L’IA au service d’une info de qualité : la solution Prisme.
Le 14 mars 2019, avait lieu la cérémonie de clôture du Prix Design & Science 2019, au Palais de la découverte. En voici un premier écho à travers le témoignage de Philomène Desjonquères (ENSTA ParisTech), Annouk Voisin et Amine Alaoui (de Strate. Ecole de design), qui ont conçu « Prisme », une application qui permet de rendre le citoyen plus actif dans sa lecture de la presse. Et qui ignoraient encore, au moment de notre micro-entretien, qu’ils seraient les lauréats du Prix Design & Science.
– Si vous deviez pitcher Prisme ?
Philomène : Combien de fois, nous est-il arrivé de lire un article sans en comprendre totalement le contenu ni savoir sur quelles sources il s’appuyait, avec aussi le sentiment de ne pas aller vraiment au fond des choses ? On a beau y poser un regard critique, être interpellé par tel ou tel passage, se dire qu’on va en relire posément le contenu et en vérifier les informations, on est pris par d’autres choses, qui nous empêchent d’aller au bout de notre intention. Bref, on passe à autre chose, quitte à rester aussi mal informé. C’est fort de ce constat, de cette expérience que tout un chacun fait au quotidien, que nous nous sommes demandé comment permettre à chacun de vérifier l’information ou tout simplement d’en savoir plus, d’assouvir une curiosité, maintenant, sans attendre. Ce que nous proposons, donc, c’est de pouvoir confronter les informations, à commercer par celles qui nous ont interpellés au cours de notre lecture d’un article, et d’en savoir plus sur la manière dont le sujet a été traité par le média, à partir de quelles sources, selon quelle ligne éditoriale, en le confrontant aussi à d’autres articles traitant du même sujet, dans d’autres médias. Et tout ceci, pour aiguiser notre curiosité et notre esprit critique.
Amine : L’enjeu était donc de passer d’un mode de lecture « passif » (on lit l’article sans plus se poser de questions que cela) à un mode plus actif, au sens où le lecteur ne se contente pas de ce qui lui est donné à lire, mais va plus loin, questionne telle ou telle information qui l’aura particulièrement interpellé.
– Voilà pour le concept et les constats qui vous y ont amenés. Mais comment votre application, puisque c’en est une, fonctionne concrètement ?
Amine : Prenons un exemple. Vous lisez un article, et au fil de votre lecture, vous surlignez les passages qui retiennent votre attention, soit parce qu’ils aiguisent votre curiosité, soit parce que vous vous interrogez sur la manière dont l’information a été obtenue, comment elle a été traitée. Ce surlignage n’est pas destiné à renvoyer à de simples liens hypertextes, mais à re-contextualiser ces éléments d’information : en savoir plus sur les sources, le média dans lequel l’article a été publié, etc. Vous pouvez ensuite aller plus loin, en les confrontant à d’autres articles traitant du même sujet, pour bénéficier d’autres points de vue.
Annouk : L’enjeu est d’impliquer davantage le lecteur dans sa lecture, de lui permettre de s’approprier l’information, en la creusant et en la comparant, et d’avoir ainsi une lecture plus complète, plus nuancée aussi et, au final, d’être lui-même un acteur de l’information.
– Quels enseignements tirez-vous de ce travail en commun ?
Annouk : En tant que designer, je retiens au moins deux choses. La première, c’est l’opportunité de travailler en équipe, avec d’autres personnes que des designers. S’ouvrir ainsi à d’autres manières de faire, d’autres disciplines, c’est une chance incroyable ! Je le mesure aujourd’hui. C’est d’ailleurs cela qui nous a permis de concevoir notre application. La deuxième chose, c’est l’IA. Jusqu’à présent, au cours de mes études, je n’avais pas eu l’occasion d’aborder ce sujet. Je mesure maintenant à quel point c’est un enjeu à côté duquel on ne peut plus passer, y compris dans le domaine du design.
Amine : Je me retrouve dans ce qu’a dit Annouk. Ce fut une expérience très enrichissante tant du point de vue de la méthode que du contenu. Un designer et un ingénieur ne raisonnent pas pareil et c’est en cela que la confrontation de leur point de vue est stimulante. Nous mêmes n’avons pas été toujours été d’accord entre nous, mais justement le fait de pouvoir exprimer nos désaccords a permis d’aller de l’avant.
Philomène : Comme nous traitions de l’actualité, forcément, nous en avons beaucoup parlé entre nous. Et dieu sait si cette actualité, avec le mouvement des gilets jaunes, a été source de débats enflammés ! (Rire).
– Le mouvement des gilets jaunes est d’ailleurs l’exemple que vous avez pris pour illustrer comment Prisme pouvait aider à faire la part entre les informations justes et les fake news, sinon à prendre du recul. Etait-ce aussi une manière de témoigner de votre propre capacité à surmonter vos divergences ?
Tous en chœur et dans un éclat de rire : « Tout à fait ! »
Philomène : Nos échanges ont été d’autant plus enrichissants que nous sommes très vite retrouvés sur l’idée que des événements exprimaient des enjeux de société, qu’il fallait donc les traiter comme tels. Par conséquent, si on veut comprendre le monde, il nous faut saisir les faits d’actualité dans leurs multiples dimensions, élargir le champ de vision, confronter les points de vue. Au final, nous partageons la conviction que tout est affaire de culture, que celle-ci doit donc être au centre de toutes les problématiques, de toutes les politiques publiques.
Amine : Et justement, en croisant nos compétences, nous nous sommes rendus compte qu’à nous trois, nous étions riches d’une intelligence collective, qui nous rendait au final plus fort…
Philomène et Annouk : Waouh ! On ne saurait mieux dire !
– A vous entendre, l’IA aura donc été un prétexte pour vous faire éprouver la force d’une autre forme d’intelligence, plus humaine…
Philomène, Annouk et Amine en chœur : (Rire) Tout à fait !
Philomène : De par sa formation, un ingénieur est enclin à raisonner avec un objectif clair à atteindre, formalisé dans un cahier des charges. En travaillant avec des designers, j’ai découvert une démarche inverse, consistant à explorer sans idée préconçue, en regardant à droite, à gauche, comme on le fait avant de traverser, mais sans préjuger de là on va arriver. On se rend compte alors que le monde est bien plus riche de potentialités qu’on veut nous le faire croire, qu’il y a plusieurs chemins mais aussi plusieurs points d’arrivée possibles !
– Quelle suite comptez-vous donner à votre projet ? Songez-vous à créer une start-up ?
Amine : Pas plus tard que ce soir, nous avons eu des échanges avec des personnes qui n’ont demandé qu’à nous revoir… Forcément, cela motive pour aller plus loin.
Annouk : Pour l’heure, la priorité est de passer notre diplôme. Mais, effectivement, nous pourrions encore avancer dans la phase de prototypage. En tout cas, c’est un projet qui fait sens à tous les trois. Nous ne demanderions donc qu’à le poursuivre.
Philomène : Ce projet a d’ores et déjà transformé notre rapport à l’information. Pas un article lu par nous sans que nous nous disions que Prisme nous aurait été bien utile. Si nous l’avions, nous irions tellement plus loin ! Cela fait maintenant des mois qu’on l’attend et que la frustration grandit…
Amine : Thibaud, un autre participant à cette édition – il a participé au projet de La Butinerie [lauréat du prix de la Région Ile-de-France] – nous a confié qu’il aimerait beaucoup avoir Prisme sur son smartphone. C’est le plus beau compliment qu’on pouvait nous faire !
– Une illustration au passage de ce sentiment que j’ai eu en ayant assistant aux pitchs, à savoir : la bienveillance entre les différentes équipes. Cela a beau être un concours, il n’y avait pas d’esprit de compétition…
Tous en chœur : Non, en effet !
– Dans l’hypothèse où vous ne seriez pas lauréats, je vous soupçonne de ne pas être pour autant plus tristes que cela…
Tous, dans un autre éclat de rire : C’est vrai !
Philomène : Cela fait cinq mois que nous travaillons ensemble, dans le cadre d’un concours, mais sans avoir été coachés pour le gagner ! Le mot d’ordre était tout autre : aller au bout de notre idée, en la soumettant à des experts de différents horizons disciplinaires et professionnels. De ce point de vue, nous estimons avoir déjà beaucoup gagné !
Amine et Annouk : C’est tout à fait cela !
A lire aussi les entretiens avec :-
– Jean Vassoyan (Télécom ParisTech), Louis Billotte (Strate. Ecole de design) et Philippe Martin (ENSTA ParisTech), qui ont conçu Eye Care, une application permettant de valoriser toutes les informations fournies par nos rétines sur notre état de santé, et lauréats du prix Laval Virtual (pour y accéder, cliquer ici).
– Christian David Rodriguez, élève-ingénieur de Télécom ParisTech, qui a mis au point avec son équipe, « Serge », une application destinée à aider les citadins à mieux vivre la richesse de leur ville, en mettant mieux à profit l’offre multimodale (mise en ligne à venir) ;
– Vincent Créance, directeur du Design Spot, en charge de l’organisation du prix Design & Science – entretien accordé en amont de la cérémonie de clôture (cliquer ici).
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