L’humour pour se jouer de toutes les frontières.
Suite des échos à l’édition 2019 de TEDx Saclay à travers le témoignage de Karim Duval, ancien Centralien, qui a fait le choix d’embrasser une carrière d’humoriste.
– Vous nous avez donné à voir des talents d’humoriste, dont vous faites votre métier. Or, vous nous avez appris que vous étiez ingénieur de formation, de surcroît diplômé d’une grande école, CentraleSupélec….
Je suis effectivement un ancien de Centrale. J’y ai fait mes études du temps, où cette école était encore à Châtenay-Malabry. C’est dire si j’ai eu un pincement au cœur en apprenant qu’elle allait être transférée sur le Plateau de Saclay, en fusionnant de surcroît avec Supélec (non, là, je plaisante, c’est une bonne chose que ces deux écoles aient privilégié l’union). Ingénieur, je ne le suis pas que de formation : j’ai aussi travaillé durant près de sept ans, en tant qu’ingénieur en mathématiques appliquées à l’informatique. C’est durant cette carrière d’ingénieur que j’ai croisé le chemin de la scène, laquelle est, pour la faire courte, devenue une drogue !
– Pourquoi avoir renoncé au monde de l’ingénieur ?
Peut-être parce que je n’étais tout simplement pas fait pour ! En témoigne d’ailleurs la taille de mon cerveau d’ingénieur que je vous ai donné à voir durant mon intervention [comme un clin d’œil à l’intervention de Jean-François Mangin, chercheur à Neurospin, qui avait donné à voir une reproduction en 3D de la partie droite du sien, Karim a fait mine d’extraire le sien d’une toute petite boîte…]. Force m’a été de constater que je n’étais pas un vrai passionné d’ingénierie. Mais, en cela, je ne présente pas une exception. Beaucoup de jeunes font des études d’ingénieur, avant de découvrir que cela ne correspond pas à leur vocation véritable. Ils ont été tout simplement mal orientés, au prétexte qu’ils étaient bons dans une ou des disciplines scientifiques. L’inverse étant vrai aussi : beaucoup de jeunes qu’on estime a priori pas faits pour des études scientifiques feraient d’excellents ingénieurs. Je connais beaucoup de personnes qui ont fait des études littéraires et qui n’en sont pas moins passionnées de science, en étant même beaucoup plus cultivées que moi en la matière.
Pour autant, je n’ai pas coupé tout lien avec la science ni avec l’ingénierie. Au contraire, je me découvre un regain d’intérêt pour elles, à travers les textes que j’écris pour les besoins de mes spectacles et surtout les rencontres que me permet mon métier. Ce soir, j’ai eu un plaisir tout particulier à entendre les chercheurs qui sont intervenus : Sébastien Bigo [Directeur de Groupe de Recherche au Nokia Bell Labs], sur la fibre optique ; William Watkins [Ingénieur de recherche] sur les nanosciences, etc. Leurs interventions étaient des modèles de vulgarisation !
Etre ou ne pas être ingénieur ? Ce n’est pas ainsi que se pose la question. On peut très bien s’épanouir comme littéraire ou même artisan comme ce Chef Pâtissier, Meilleur Ouvrier de France, Yann Brys. Tout dépend du moment de votre vie et de la manière dont on vous présente les disciplines. Il n’y a donc que des rendez-vous manqués, mais qu’on peut vivre plus tard. Rappelons que lorsqu’on sort d’une école d’ingénieurs, on a à peine plus de vingt ans. C’est dire si on a toute la vie devant soi et la possibilité de vivre des expériences enrichissantes, d’avoir des déclics. Si, donc, j’ai un message à faire passer, c’est qu’il n’y a pas de sens à réduire son identité à celle d’être un ingénieur et rien d’autre. Il y a bien d’autres manières d’exister, au-delà du diplôme que l’on a obtenu, bien trop tôt dans sa vie !
– Que vous apporte de spécifique le métier d’humoriste ?
Je le vis d’abord comme une chance : écrire pour faire rire les gens, c’est quand même un challenge grisant. C’est aussi un moyen de faire des rencontres avec toutes sortes de personnes, de toutes les couches sociales, de tous profils, ne serait-ce qu’à travers les spectateurs qui assistent à mes spectacles. Chose qu’une carrière élitiste, avouons-le, ne permet pas toujours.
– On peut donc être Centralien et faire une carrière dans un tout autre domaine que l’ingénierie…
Oui. Cette école a d’ailleurs toujours eu vocation à former d’abord des humains. Et je peux en témoigner, même si on n’en n’a pas forcément conscience au sortir des années de classe prépa. Certes, elle dispense un excellent enseignement technique, avec des enseignants de grande qualité, pour former de futurs ingénieurs. Mais Centrale insiste aussi beaucoup sur l’importance de la vie associative, l’apprentissage des langues, les voyages à l’étranger… Elle encourage aussi beaucoup les activités artistiques, dont le théâtre. Pour autant, je n’en ai pas fait. Les quatre années à Centrale (en comptant l’année de césure que j’ai faite à l’étranger) ont été pour moi l’occasion de beaucoup voyager, d’aller vers les autres et, ainsi, de gagner en confiance.
– Vous soutient-elle en tant qu’artiste ?
Oui, elle me soutient comme d’ailleurs bien d’autres artistes, en tweetant, par exemple, la moindre de mes vidéos. Des anciens viennent par ailleurs régulièrement me voir. Certes, cela reste une école d’ingénieur, mais elle ne s’en montre pas moins solidaire à l’égard de ses anciens, qu’ils aient embrassé une carrière d’ingénieur ou pas. J’en profite d’ailleurs pour saluer l’association des anciens élèves à travers cet entretien !
– Aviez-vous des prédispositions pour monter sur scène ?
Non, pas particulièrement. Je n’avais jamais fait de théâtre avant de monter sur scène pour mon premier spectacle. Ce qui m’a amené à le faire, c’est cette intention que j’ai toujours eue chevillée au corps, à savoir : faire rire – sans m’interdire pour autant d’aborder des sujets sérieux. Je suis admiratif de ce que les comédiens de théâtre sont capables de faire : dérouler de longs monologues sur un ton tragique. Moi, j’en suis incapable. Du moins, à ce stade, je ne suis quasiment jamais monté sur scène sans l’intention de faire rire !
– Un mot encore sur l’humour dont Chris Marker a dit qu’il était « la politesse du désespoir »… En vous écoutant, j’y ai vu surtout un moyen de faire des liens improbables, de l’interdisciplinarité, en somme…
Interdisciplinarité ? Il se trouve que c’est une notion chère aux Centraliens ! Dans le contexte d’une restitution TEDx, c’est à dire un exercice bien spécifique qui consiste à revenir, avec humour, sur chacun des intervenants de la soirée, j’ai naturellement fait le lien entre les différents domaines dont il était question. Je dirais même que le comique dans cas-là, réside dans le croisement des univers. De l’interdisciplinarité, donc.
– Ah !?
De fait, l’humour permet de gommer les frontières, que ce soit entre les disciplines ou les origines des gens. Parfois, entre les couches sociales dès lors qu’on n’est pas dans une logique communautaire. L’humour arrive à fédérer, comme le montre à merveille un Charlie Chaplin, en faisant ressortir la part d’universel qu’il y a entre nous et en nous. Il y arrive en jouant sur cette fréquence de résonance ainsi que j’ai essayé de l’expliquer avec mes quelques restes de connaissances en science de l’ingénieur.
Cela étant dit, l’humour est, c’est vrai aussi, la politesse du désespoir. Il ne procure pas que de la joie. Il soulage autant qu’il libère. Je dirai même que c’est son aspect « dual » (pour reprendre une expression mathématique…). L’un et l’autre vont de pair. En cela, c’est quelque chose qui nous est propre, à nous autres humains, avec nos côtés Dr Jekyll et Mr Hyde ! Cela dit, tout humoriste que je suis, j’aime aussi parler sérieusement de sujets de fond, ainsi que je le fais au cours de cette interview et l’ai fait dans la seconde partie de mon intervention – la première étant la restitution.
– Vous avez parlé de « vulgarisation » à propos des interventions des scientifiques. J’avoue être sceptique quant à l’intérêt de ce terme. On parle d’ailleurs aujourd’hui plus de « médiation scientifique » quand bien même cette expression rencontre elle aussi ses limites. Quoi qu’il en soit, il me semble que ces scientifiques, pour m’en tenir à eux, ont fait bien plus que de la vulgarisation, dans la mesure où ils n’ont rien lâché quant au niveau d’exigence dans la rigueur scientifique de leurs propos…
Je persiste et signe : j’aime bien la vulgarisation, dans la mesure où elle permet à des personnes hermétiques à un domaine donné d’y avoir accès et de s’y intéresser un peu plus. Certes, il ne faut pas en rester-là, ne pas verser dans les simplifications. Mais, à partir du moment où une personne est intéressée, elle ne demandera qu’à aller plus loin. Mieux vaut intéresser à travers une approche vulgarisatrice qu’écœurer à travers une approche puriste et exhaustive ! Il n’en va pas autrement avec les enfants : s’ils sont intéressés, ils saisiront intuitivement l’intérêt d’approfondir jusqu’à connaître un sujet sur le bout des doigts. Loin de les dissuader, des équations pourront les intriguer. Bon, là, j’exagère peut-être un peu…
Pour autant, je ne sous-estime pas le poids de la rigueur scientifique, requis pour devenir ingénieur. Au contraire, c’est même une chance de notre système d’enseignement supérieur que de produire de beaux esprits scientifiques. J’irai plus loin en disant qu’il ne faudrait pas que l’IA dont on parle tant, se développe au détriment de la théorisation. Il peut y avoir quelque chose de beau dans une théorie, d’autant qu’elle fournit des explications à des phénomènes, que le recours au big data ne fait que confirmer après coup.
– Cette réflexion fait bien transition avec la dernière question que je voulais vous poser, sur votre ressenti après votre expérience TEDx Saclay. Ce dispositif ne démontre-t-il pas s’il en était besoin la puissance, et en temps réel, des interactions (résonances ?) entre des intervenants et le public ?
Oui, avec ceci de particulier que ce public était très divers – il y avait des chercheurs, des ingénieurs, mais pas que. Dans mes spectacles, j’aime bien parler tout particulièrement de la génération Y – les gens nés dans les années 80-2000. Le challenge est d’y intéresser tous les gens qui se trouvent dans la salle, étant entendu que tous ne relèvent pas de cette génération. J’ai donc toujours le souci de m’adresser à tout un chacun. Je m’y emploie en étant attentif au ton et aux mots que j’utilise. Un souci permanent.
De ce point de vue, TEDx Saclay – ma première expérience TEDx – m’a offert une autre occasion de le faire. Je l’ai vécue comme un exercice de vulgarisation sinon de communication auprès d’un public particulièrement divers. En fait, c’était deux exercices en un : un exercice de restitution, puis un témoignage (volontairement pas drôle !) sur mon travail d’humoriste. De là aussi cette fragilité que j’ai perçue en moi. Mais, après tout, elle était au diapason du fragile jeu d’équilibriste que je décrivais.
Karim Duval se produit actuellement à la Comédie de Paris, avec son spectacle sur la génération Y. Pour en savoir plus, cliquer ici.
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