Le territoire de Paris-Saclay recèle de nombreux lieux innovants ayant vocation à former à l’entrepreneuriat innovant et/ou accompagner et orienter les porteurs de projet. C’est ce que l’étude du cabinet conseil Innoéco, lancée à l’initiative de la direction du développement économique de l’EPPS, a bien mis en évidence. Reste à savoir comment mutualiser les ressources, rapprocher ces lieux aux fortes personnalités. C’était l’enjeu d’une deuxième séance de restitution qui s’est tenue le 3 février dernier dans l’un de ces lieux – le 503. L’occasion de formuler les premières propositions en vue d’une structuration aussi légère que possible de l’ensemble.
Ils étaient presque tous là, responsables de lieux innovants ou promoteurs de l’entrepreneuriat étudiant à Paris-Saclay : Philippe Aubourg (directeur du 503), Philippe Moreau (directeur d’IncubAlliance), Pierre Gohar (directeur délégué à l’innovation et aux relations avec les entreprises de la FCS Campus Paris-Saclay), Ronan James (responsable du PROTO204), Philippe Baud (Opticsvalley), Charlotte Engrand (responsable de l’Incubateur de Centrale Paris)… mais aussi Marie-Christine Jeanjean (directrice des pépinières de la Caps) et bien d’autres encore, apportant par leur seule présence la démonstration de ce que mettait en évidence l’étude lancée en janvier 2014 par Innoeco à l’initiative de la direction du développement économique de l’EPPS. A savoir, qu’en la matière (les lieux innovants), Paris-Saclay ne part pas de rien : non seulement des structures existent, mais encore leurs animateurs ne manquent plus d’occasions de se rencontrer, fût-ce de manière informelle.
Autre démonstration apportée, s’il en était encore besoin, par cette matinée : Paris-Saclay suscite l’intérêt et la curiosité de plus en plus d’acteurs de l’innovation, bien au-delà du périmètre de l’OIN et du Campus de Paris-Saclay, comme en témoignait la présence de personnes venues de Paris ou d’autres coins d’Ile-de-France. Au total, une bonne cinquantaine de participants, venus pour la plupart en voiture à en juger par l’encombrement inhabituel des parkings des alentours. Une remarque que nous nous permettons de faire au passage pour mieux souligner l’intérêt du dispositif d’autopartage et de covoiturage en cours d’expérimentation entre le 503 et le site palaisien de l’IOGS, et dont nous avons rendu compte (pour accéder à l’article, cliquer ici).
Une richesse quantitative et qualitative
Mais revenons à nos lieux innovants et au premier travail d’inventaire dont ils ont fait l’objet. Une première séance de restitution l’avait déjà clairement montré : l’écosystème de l’innovation Paris-Saclay en est riche, aussi bien quantitativement que qualitativement (au point d’avoir inspiré un acronyme – encore un ! – à savoir : LIPS, pour Lieux Innovants de Paris-Saclay).
Quantitativement, d’abord : on recense pas moins d’une douzaine de ces lieux. Qualitativement, ensuite : l’ensemble couvre les fonctions d’incubation (à l’image d’IncubAlliance et des incubateurs de l’Ecole Centrale Paris, d’HEC, de l’IOGS, de l’X, etc), de FabLab (le 503, La Fabrique, Digiteo – « le premier parc français de recherche en TIC »,…) ou encore de connexion (PROTO204, le 503, la Maison de l’Entreprise de St-Quentin-en-Yvelines,…), un même lieu pouvant, comme on le voit, assumer deux voire trois de ces fonctions. Et la liste ne semble pas prête de se clore puisque d’autres lieux sont en émergence tant du côté des Communautés d’agglomération du Plateau de Saclay (Caps) et de Saint-Quentin-en-Yvelines (Casqy), que de grandes écoles (Télécom & Management SudParis, avec un projet de structure dédiée aux « entrepreneurs »).
Des succès fulgurants
A l’évidence, ces lieux de l’innovation répondent à un réel besoin. A cet égard, le succès rencontré par le PROTO204 est emblématique : après ses six premiers mois d’existence, il accueillait déjà pas moins d’une cinquantaine d’événements ; un demi millier d’intervenants et plus de 2 000 participants. Emblématique jusques et y compris dans sa conception : le lieu dont le concept a été lancé à l’initiative de l’EPPS, en partenariat avec l’Université Paris-Sud et l’agence de mobilier design Vitra, est le fruit d’une co-construction à travers plusieurs workshops auxquels au moins 150 personnes ont participé. Autrement dit, il est le fruit d’une gestation avec les diverses communautés du territoire.
Que dire du « 503 » dont la création découle de l’heureuse initiative de l’IOGS d’en conserver les locaux pour y accueillir notamment sa Filière Innovation-Entrepreneurs (FIE). Aujourd’hui, le lieu accueille les start-up qui en sont issues et plusieurs entreprises partenaires. Loin d’être un modèle transposé tel quel, il a été façonné sous l’effet de l’appropriation progressive par l’ensemble de ses occupants (élèves et entreprises résidentes) qui ont su aménager le site en un lieu bien plus dynamique et convivial que ne le suggère l’apparente austérité de la façade…
Une offre riche et… redondante
Si ceux qui fréquentent régulièrement Paris-Saclay avaient déjà l’intuition de la richesse de cet écosystème de lieux innovants, l’étude d’Innoéco a permis d’en avoir une vision globale à partir d’un inventaire précis et d’établir, pour chacun d’eux, et sur la base d’entretiens réalisés avec leurs responsables respectifs, une présentation détaillée sous forme de fiches, de leurs offres que ce soit en matière d’hébergement, de maturation technique (accès à des moyens de prototypage, possibilités d’expérimentation…), de maturation entrepreneuriale (par un accompagnement individuel ou collectif) ou d’accès à l’écosystème & marché.
A priori, tout va donc bien dans le meilleur des écosystèmes européens, ainsi que l’explique Sébastien Magnaval qui a mené, avec Chloé Roux, l’étude du cabinet Innoéco : « Vous avez déjà tout, vous faites déjà tout, que ce soit en matière de formation, d’accompagnement, de financement. » Reste que c’est aussi là que le bât blesse, car c’est bien évidemment un risque de redondance et donc de mauvaise allocation des ressources qui guette cet écosystème.
Trois enjeux
L’heure est donc manifestement à la mutualisation (un mot revenu tel un leitmotiv) pour ne pas dire à la rationalisation (ou plutôt si, ce mot ayant lui aussi été proféré sans manifestement susciter le moindre cri d’orfraie parmi les participants). Ce qu’Inneco traduit en distinguant jusqu’à trois enjeux : le développement d’un fonctionnement commun ; une meilleure visibilité des lieux innovants ; enfin, un positionnement du réseau des lieux innovants. Pour Sébastien Magnaval, en effet, « Le réseau doit encore gagner en visibilité, en définissant une vraie stratégie de développement.» Le même, à propos cette fois du positionnement : « Les lieux innovants doivent mieux faire apparaître leur fonction de porte d’entrée dans un vaste écosystème qui comprend aussi de nombreuses entreprises – petites et grandes – des fonds d’investissement, les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI), le Scientipôle Initiative, la Satt Paris-Salay, l’Université Paris-Saclay, le Peips, les laboratoires de recherche, les centres de R&D, et tous les réseaux (y compris des associations d’anciens). »
Trois enjeux, donc, à prendre en compte dans l’intérêt des entrepreneurs et des responsables des lieux innovants, eux-mêmes.
Les entrepreneurs, d’abord, dont il importe de mieux prendre en compte le parcours entrepreneurial au risque sinon, pour eux, de se perdre au milieu de toutes les offres et acronymes. Sébastien Magnaval : « Chaque lieu communique bien sur ce qu’il fait, mais gagnerait à inscrire toujours son action dans une vue d’ensemble.» De là une première série de suggestions, frappées au coin du bon sens : organiser des visites de l’ensemble des lieux ; s’afficher ensemble ; parler d’une seule voie, tout en assumant ses spécificités, pour bien faire apparaître l’existence d’un véritable réseau de lieux innovants. L’important étant que porteur de projet n’ait pas l’impression de choisir un lieu plutôt qu’un autre avec le risque de se couper d’autres opportunités, mais au contraire que le moindre lieu innovant soit pour lui une porte d’entrée dans le réseau et, au-delà, dans l’écosystème Paris-Saclay. Et Sébastien Magnaval d’inviter encore à « Faire savoir qu’on fait ensemble. »
Un nouveau modèle économique
Cet effort de mutualisation et de rationalisation va cependant aussi dans l’intérêt des responsables des lieux eux-mêmes, confrontés qu’ils sont à une raréfaction des ressources sinon à d’amicales pressions de leur ministère de tutelle. Ce que Philippe Moreau, invité à livrer son témoignage, a dit sans ambages : « Nos tutelles nous poussent à mutualiser ». Et le même de considérer en conséquence que « l’initiative [de constituer un réseau des lieux innovants de Paris-Saclay] est bonne et [qu’]elle arrive au bon moment. » D’autant qu’en matière de communication, juge-t-il encore, « tout reste à faire » comparé à ce que fait notamment Paris Région Lab.
Cependant, s’il a mis en avant des propositions concrètes, comme l’édition d’un catalogue commun de l’offre existante, Philippe Moreau a aussi invité à réfléchir à l’évolution des modèles économiques des lieux innovants (pour beaucoup tributaires des subventions publiques) et les métriques des tutelles elles-mêmes (en déterminant le montant des aides en fonction de nouveaux critères, liés notamment à l’aptitude à s’engager dans une démarche partenariale avec d’autres acteurs du territoire). De fait, il ne suffit pas de décréter la mutualisation, encore faut-il qu’elle correspondant à l’équation économique de chacun.
Un défi qui n’a pas empêché les participants de formuler d’autres propositions concrètes comme, par exemple, la création d’un ou d’événementiel(s) ou la valorisation de ceux existant (comme « l’école d’été de l’innovation et de l’entrepreneuriat » de l’IOGS – Innovation Summer Camp -, Futur en Seine, décliné au PROTO204, etc.) ou de communiquer autour d’initiatives récentes comme le lancement de la Newsletter de Pieps qui recense les initiatives et les RDV des acteurs de l’entrepreneuriat innovant et étudiant, ou encore le cycle de Matinales d’Opticsvalley qui débutait le 10 février suivant au… 503 (un compte rendu de cette première séance sera mise en ligne prochainement).
Bref, les acteurs ont appris à se connaître et à échanger, dans une relation de confiance. Significative à cet égard est la décision de Philippe Aubourg, qu’il s’est plu à rappeler, de renoncer à la création d’un « club des lieux innovants » à partir du moment où il a appris que l’EPPS s’apprêtait à initier une étude sur ces lieux dans la perspective d’une préfiguration de réseau.
Notons encore au passage que l’implication d’un tel établissement public en charge de l’aménagement de Paris-Saclay ne fait plus débat, même si Patrick Cheenne, son directeur du développement économique, n’a pas jugé inutile de rappeler l’article 26 de la loi instaurant sa création. Article 26 qui stipule que cet établissement public a vocation à « soutenir les initiatives [des] organismes et entreprises relatives à la circulation des connaissances, des innovations et des bonnes pratiques, la mobilité professionnelle, la diffusion des offres d’emploi et de stage et les rapprochements entre les milieux scientifiques et économiques » (alinéa 7) et « contribuer à soutenir les synergies développées par les acteurs du pôle scientifique et technologique et favoriser, à leur demande, la coordination de leurs initiatives respectives » (alinéa 10). Le même prit tout autant soin de rappeler que l’intention de l’établissement public n’était pas d’aller au-delà du rôle d’impulsion, mais d’inviter au contraire les acteurs à prendre le relais. A l’évidence, Patrick Cheenne table sur la « masse critique » induite par la force d’agrégation des initiatives que sur une institutionnalisation des choses. Ce qu’il précise en mobilisant la métaphore… du lagon et de sa barrière de corail dont la croissance dépend, comme chacun sait, de la richesse des planctons… Une métaphore qui peut de prime abord paraître déplacée au regard du contexte géographique de Paris-Saclay, à mille lieues de l’univers océanique… En réalité, en plus de prolonger judicieusement celle de l’archipel auquel on compare volontiers Paris-Saclay du fait de son organisation autour de plusieurs clusters (Energie, Santé, TIC, etc.), elle a le mérite de bien faire passer le message : c’est en cultivant l’agilité et la souplesse, pas en s’institutionnalisant, que le réseau des lieux innovants parviendra à enrichir l’écosystème et à susciter l’émergence et l’agrégation de jeunes pousses prometteuses.
Métaphore jardinière
Métaphore pour métaphore, une autre nous a trotté dans l’esprit au fil des échanges, dans un registre plus… jardinier. Car, au final, le défi auquel les participants font face peut se résumer comme suit : trouver, dans leurs efforts de rationalisation et de mutualisation, dans le respect des spécificités de chacun, le juste équilibre entre un jardin à la française (à l’image du parc de Versailles (inscrit dans l’OIN) et le jardin en mouvement de Gilles Clément, intervenu sur ce même territoire.
On aura apprécié d’autant plus le jeu d’équilibrisme auquel Innéco s’est livré au cours de la matinée pour suggérer des pistes aux responsables des lieux innovants, sans pour autant s‘ériger en donneur de leçons, ce qui serait pour le moins paradoxal (en plus de risquer de provoquer les susceptibilités). Car si des solutions existent, n’est-ce pas à ces lieux innovants de les imaginer, de surcroît collégialement ?
Si donc Innoéco devait faire une ultime proposition, elle a concerné la méthode de travail susceptible d’être adoptée par la suite, pour avancer concrètement et de manière aussi pragmatique (un autre mot revenu tel un leitmotiv au cours de cette matinée) que possible.
A savoir, la mise en place de groupes de travail restreints – à raison d’un par enjeu (augmenter la visibilité des lieux innovants, développer le fonctionnement commun ou positionner le réseau des lieux innovants), chaque groupe se composant d’un « leader », de deux autres représentants de LIPS, enfin d’un partenaire (libre aux autres de s’y agréger ensuite), le suivi des actions étant assuré par des réunions mensuelles et des restitutions trimestrielles. Une méthode que Sébastien Magnaval justifia comme suit : « L’enjeu n’est pas de créer une nouvelle organisation, qui déciderait des actions à mener. Mais l’inverse, partir des actions pour renforcer l’organisation. »
L’avenir proche dira si c’est bien la formule qui sera retenue. Reste le message essentiel : une structuration suffisamment légère pour rester dans une vraie dynamique d’innovation et d’intelligence collective (autre formule à ajouter dans le bréviaire de cette matinée).
Témoignages de Fab&Co et MapTooMe
En attendant la mise en place de ces groupes de travail, la matinée fut aussi l’occasion de présenter des initiatives en émergence sur le Plateau de Saclay ou ailleurs, illustrant les capacités de mutualisation sinon les potentialités offertes par l’outil numérique :
– Le Fab&Co : un réseau de FabLab industriels et privés engagés en mode projet, qui verra officiellement le jour d’ici la fin du premier trimestre 2015. Initié par Bertrand Marquet et Pierre Turkiewicz, cofondateurs du Garage, au sein de la Cité de l’Innovation d’Alcatel Lucent, il vise à favoriser les projets collaboratifs entre de grandes entreprises de Paris-Saclay. Nous ne manquerons pas de vous en dire plus à l’occasion d’un entretien avec nos deux « garagistes ».
– MapTooMi : le premier réseau social dédié à l’emploi et l’orientation professionnelle conçue en Picardie. Quel rapport avec notre sujet, vous direz-vous ? Outre le fait que la problématique de l’orientation professionnelle concerne tout autant le Campus Paris-Saclay, malgré l’excellence de ses établissements d’enseignement supérieur, ce réseau, qui exploite les ressources de la géolocalisation pour faciliter les connections entre offre et demande d’emplois, fournit une illustration de l’apport du numérique dans la mise en réseau de lieux innovants. Rappelons d’ailleurs à ce projet qu’un projet de plateforme numérique est en cours de réflexion sur Paris-Sud. Aussi curieux que cela puisse être, il n’a pas été évoqué au cours de la matinée. Nous réparons cet oubli en invitant le lecteur à se reporter à l’entretien que nous avaient accordé Ghislain Mercier, en charge du projet au sein de l’EPPS (pour y accéder, cliquer ici). Le témoignage fut aussi l’occasion de rappeler l’importance de l’actualisation des informations, par un véritable travail de recherche, à la source. Une manière de rappeler que l’enjeu y compris pour un réseau de lieux innovants est de communiquer, mais aussi d’informer.
Outre la qualité des interventions, la réussite d’une manifestation se mesure au temps que les gens restent à échanger au delà. De ce point de vue, cette réunion fut une réussite.
Légendes des photos : le bâtiment 503 (en illustration de cet article), la Cité de l’Innovation d’Alcatel-Lucent (en Une, grand format), équipement mis à disposition dans Le Garage (en Une, petit format).
Journaliste
En savoir plus