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Entrepreneuriat innovant

L’innovation façon MIM (2/2).

Le 9 septembre 2016

Suite de la rencontre avec Bernard Monnier à travers l’entretien qu’il nous a accordé. Il revient sur la genèse de MIM, une méthode d’évaluation du potentiel dl’innovation qu’il a conçue à travers son expérience de la fonction achats au sein d’un grand groupe industriel. Celle-là même qui devait inspirer DRIM’in Saclay.

Pour accéder à la première partie de la rencontre, cliquer ici.

– Si vous deviez commeæncer par définir l’innovation ?

Vous faites bien de poser cette question car, aujourd’hui, tout le monde parle d’innovation, mais sans y mettre toujours la même signification. Pour ma part, l’innovation correspond à une offre (de produit, de service, de process), forcément nouvelle, qui a rencontré une demande, un marché. Sans quoi, ce n’est qu’une invention, probablement ingénieuse, mais qui ne satisfait le plus souvent que son inventeur. Ce qui signifie aussi que l’innovation ne peut être reconnue comme telle que dans la durée, le temps justement de rencontrer son marché. Prenez le i-phone : on peut maintenant reconnaître que c’est un produit innovant et même hyper innovant, au vu du nombre de personnes prêtes à passer la nuit devant les lieux de vente pour être certains de figurer parmi les premiers clients. De prime abord, rien ne pouvait prédire qu’il rencontrerait son marché au point de bouleverser nos modes de communication. C’est l’un des meilleurs exemples d’innovation de rupture car il a créé une demande qui n’existait pas lors de sa toute première commercialisation !

– Vous avez promu de l’innovation ouverte bien avant qu’on en parle. Comment y êtes-vous venu ?

Au sein du groupe Thales, j’étais à la tête d’une équipe d’une quinzaine de personnes, sur lesquelles je pouvais m’appuyer pour faire de l’innovation. Mais aussi compétentes fussent-elles, elles n’en constituaient pas moins des ressources limitées. Or, le monde change. Nous allons vers toujours plus de complexité avec de moins en moins de financement. Il importait donc de revoir les méthodes de travail en mobilisant des ressources extérieures, en l’occurrence des sociétés, PME ou start-up. Au début des années 2000, nous parlions encore peu d’innovation collaborative. Mais l’idée était bien là, c’était ma vision de l’innovation ouverte avant l’heure, celle-là même que Henry Chesbrough a définie en 2003.

– En quoi cela change-t-il votre métier achats ?

Jusqu’ici, pour répondre au mieux aux attentes du client, je m’appuyais sur les ressources dont je disposais en interne : Pierre, Paul, Jacques etc. Avantage de ce modèle : je connais bien mes ressources humaines et peux donc affecter les tâches, selon les compétences des uns et des autres, mais aussi leur personnalité. Pour développer un nouveau produit, par exemple, je confie la spécification système à Jacques, l’algorithme à Pierre, parce que c’est son domaine de prédilection, l’interface homme/machine (l’IHM) à Paul, parce qu’il en est spécialiste et qu’il aime le design, etc. L’inconvénient de ce modèle de gestion, c’est que je ne dispose que des mêmes ressources, en nombre limité. Je dois faire avec car je ne dispose plus forcément de budget pour des recrutements supplémentaires. Avec l’innovation ouverte, j’élargis mes ressources en travaillant avec des partenaires extérieurs. Je fais donc le même métier qu’avant, mais au lieu de ne travailler qu’avec Pierre, Paul, Jacques, je travaille avec les sociétés A, B, C, etc. De la gestion de ressources internes, je passe à la gestion de ressources externes. Mes ressources s’en trouvent décuplées.
Seulement, je ne les connais pas. Le risque est alors de ne travailler qu’avec les mêmes. Je ne capterai donc pas l’innovation comme je pourrais le faire en découvrant d’autres potentiels. Que faire ? C’est ainsi que j’en suis venu à formaliser une méthode d’évaluation du potentiel d’innovation de mes éventuels fournisseurs. Méthode que j’ai exposée dans un ouvrage publié en mars 2013, sous le titre : La Route des innovations [éditions Caillade].

– Comment l’avez-vous élaborée ?

En bon ingénieur-chercheur, j’ai commencé par établir un état de l’art en sollicitant l’avis de ces experts autoproclamés de l’innovation-achat. Je leur ai demandé comment ils s’y prenaient pour faire de l’innovation avec leurs fournisseurs. « C’est facile, m’ont-ils dit en substance. Je les connais ! Je sais quelles sociétés font quoi dans tel ou tel domaine. » Les connaître est en réalité un grand mot : le plus souvent, ils se sont bornés à discuter avec leurs fournisseurs autour d’un bon repas, mais sans aller plus loin, sans s’assurer qu’ils pouvaient les entrainer dans une dynamique d’innovation, ou qu’il y en ait d’autres avec un potentiel plus élevé. Bref, c’était au petit bonheur la chance. Il n’y avait pas de véritable process d’évaluation. En mettre un en place, c’est ce à quoi je me suis donc employé personnellement, en dehors des missions de mon poste confiées par mon groupe.

– Pouvez-vous rappeler en quoi il consiste ?

Il consiste à se donner les moyens d’évaluer, mesurer l’innovation, à partir d’une matrice, que j’ai dénommée MIM©, pour Monnier Innovation Matrix. Elle permet de distinguer jusqu’à sept cas de figure ou niveaux quant au potentiel d’innovation du partenaire.

Le niveau MIM 1 : son offre n’est pas encore mature, mais juste au niveau de l’idée – bref, un niveau bas dans l’échelle TRL [ pour Technology Readiness Level] si on parle de technologie.
Le niveau MIM 2 : on est dans une démarche d’ingénieur, au sens où on ne s’est pas assuré de l’existence d’une demande. On s’est fait plaisir !
Le niveau MIM 3 : à l’inverse du cas de figure précédent, on a identifié une demande mais sans disposer de la solution, on est dans une démarche de marketing.
Le niveau MIM 4 : on a su mettre un produit sur le marché, l’innovation est naissante ; le fournisseur occupe une part significative pour en être acteur.
Le niveau MIM 5 : nous sommes en présence d’une innovation solide : on a franchi l’étape supplémentaire en en assurant la protection (au moyen d’un brevet dans le cas d’une innovation technologique, ou en valorisant le fait d’être le premier sur le marché dans le cas d’un service, par exemple).
Le niveau MIM 6 : l’innovation est rentable ; non seulement, le fournisseur est acteur sur le marché, mais son activité est profitable.
Comme vous l’aurez deviné, le MIM 7 correspond au Graal, à ce que j’appelle l’innovation durable.

– Dans tous les sens du terme, y compris celui du développement durable ?

Oui, bien sûr. L’innovation répond tout à la fois aux exigences environnementale, sociale et économique d’un tel développement.

– Le nombre 7 est-il fortuit ?

Au début, en 2004, la matrice ne comportait que quatre cadrans et autant de niveaux. C’est en 2007 que j’en ai ajouté trois, peut-être par esprit d’ingénieur, enclin à complexifier les choses ! Je n’ai pas cependant l’intention d’en ajouter de nouveaux ! En l’état, la matrice permet de se placer dans la perspective d’une innovation de rupture et non pas seulement incrémentale.

– Dans quelle mesure l’avez-vous traduite dans votre propre fonction d’achats ?

Je précise que c’est en marge de mes activités au sein du groupe Thales que je l’ai conçue. Cela étant dit, elle m’a d’ores et déjà permis de sortir de la routine, en me permettant de sélectionner de nouveaux fournisseurs, à plus fort potentiel d’innovation, sur la base d’une étude préalable de leurs produits respectifs. Grâce à cette matrice, je peux savoir à quel niveau se situent leurs sociétés et les perspectives qu’elles offrent en termes d’évolution des produits. Pour autant, l’évaluation ne saurait suffire. Le plus important est de se comprendre. Nos fournisseurs sont souvent des PME ou des start-up qui ne parlent pas toujours le langage des grands groupes et vice versa. L’enjeu est donc de créer un langage commun. J’ai beau discuter des heures avec le responsable de la société A, B ou C sur ses produits et ses capacités d’innovation et sortir d’une réunion en croyant que nous partageons la même vision, que nous nous sommes entendus. Een réalité, c’est tout l’inverse, précisément parce que nous n’avons pas parlé de la même chose ! La matrice permet au moins de formaliser les questions qu’il convient de se poser et d’introduire le principe du scoring afin de partager la même vision sur la maturité de la solution, le marché, mes concurrents, les avantages concurrentiels, l’adéquation avec la démarche du développement durable, etc.

– Cela ne suppose-t-il pas que les partenaires fournissent des données concrètes ?

Si, car, si on veut parvenir à un partenariat solide, il faut mettre des données concrètes sur la table.

– Y compris confidentielles ?

Non. Ce que j’attends d’une relation partenariale avec une PME ou une start-up, c’est d’abord que nous nous soyons compris sur les perspectives d’évolution, les attentes des uns et des autres. C’est fondamental pour instaurer une vraie relation de confiance.

– S’agit-il aussi pour vous de proposer un partenariat qui permette à votre partenaire de se hisser à un niveau supérieur ?

C’est très exactement cela. Cette matrice permet à chacun de savoir où il en est. Une société s’évaluera au niveau 6 voire 7 alors que, moi, je l’évalue au niveau 2 ou 3 ? Qu’à cela ne tienne. Nous pourrons toujours commencer par nous accorder sur une différence de point de vue, ce qui est déjà ça ! Nous n’aurions pas pu le faire en nous en tenant à des échanges informels plus classiques. Dès lors que la rencontre se serait bien passée, nous aurions, encore une fois, l’illusion de nous être entendus. La matrice permet de visualiser graphiquement les différences de points de vue pour mieux les dépasser ensuite. Car, bien sûr, cette différence de point de vue n’est pas rédhibitoire. Au contraire. Elle justifie de reprendre la discussion pour mieux s’accorder sur une vision commune. Cela me paraît indispensable avant de conclure le moindre partenariat. Peut-être conviendrons-nous au final que la société est plutôt au niveau 5. Mon interlocuteur aura ainsi reconnu qu’il a surestimé son potentiel d’innovation, et moi de l’avoir sous-estimé.
Ensuite, rien n’empêche de progresser dans le cadre du partenariat, que je ne conçois d’ailleurs pas autrement que dans une logique win win. La matrice est aussi un moyen de visualiser le gain que pourra représenter le partenariat, au-delà du chiffre d’affaires.

– Combien de temps prend ce travail de co-évaluation ?

Je connais tellement le prix du temps que je suis vigilant à ne pas abuser de celui de mes partenaires, même potentiels ! Je crains que ce ne soit pas le cas de tous mes homologues y compris ceux qui prétendent faire de l’innovation ouverte : ils disent souvent aller à la rencontre de PME et de start-up en passant beaucoup de temps à découvrir leurs produits sans s’être assurés au préalable qu’ils correspondent à un besoin en interne. Ils passeront donc ensuite beaucoup de temps à les « vendre » à leurs collègues. C’est précisément tout ce qu’il ne faut pas faire. Il est clair que si vous représentez une grande entreprise, les PME et start-up vous ouvriront toute grande leur porte en prenant tout le temps nécessaire pour répondre à vos questions. Personnellement, je ne vais jamais rendre visite à une société sans avoir au préalable identifié une demande en interne. Cela fait gagner du temps à tout le monde.

– Dans quelle mesure vous êtes-vous inspiré d’autres pratiques ?

Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose d’équivalent à la matrice que je propose. Je peux l’attester pour avoir voyagé à travers l’Europe et le reste du monde, aux Etats-Unis, à Singapour, en Australie, etc. Et pour avoir aussi contribué à des publications internationales (j’en ai plus de 35 à mon actif). Et pour cause : je l’ai élaborée à travers la fonction achats, à partir d’une longue expérience de la R&D, ce qui est peu courant (rares sont parmi mes homologues ceux qui viennent de cette fonction).

– Quel regard portez-vous sur le territoire de Paris-Saclay ?

C’est un territoire que j’apprécie particulièrement, y compris pour sa verdure. Quand j’y suis arrivé, j’ai eu l’impression d’un vrai bol d’air, comparé à la banlieue proche de Paris (Bagneux) où j’ai commencé à travailler. Mon bureau donnait alors sur des immeubles assez anciens, des bâtiments de béton pas très agréables à regarder. Le contraste n’en était que plus fort avec ce territoire de Paris-Saclay où j’avais l’impression de respirer enfin. A deux pas du bâtiment de Thales Research & Technology, il y a un petit bois où on peut se promener, ainsi qu’un bassin tout aussi agréable. Je ne m’en suis pas privé. Jusque quelques minutes, à l’heure du repas, le temps de m’aérer l’esprit. Mais Paris-Saclay, c’est surtout une concentration de laboratoires, de grandes écoles, de centres de R&D, d’entrepreneurs, qui en font un écosystème des plus stimulants.

– En quoi Paris-Saclay est-il favorable à la promotion de votre nouvelle approche de la fonction achats ?

Un territoire comme Paris-Saclay, qui a l’ambition de devenir la vitrine de l’innovation technologique, pourrait être précurseur jusques et y compris dans l’évaluation de l’innovation. Ma méthodologie peut à mon sens y contribuer. En tout cas, c’est dans cette optique que je l’ai conçue. Je pense cependant qu’on n’en a pas encore reconnu toutes les potentialités en termes de création de valeur. C’est pourtant ce qui m’anime. Je suis motivé pour créer de la valeur pour nos enfants et petits-enfants. Si Paris-Saclay pouvait être un territoire pionnier, en matière d’évaluation de l’innovation, j’en serais très heureux.

– Est-ce pour cela que vous vous êtes impliqué dans l’organisation de plusieurs événements sur le Campus Paris-Saclay ?

Oui. En mai 2014, j’ai lancé Act in Space et, dans ce cadre, décliné les 24 heures de l’Innovation, qui, pour mémoire, ont vocation à valoriser la recherche du CNES.

– Comment en êtes-vous venu là ?

Je connais bien Jérémy Legardeur, de l’Estia Biarritz Bidart, l’inventeur du concept des 24 h de l’Innovation, en 2007. Il m’a invité à chaque édition. En 2013, il m’a proposé de participer au jury. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Didier Lapierre, qui lançait les 24 h de l’Innovation dans d’autres villes du sud (Bordeaux, Toulouse, Cannes et Toulon). C’est tout naturellement que j’ai proposé de les décliner à Paris-Saclay. Sauf que le CNES n’est pas présent sur ce territoire et que moi-même, je n’étais pas du sérail. C’est, donc, avec un peu d’insistance, que la formule a pu être transposée, au Synchrotron Soleil, précisément. Le succès a été au rendez-vous. Quant à Drim’ in Saclay, cela fait à dessein penser à rêve (Dream). Mais c’est aussi un acronyme conçu en référence à ma matrice : Défi en Recherche et Innovation par MIM.

– Comment en êtes-vous venu à concevoir cet événement ?

C’est l’histoire d’une autre rencontre, avec Julie Baudet, de la CCI de l’Essonne, qui m’a proposé de créer un évènement sur le territoire dans le domaine de la transition énergétique. Un peu en réaction contre cette tendance à privilégier des manifestations sur un laps de temps que j’estime trop bref, j’ai proposé un format inédit. En effet, mobiliser des étudiants, pendant 24 h, sans qu’ils aient le temps de dormir, je n’en vois pas forcément l’intérêt. Ce n’est pas en les épuisant qu’on les rendra plus créatifs et qu’on leur permettra de créer de la valeur. Il importe qu’ils puissent dormir et reprendre le travail l’esprit reposé. La manifestation DRIM’in Saclay se déroule donc sur trois jours. Nous mobilisons une cinquantaine de personnes : des étudiants, des doctorants, des représentants d’entreprise, des startuppers, bref, toute personne qui a envie de créer de la valeur. Les candidats sont appelés à participer par groupes, aussi hétérogènes que possible.
La deuxième édition a été l’occasion d’un nouveau partenariat avec la CCI de l’Essonne : suite au départ de Julie, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Lydie Tamarelle et Pierre Olivier Viac et nous sommes ravis que le succès ait été à nouveau au rendez-vous. Nous sommes partis pour une longue vie de l’événement DRIM’in Saclay. L’édition 2017 devrait en apporter une nouvelle démonstration. Je n’ai pas d’autre ambition que d’aider à créer les emplois de demain, pour nos enfants. Nous l’organisons à Paris-Saclay mais avec l’intention de dupliquer à terme l’événement ailleurs en France. C’est mon rêve à moi.

– Seulement, la duplication ne se décrète pas…

Bien sûr. Commençons donc par créer un événement référence à Paris-Saclay. Ensuite, je pense avoir une idée sur la manière de le dupliquer sur d’autres territoires, à commencer par ceux que je connais bien pour m’y rendre souvent : l’Aquitaine, le Pays Basque, les Pays de Loire,…

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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