Du 2 au 6 mai 2018, se déroulait au Centre Culturel International de Cerisy un colloque sur le thème « Crises de la ville, futurs de l’urbain ? ». L’occasion d’y rencontrer Pascal Auzannet, auteur d’un ouvrage sur « les secrets du Grand Paris », dont il a été un des artisans. Et dans lequel il est bien évidemment question de l’écosystème de Paris-Saclay et de la ligne 18 censée le desservir…
– Pouvez-vous pour commencer par rappeler l’ambition de votre ouvrage ?
L’ambition est affichée dans le titre un brin accrocheur, j’en conviens (Les secrets du Grand Paris), mais aussi et peut-être d’abord dans le sous-titre (« Zoom sur un processus de décision publique »). Il s’agit de revenir sur les discussions et les débats qui ont débouché sur le projet du Grand Paris tel que nous le connaissons aujourd’hui, à savoir : cinq lignes de métro totalisant 200 km, 68 gares, le tout devant être réalisé à l’horizon 2030 pour un montant de l’ordre de 30 milliards d’euros. L’ouvrage couvre une période d’une dizaine d’années : de 2004, celle durant laquelle un premier projet est proposé publiquement – une rocade, qui ne fait alors que 40 à 60 km – jusqu’à 2013, année où mon ultime mission relative au Grand Paris s’achève.
Ce faisant, je montre la grande diversité des acteurs qui interviennent dans le processus : experts, opérateurs de transports, architectes, urbanistes sans oublier, bien sûr, les représentants de l’Etat et les élus ; les uns entrant en scène, les autres la quittant en cours de route, tous apportant leur pièce à l’édifice sur fond d’oppositions, de rapports de force et de tensions, jusqu’à ce qu’on parvienne à une convergence et, aujourd’hui, à une mise en œuvre effective du projet. Au-delà des chiffres, le Grand Paris Express aura donc été le résultat de très nombreuses réunions de travail, d’échanges officiels ou confidentiels, de concertations, de discussions, d’argumentaires, de rapports…
– Ce dont votre livre témoigne. Parmi les acteurs qui « entrent en scène », pour reprendre votre expression, il y a donc vous, parmi les rares à y rester durant toute la période que vous couvrez (entre 2004 et 2013, donc)…
De fait, en 2004, je suis directeur du développement et de l’action territoriale de la RATP. La Région s’apprêtait à réviser son schéma directeur (SDRIF). Afin d’engager la RATP dans le débat qui allait s’ouvrir sur l’aménagement du territoire, j’ai proposé à la PDG de l’époque, Anne-Marie Idrac, de mettre en discussion un projet de rocade, qui sera connu sous le nom de Métrophérique. Cette proposition qui s’inscrivait déjà dans une logique de projet urbain reçut un accueil plutôt favorable (hormis la Région, qui s’estimait la plus compétente pour traiter des enjeux de transport en Ile-de-France). C’est d’ailleurs ce projet qui servira de base à la future ligne 15 du Grand Paris Express. Soit le cœur du Grand Paris Express.
Je devais continuer à y travailler encore quelques années, jusqu’à ce que le projet du Grand Paris impulsé par le nouveau Président de la République, Nicolas Sarkozy, et porté par Christian Blanc (alors Secrétaire d’Etat), ne fasse basculer l’ambition dans une tout autre dimension. Il s’agissait désormais de plusieurs lignes au service d’une vision, celle du Grand Paris comme « ville-monde », organisée autour de grands pôles de développement parmi lesquels Paris-Saclay (qui a vocation à être le cluster technologique du Grand Paris). Je ne quitte pas la scène pour autant. L’Etat me demande en effet de travailler sur le dossier destiné au débat public. C’est à ce titre que je devais diriger la Mission de préfiguration du Grand Paris. La Région entre à son tour en scène avec son projet concurrent, l’Arc Express, lequel s’inscrivait dans un « plan de mobilisation » destiné notamment à améliorer l’existant. Pendant le débat public, l’Etat, par la voix du ministre de la Vile, Maurice Leroy, me confia une nouvelle mission : réfléchir à la convergence des deux projets. Sur la base des recommandations que je ferai, un accord est conclu le 26 janvier 2011, entre l’Etat et la Région, qui associera tous les territoires. On parle alors d’un accord « historique ». De fait, pour la première fois, le projet du Grand Paris fait l’unanimité. On parle désormais du Grand Paris Express (contraction du Grand Paris et de l’Arc Express), pour désigner l’ensemble des futures lignes.
– L’histoire ne s’arrête pas là, ni pour vous, puisque vous serez de nouveau sollicité pour un autre rapport, que vous remettez en décembre 2012…
En effet. Comme vous l’imaginez, un projet d’une telle envergure ne pouvait pas être finalisé en une seule fois. Il avait fallu préciser le tracé, la localisation des gares, arrêter le choix des matériels roulants, définir les schémas d’exploitation, les modes de financement etc. Un aspect restait encore à traiter : le phasage. Autrement dit le choix des territoires qui seraient jugés prioritaires. Un enjeu majeur qu’il revenait au nouveau gouvernement, constitué suite à l’alternance politique intervenue en 2012, de traiter. Le nouveau gouvernement me demanda de remettre un rapport. La tâche ne fut pas simple, chaque maire des communes concernées, que je pris soin de consulter, ayant de bonnes raisons de considérer que la sienne était prioritaire et ce, dans l’intérêt général… Sur la base d’une analyse multicritère – prenant en compte le niveau de trafic attendu, la contribution des gares au renouvellement urbain et au développement économique des territoires, ou encore au rééquilibrage entre les banlieues ouest et est – je formulai des recommandations aussi objectives que possible. Recommandations que le premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, devait reprendre en mars 2013. Entre-temps, un important travail de pédagogie avait été fait auprès des élus, qui, après des réactions on ne peut plus vives, se rangèrent à nos arguments.
– Avec le recul, que mettriez-vous en avant ?
L’appropriation par les territoires d’un projet initialement lancé par l’Etat. Les élus ont bien vu l’intérêt des gares pour le développement économique et social. De là l’enjeu majeur qu’a pu constituer leur localisation. A cet égard, les quatre mois de débat public ont eu un rôle décisif, avec beaucoup de contributions aussi bien des élus que des autres acteurs des territoires. Maintenant que celle-ci a été arrêtée, la réflexion doit se poursuivre pour aménager au mieux ces gares, en faire de véritables vecteurs de développement urbain à travers l’accueil d’activités économiques (bureaux, commerces…) dedans et autour, en même temps qu’une réponse au problème du logement dans le périmètre du Grand Paris.
– Zoomons maintenons sur la ligne qui concerne directement Paris-Saclay – la ligne 18 – dont on découvre à la lecture de votre livre à quel point elle été l’objet des débats les plus contradictoires…
De manière générale et comme je l’ai indiqué, le Grand Paris Express a fini par faire l’objet d’une véritable appropriation par les territoires – les élus, les acteurs économiques, mais aussi les habitants, à en juger par leur implication dans le débat public que j’ai également évoqué. Presque partout, un consensus s’est établi au travers de Contrats de développement territorial, censés définir les projets d’aménagement autour des nouvelles gares. A Paris-Saclay, les choses ont été un plus compliquées. L’ancrage territorial du projet y était moindre. Les débats étaient plus intenses et les oppositions plus tranchées entre les partisans et des opposants, y compris sur la question de savoir si le métro devait être souterrain ou aérien. Le Plateau de Saclay avait beau offrir davantage d’opportunités qu’ailleurs en faveur d’un métro aérien, cette option, a priori moins onéreuse, suscita d’autres oppositions, à commencer chez les habitants des communes concernées. Se posait aussi la question du dimensionnement du métro de cette ligne. Certes, le territoire est appelé à connaître de forts développements. Le choix d’un métro (plutôt que de simples bus en sites propres) se justifiait donc pleinement, mais fallait-il pour autant un métro lourd, comme sur les autres lignes, avec le risque de surcapacités ? Personnellement, j’ai toujours pensé que l’option initiale était surdimensionnée. Sans entrer dans les détails techniques de la question, je rappelle qu’au début, on envisageait des capacités de 40 000 voyageurs dans chaque sens de circulation, alors que la demande à l’horizon 2030 ne devrait pas excéder les 5-6 000. Or, nous devions prendre en considération les exigences de rentabilité économique du projet. Vous connaissez la suite : le projet sera finalement redimensionné tout en conservant un potentiel capacitaire appréciable (la ligne 18 telle que configurée aujourd’hui pourra transporter jusqu’à 20 000 voyageurs, dans chaque sens, en heure de pointe).
– Dans quelle mesure a été prise en considération la vocation internationale du cluster et par conséquent le fait qu’il est appelé à attirer des étudiants, des enseignants et des chercheurs venant des quatre coins du monde, auxquels il faut bien donner des moyens de transport dignes de ce nom ? Vous n’en faites pas état dans votre livre…
Paris-Saclay revêt incontestablement une dimension internationale et cette dimension a pesé et même conforté l’intérêt de desservir cet écosystème au moyen d’une ligne de métro puissante et attractive. Encore une fois, mes réserves, s’il y en a encore, portent juste sur son dimensionnement, pas sur le principe d’une ligne dédiée en métro automatique. Celle-ci est bien évidemment indispensable.
– Un mot sur les arbitrages intervenus en février dernier. Que vous inspirent-ils ?
Je constate qu’ils ne remettent pas en cause l’essentiel : la construction de cinq lignes, à l’horizon 2030. Ils traduisent aussi le chemin parcouru depuis le lancement du projet : nous étions partis d’une vision impulsée par l’Etat autour du concept de ville-monde, puis, à mesure que nous avons avancé, le projet a été approprié par les territoires. Cet ancrage territorial garantit le caractère irréversible du projet. Toute remise en cause est inenvisageable. Ce dont témoignent encore une fois les derniers arbitrages. L’Etat a confirmé la réalisation de l’intégralité du projet à un horizon qui reste somme toute proche au regard de l’ambition affichée et du défi technique (200 km de lignes, dans un environnement déjà urbanisé). Nul autre pays au monde sinon en Europe ne s’est engagé dans un projet de cette envergure.
– Rappelons pour terminer que cet entretien est réalisé à l’occasion d’un colloque sur les « Crises de la ville, (les) futurs de l’urbain ? », au Centre Culturel International de Cerisy. Quel enseignement en tirez-vous ?
Il a été l’occasion de rappeler s’il en était encore besoin que le Grand Paris n’est pas qu’un projet de transport. C’est un projet de développement urbain, qui peut aider à inventer la ville de demain. Maintenant que la localisation des gares a été arrêtée, il importe de réfléchir aux quartiers constitués autour, à la manière d’en faire des lieux de vie et autant d’attracteurs du Grand Paris, au-delà du périphérique. Et ce n’est pas les opportunités qui manquent. Suite aux décennies de désindustrialisation, le territoire du Grand Paris compte de nombreuses fiches qui sont autant de ressources foncières pour fabriquer la ville sur la ville, faire rimer densité avec qualité de vie.
Les Secrets du Grand Paris. Zoom sur un processus de décision publique, par Pascal Auzannet, éditions Hermann, 2018.
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