Entretien avec Yann Briand, Référent Mobilités & Logistique chez SystemX
Référent Mobilités & Logistique chez SystemX, Yann Briand fait un point sur les projets portés dans ce double domaine par cet Institut de Recherche Technologique (IRT), avec ses partenaires industriels, institutionnels et le concours d’universitaires. Non sans souligner l’intérêt de sa double inscription dans les écosystèmes de Paris-Saclay et de Lyon.
- Pour commencer, pouvez-vous rappeler la vocation de l’IRT SystemX et ses spécificités ?
Yann Briand : SystemX est l’un des huit IRT labellisés en 2012 par l’État dans le cadre du Programme d’Investissements d’avenir (PIA), aujourd’hui France 2030. Nous intervenons dans le champ de l’ingénierie numérique avec l’ambition de concourir à la transformation digitale de nos industries et territoires. À ce titre, nous investissons de nombreux domaines d’avenir : l’industrie 4.0, la cybersécurité, l’économie circulaire, le véhicule connecté et autonome, la mobilité et la logistique… Notre approche se veut aussi transversale et pluridisciplinaire que possible. Au sein de l’IRT SystemX, l’ingénierie numérique regroupe ainsi des équipes intégrant des expertises diverses que ce soit en data science, en simulation, en cybersécurité, en architecture logicielle ou encore en interfaces Homme-Machine.
- Et ce, dans une démarche multipartenariale, collaborative...
YB : Oui, nous faisons travailler ensemble des équipes d’ingénieurs-chercheurs composées de nos partenaires industriels, des personnels de SystemX et des académiques, y compris des chercheurs en sciences humaines et sociales. Nous mettons pour cela à disposition nos locaux et équipements, un ou plusieurs jours par semaine. Nous croyons aux vertus de la colocalisation même si, bien évidemment, nos équipes sont outillées pour travailler aussi à distance.
Ainsi, à l’interface du monde industriel et du monde de la recherche, nous offrons les conditions pour lever des verrous technologiques, répondre à des problématiques émergentes, prototyper, tester des solutions qui s’appuient sur des technologies innovantes, en vue de leur implémentation dans des environnements industriels, avec l’ambition de créer des impacts socioéconomiques et environnementaux.
- Venons-en au domaine dont vous êtes le référent, la mobilité. Que recouvre-t-il exactement ?
YB : Il s’agit d’un vaste domaine et ce, d’autant plus qu’il recouvre aussi la logistique et pas moins de quatre enjeux : la digitalisation et la décarbonation – nous identifions les méthodes qui permettent de concilier l’amélioration de la performance opérationnelle et la réduction de l’empreinte environnementale – ; ensuite, la transition énergétique, autrement dit le passage des énergies fossiles aux énergies alternatives, appelé à s’accompagner de mutations massives. Le 3e enjeu concerne le changement de pratiques et de comportements aussi bien des usagers que des opérateurs de mobilité, des autorités organisatrices, des constructeurs… – nous identifions les moyens d’encourager des évolutions comportementales et de pratiques sur l’ensemble de la chaine de valeur.
- De là cette approche pluridisciplinaire élargie aux sciences humaines et sociales ?
YB : Oui, tout à fait. En cela, notre approche se veut technologique mais aussi sociétale, à l’articulation des sciences de l’ingénieur et des SHS, donc. Nous nous attachons à comprendre la manière dont les systèmes de mobilité fonctionnent et comment ils interagissent avec les comportements individuels et collectifs des usagers. Nous ne nous concentrons donc pas seulement à la mise au point de solutions technologiques : nous intégrons les caractéristiques socio-démographiques des populations, ou des données comportementales qui permettent, par exemple, de modéliser les motivations et des arbitrages sur le choix d’un mode de déplacement.
- Venons-en au 4e enjeu…
YB : Il concerne l’aide à la décision. Force est de constater que nous sommes confrontés à des systèmes de plus en plus complexes de par leur interconnexion, leur dynamique propre, cette complexité croissante concernant aussi bien les usagers que les opérateurs. Et cela est particulièrement vrai pour les systèmes de mobilité et de logistique. Il faut donc éclairer les orientations stratégiques. C’est ce à quoi nous nous employons, en adoptant là encore une approche transversale. Nos travaux aboutissent sur des outils d’aide à la décision, qui permettent d’extraire les données quantitatives et qualitatives, les indicateurs les plus significatifs dans des environnements complexes pour hiérarchiser et comparer les impacts au sein de ces écosystèmes.
- Pouvez-vous donner des exemples de projets en cours parmi les plus emblématiques de votre démarche ?
YB : Je vous en citerai un particulièrement emblématique et prometteur : il s’agit du jumeau numérique centré sur la logistique urbaine que nous avons expérimenté sur la métropole de Lyon et que nous déployons actuellement à Copenhague : il permet de modéliser les flux logistiques à l’échelle du territoire et d’élaborer des scénarios prospectifs à différents horizons temporels. D’ores et déjà, nous savons que ces flux sont appelés à doubler, sous l’effet notamment de l’essor du e-commerce et des livraisons à domicile. Modéliser ces flux et leur évolution permet de poser les bonnes questions en vue de planifier la décarbonation de la filière. Où positionner de nouvelles infrastructures de consolidation des flux ? Dans quelles conditions favoriser l’usage des modes décarbonés tels que les vélos cargos, les camionnettes électriques ? Faut-il mettre en place des incitations financières ? Sans prétendre trancher ces questions, nous aidons à éclairer la décision des acteurs aussi bien publics que privés, en exposant les évolutions systémiques sur le territoire à plus ou moins long terme, selon les actions mises en œuvre, comment il est appelé à se comporter sous l’effet de nouvelles contraintes ou incitations et avec quel impact au plan environnemental, de la consommation énergétique, des émissions de GES. En bref, nous donnons les moyens d’évaluer la soutenabilité de telle ou telle stratégie, y compris au regard de sa viabilité pour les acteurs économiques. Un enjeu clé quand on sait que les marges réalisées tout au long de la chaîne de valeur sont relativement faibles. La capacité de l’écosystème à amortir les évolutions réglementaires ou financières est une garantie de diversité des acteurs économiques et de maintien de l’emploi. Une perspective que les décideurs politiques doivent aussi prendre en considération.
Si j’ai choisi cet exemple, c’est qu’il illustre bien cette hybridation de notre approche intégrant à la fois une dimension technologique et des considérations environnementales, économiques, etc.
- Dans quelle mesure l’inscription de SystemX dans l’écosystème de Paris-Saclay vous aide-t-elle à atteindre vos objectifs ? Je pose la question en ayant à l’esprit que vous répondez à mes questions depuis Lyon, où l'institut est également présent…
YB : Nous sommes effectivement inscrits dans l’écosystème de Paris-Saclay où nous collaborons étroitement avec les collectivités territoriales engagées dans l’OIN Paris-Saclay, à commencer par la Communauté d’agglomération de Paris-Saclay, partenaire de plusieurs de nos projets, dont la chaire Anthropolis, qui a vocation à explorer le futur des mobilités au prisme, comme son nom l’indique, de l’humain. L’intérêt de ce type de collaboration est d’adresser des problématiques territoriales concrètes. Comme vous le savez, le plateau de Saclay est en pleine mutation. Le système de mobilité est appelé à évoluer lui aussi avec le développement d’une offre multimodale et, donc, de nouveaux flux, qu’il nous faut pouvoir modéliser et simuler pour en anticiper l’impact, prendre les bonnes décisions en matière d’investissements et de régulation.
- En intégrant l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express ?
YB : Oui, bien sûr. Plusieurs des solutions que nous développons anticipent les effets de l’arrivée de cette ligne et les besoins nouveaux au plan intermodal – stationnement, dessertes de bus, etc. – qui en résulteront à l’échelle des futures gares. Ce qui n’est possible qu’en s’appuyant sur l’expertise que les opérateurs et les collectivités ont su capitaliser sur ce territoire. Je tiens d’ailleurs à les remercier de contribuer comme ils le font, notamment en nourrissant notre démarche prospective par le partage de données, malgré les contraintes qu’ils ont à gérer au quotidien.
- Une illustration au passage du fait que même à l’heure du numérique, de la digitalisation et de l’IA, il importe de prendre en compte le contexte territorial. Cela étant dit, rappelons que notre entretien se fait à distance : vous me répondez depuis Lyon. Une autre illustration, cette fois, du fait qu’un écosystème technologique n’a de sens que s’il est connecté à d’autres écosystèmes, a fortiori quand il est tourné vers les enjeux de mobilité et de logistique… Sans compter que, dans votre cas, vous n’êtes qu’à deux heures de Paris-Saclay grâce à la desserte ferroviaire par la gare Massy TGV…
YB : Gare que je connais bien puisque c’est celle où je descends pour me rendre sur nos sites de Paris-Saclay implantés au centre d’intégration Nano-INNOV et au Moulon. Cela étant dit, l’écosystème Paris-Saclay est d’abord connecté au reste de l’Île-de-France et, au-delà, à l’international. Il se veut un écosystème d’excellence mondiale, est-il besoin de le rappeler.
- Une question personnelle pour clore cet entretien : qu’est-ce qui vous a prédisposé dans votre cursus à vous investir dans ses problématiques de mobilité et de logistique ?
YB : J’ai un double cursus tourné vers l’ingénierie et les sciences politiques. Au sortir de mes études, je me suis intéressé aux problématiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Très vite, la question de la digitalisation s’est posée au travers de ce qu’il a été convenu d’appeler la ville intelligente – ou smart city. J’ai eu par ailleurs l’opportunité de travailler sur les problématiques de mobilité intelligente dans des contextes de collaborations internationales. Depuis, d’autres opportunités se sont présentées de traiter des mobilités à l’heure de la digitalisation, une des dernières en date concernant le développement du ferroviaire dans les métropoles.
- Fort de votre expérience, êtes-vous enclin à voir dans la mobilité et la logistique un domaine en évolution rapide ou encore caractérisé par des constantes ?
YB : De prime abord, la digitalisation peut donner le sentiment de mutations profondes en cours et à venir. De fait, elle concourt à accélérer l’apparition de nouvelles offres et solutions commerciales : les vélos et trottinettes en accès libre, la forte croissance de la livraison à domicile, etc. Des offres boostées par le numérique et qui concourent à changer la physionomie d’une ville. Naturellement, c’est intéressant à observer, et à prendre en considération. Dans le même temps, force est de constater que les gens continuent à se déplacer massivement en voiture ou via les réseaux de transports en commun (trains, métro, bus, tramway). Un challenge à augmenter l’efficacité opérationnelle : taux de remplissage des véhicules individuels, interconnexion aisée des parcours multimodaux,… Les tendances et autres modes qui font l’actualité ne doivent pas faire oublier que les grandes évolutions s’inscrivent dans le temps long. Naturellement, il ne s’agit pas d’opposer les deux. Il apparaît clair que le digital peut contribuer à améliorer la performance de nos réseaux et infrastructures tout en nous aidant à affronter leur complexité et leur connexion à d’autres moyens de déplacement et de transport innovants dans une logique intermodale. C’est aussi à cela que nos équipes s’emploient, avec le concours de nos partenaires industriels, académiques et institutionnels à travers la mise au point de solutions qui, à défaut d’être visibles par l’usager, de lui paraître spectaculaires, n’en contribuent pas moins à améliorer sa mobilité et/ou sa logistique.
Journaliste
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