vice-présidence, il est à son tour devenu mon employeur… [Rire]. Malheureusement, il nous a brutalement quitté en 2024.
- Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre cette autre aventure professionnelle… ?
D.B.: L’utilité sociale et, donc, le besoin d’agir, de contribuer à la reconquête de confiance des uns et des autres, de transmettre, et donc de trouver les espaces d’action et les moyens d’agir. Pour cela il faut prendre la barre pour convaincre, décider, donner une direction et, donc, faire de l’ingénierie, manager, travailler en équipe. Malgré mes responsabilités administratives actuelles, je continue à encadrer des salariés en insertion, une manière pour moi de rester au contact du terrain. J’ai la conviction que les solidarités doivent pouvoir s’inscrire dans des réalités locales, concrètes, permettre à des personnes de retrouver confiance en elles, de se faire une autre idée du travail – on n’imagine pas ou si peu le poids des représentations sociales dans le monde du travail, jusqu’où elles peuvent se nicher. Casser des barrières symboliques, c’est permettre à chacun(e) de retrouver de l’ambition. Je veux incarner cet espoir et l’accompagner, auprès de mes salariés permanents mais aussi des salariés en insertion. Si vous saviez comme ils progressent et me surprennent sans s’en rendre compte ! Car je suis un dirigeant exigeant qui va chercher le meilleur chez les autres.
- Je ne veux pas clore cet entretien sans vous inviter à me dire un mot de Charles Cosson, ici présent – et grâce auquel j’ai découvert votre structure….
D.B.: Volontiers ! J’ai fait sa connaissance en 2024 à l’occasion d’un événement organisé à la Terrasse Discovery +x. Je m’y étais rendu, car j‘avais perçu le dynamisme de la communauté qu’il a su constituer au fil du temps avec des acteurs du plateau. Au-delà du plaisir que j’ai eu à découvrir le lieu même, un espace de coworking, j’ai eu celui de découvrir quelqu’un d’accessible, attentif à ce que je pouvais lui dire. Manifestement, Charles avait un réel intérêt pour les enjeux sociaux de l’écosystème de Paris-Saclay. Je crois d’ailleurs que la principale clé de réussite du réseau qu’il a su développer doit beaucoup à sa personnalité : c’est quelqu’un qui a le sens de l’accueil, d’attentif, de bienveillant. Lui-même a traversé une histoire de vie personnelle qui l’a manifestement rendu sensible à des dimensions qu’on n’associe pas spontanément à l’univers de la banque ! Assez naturellement, je me suis, ce soir-là, confié à lui sur le projet de notre ressourcerie et, au-delà, mes préoccupations de dirigeant quant à la stratégie à adopter. Et tout aussi naturellement, dans la foulée, je lui ai proposé de rejoindre le bureau de notre association, de façon à ce qu’il puisse nous faire profiter de ses conseils. De par son expérience professionnelle, ses fonctions actuelles, il apporte un autre regard, complémentaire de ceux des autres membres. On voit qu’il a une approche différente, qui peut surprendre, bousculer, introduire de la contradiction, et c’est très bien ainsi ! Car pour le dirigeant que je suis, c’est important de pouvoir se faire son opinion à partir d’une confrontation de points de vue, d’approches. C’est lui qui m’a ouvert à l’IA générale, à l’occasion de d’une conférence [ de Mathieu Crucq, directeur générative de Brainsonic ]. Cela peut paraître à mille lieues du monde de l’insertion. C’est précisément en cela que je trouve intéressant de pouvoir s’y confronter.
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