Entretien avec Éric Lebeau, Directeur général de VEDECOM
Directeur Général de VEDECOM, Eric Lebeau fait le point sur le portefeuille de projets que cet institut pour la transition énergétique (ITE) dédié aux mobilités du futur, automatisées et électriques, a défini pour les trois prochaines années avec ses partenaires industriels.
- Comment va VEDECOM ?
EL : L’année 2022 a été particulièrement chargée : VEDECOM étant arrivé au terme d’un cycle, nous l’avons consacrée à reconstituer un nouveau portefeuille de projets avec nos partenaires. Nous sommes ainsi engagés dans une nouvelle dynamique qui permet de nous projeter dans les trois prochaines années.
- Qu’en est-il des rapports avec les pouvoirs publics ?
EL : Comme les autres instituts pour la transition énergétique (ITE), et les instituts de recherche technologique (IRT), nous avions été conventionnés pour une durée de dix ans. Pour ce qui concerne les ITE, la convention s’achève à la fin 2024 – à la mi-2025 pour les IRT. Depuis une année, nous sommes donc en discussion avec l’État via le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) en charge du pilotage de France 2030 sur les modalités de d’un re-conventionnement jusqu’à l’horizon 2030 (soit un nouveau cycle de six ans).
Rappelons qu’au moment où il a lancé les instituts (les ITE aussi bien que les IRT), sur la base d’appels à projet, l’État escomptait qu’ils seraient en mesure de s’autofinancer au-delà de leurs dix premières années d’existence. Sans attendre cette échéance, il a été admis que ce ne pourrait être le cas. En l’état actuel des discussions, nous nous acheminons donc vers une reconduction du conventionnement sur des bases de financement comparables sans exclure cependant un retrait progressif de l’État, par un renforcement naturel de nos capacités d’autofinancement, au travers notamment d’appels à projet compétitif que ce soit en France ou désormais en Europe. Par ailleurs, l’État attend des instituts qu’ils travaillent davantage ensemble comme avec d’autres institutions et organismes de recherche tournés, comme nous, vers la recherche industrielle appliquée (le CEA, les Instituts Carnot,…) dans une logique collaborative valorisant nos complémentarités. Une perspective à laquelle on ne peut qu’adhérer au vu des challenges auxquels nous faisons face en matière de transition énergétique. Autant unir nos forces plutôt que de continuer à avancer chacun dans son coin.
- En résumé, on pourrait dire qu’il en va des ITE (et IRT) comme il en a été des Pôles de compétitivité lancés dès 2005 au regard, du moins, de leur dialogue avec l’État et des attentes de celui-ci quant à leur évolution et leur modalité de financement…
EL : En effet. Votre question m’offre d’ailleurs l’occasion de rappeler que nous travaillons déjà de longue date en étroite collaboration avec l’un de ces pôles de compétitivité, Next Move. Nous avons aussi commencé à nous rapprocher d’autres Pôles de compétitivité traitant comme nous de problématiques de mobilité : Cara – European Cluster for mobility solutions ; ID4Mobiliy ou encore le Pôle Véhicule du Futur. Cela répond à une autre attente de l’État, à savoir que nos instituts soient davantage au service du développement économique des territoires et de leur tissus de TPE-PME, ce qui, reconnaissons-le, n’était pas forcément inscrit dans nos missions initiales – il est vrai que le mode de financement ne s’y prêtait pas : il était jusqu’alors conçu pour des projets d’ampleur significative dans lesquels ces entreprises n’avaient pas toujours les moyens d’investir. Nous réfléchissons donc à des modalités de participation plus adaptées à leurs capacités financières.
- À vous entendre, on peut retenir que vous n’avez pas attendu le re-conventionnement pour être dans une logique multi-acteurs…
EL : Effectivement. Déjà, au sein de la FIT – l’association fédérant la quinzaine d’ITE et d’IRT existant à travers la France -, nous nous retrouvons plusieurs fois par an pour partager nos expériences, échanger sur nos problématiques, présenter nos projets. Nous commençons à réfléchir à des alliances entre les instituts qui travaillent plus spécifiquement sur les thématiques liées à la mobilité.
- Des instituts en mouvement, en somme. Rien de plus naturel au demeurant quand on songe que ce domaine des mobilités est en évolution permanente sous l’effet de l’arrivée de nouveaux acteurs, de nouvelles technologies, de nouveaux usages, de nouveaux types de véhicules, dont la voiture autonome et/ou électrique…
EL : Effectivement, nous sommes dans un environnement très mouvant, c’est le moins qu’on puisse dire ! C’est aussi pourquoi, en 2022, nous avons mené cette réflexion avec nos partenaires sur les axes stratégiques de notre ITE et les thématiques de recherche à privilégier. Il en est ressorti une confirmation de la pertinence de nos trois thématiques initiales : l’électrification ; le véhicule automatisé et connecté ; enfin, les nouvelles solutions de mobilité et énergies partagées.
- Que recouvrent concrètement ces trois thématiques ?
EL : Concernant l’électrification, nous avons pris le parti de nous concentrer sur le volet intégration de la mobilité dans le système énergétique : la recharge et son infrastructure, l’objectif étant de parvenir à terme à une recharge électrique bi-dimensionnelle : du réseau au véhicule et du véhicule au réseau, de façon à limiter les déséquilibres entre l’offre et la demande d’électricité. Avec le Secrétariat général pour l’investissement et plusieurs instituts, nous avons aujourd’hui l’ambition de monter une initiative sur cette thématique au plan national pour atteindre la taille critique, dynamiser l’innovation et soutenir les TPE-PME déjà très nombreuses à avoir investi ce domaine – on compte par exemple de nombreux fabricants de bornes électriques -, mais sans toujours disposer des moyens d’investiguer elles-mêmes les technologies à développer.
Nous souhaitons également continuer à travailler sur les recharges sans contact – un sujet d’actualité s’il en est sur lequel notre institut travaille déjà de longue date – notamment dans le cadre d’un projet européen. Nous programmons une expérimentation sur le site de Satory avant la fin de l’année 2023 ainsi qu’à Paris, dans le XIIIe arrondissement, sous réserve d’autorisation par les pouvoirs publics.
- Qu’en est-il du deuxième domaine, celui du véhicule automatisé et connecté…
EL : Nous continuons à travailler sur la validation des ADAS (aides à la conduite) en cherchant à mieux comprendre les situations critiques de façon à être à même de définir les bons paramètres de sécurité. Nous travaillons aussi sur le volet connectivité entre le véhicule et l’infrastructure en nous appuyant notamment sur les communications satellitaires. Nous avons engagé pour cela un nouveau programme sur la route intelligente dans une logique de complémentarité entre les capteurs embarqués sur le véhicule et ce qui est débarqué dans l’infrastructure routière dans l’idée de garantir la bonne intégration des nouvelles offres de services avec les conducteurs et leurs passagers ainsi que pour les piétons et autres usagers de la voirie. Des travaux encore théoriques portent sur les architectures fonctionnelles à mettre en place en vue d’expérimentations. En parallèle, nous sommes impliqués dans le projet 5G Open Road dont un des territoires d’expérimentation majeurs est Paris-Saclay, dans le quartier de l’École polytechnique où nous mobilisons des technologies débarquées (caméras, mâts,…). Nous bénéficions déjà d’équipements ayant servi pour de précédentes expérimentations. Nous les complémentons par de nouvelles technologies pour voir en quoi la 5G peut aider les fonctionnalités avancées du véhicule automatisé et connecté. Plusieurs cas d’usage sont envisagés qui vont de la navette autonome et les conditions de sa supervision, au carrefour intelligent, en passant par la logistique du dernier kilomètre au moyen de droïdes avec un volet geofencing pour sécuriser leur parcours au milieu des piétons. Un projet qui mobilise dix-sept partenaires.
Cette thématique a été pour nous l’occasion de tisser des liens avec un fabriquant de navettes, Milla Group, devenu un de nos membres – et d’autres opérateurs de transport comme la SNCF, qui nous a rejoints également. Une illustration au passage du fait que la thématique est transversale : elle intéresse de nombreux acteurs qui n’avaient pas forcément l’habitude de travailler ensemble. Tout l’intérêt de VEDECOM est de leur permettre de le faire.
- Saisissons l’occasion de rappeler que le véhicule autonome recouvre de nombreux défis qui ne sauraient se réduire à la mise au point d’un véhicule se déplaçant de manière totalement autonome, c’est-à-dire sans plus de conducteur…
EL : Oui, et c’est d’ailleurs pourquoi, on ne parle plus guère de « véhicule autonome », mais de « véhicule automatisé et connecté ». L’enjeu n’est pas de conférer une autonomie permanente au véhicule dans la prise de décision. On considère que celui-ci devra toujours être sous la délégation de conduite d’un superviseur, qu’il soit à l’intérieur ou à l’extérieur, intervenant depuis un centre de supervision. Dès lors, au regard des exigences de sécurité, il faut définir les contextes dans lesquels ce type de véhicule peut être autonome et les contextes dans lequel il ne peut plus l’être, avec une reprise de contrôle par le conducteur dans le cas d’un véhicule particulier ou par le superviseur dans le cas d’une navette.
- Et la 3e thématique, les nouvelles solutions de mobilité et les énergies partagées, en quels projets consiste-t-elle ?
EL : Tout d’abord dans la continuité de ce que nous avions fait jusqu’alors, autour des interactions entre les usagers vulnérables et les nouveaux types de mobilité – qu’elles soient électriques, douces et/ou automatisées ; et d’autre part, nous avons lancé un nouveau programme de prospective autour de la décarbonation des mobilités. Concrètement, nous allons élaborer plusieurs scénarios à différents horizons de temps – 2025, 2030 et 2040 – à partir de travaux de simulation, des enquêtes, de la veille technologique, pour voir comment elle pourrait se dérouler. Nous investiguons également la thématique des hubs de mobilité, ainsi que le montage de projets sur les véhicules intermédiaires et sur l’auto-partage. Voilà pour un aperçu du portefeuille de projets pour les prochaines années.
- Qu’en est-il des modalités de leur conduite ?
EL : Votre interrogation est l’occasion pour moi de préciser deux caractéristiques de notre approche qui font, je crois, l’originalité d’un institut comme le nôtre. D’une part, nous faisons de la recherche appliquée, et même dirigée selon les besoins d’industriels, qui s’y impliquent en la cofinançant, mais aussi en détachant des ingénieurs. D’autre part, le projet va de la recherche la plus fondamentale – dans le cadre de thèses que nous finançons – jusqu’à la simulation d’études théoriques et la démonstration et l’expérimentation, à travers des démonstrateurs, et même au-delà puisque nous évaluons ces expérimentations. Soit une boucle complète qui nous singularise par rapport à la fois à des laboratoires de recherche académique et des centres de R&D tout en nous permettant de faire le lien entre eux. Notre MobiLab – le nom du bâtiment qui nous abrite et où je vous reçois – accueille ainsi aussi bien des thésards que des personnels mis à disposition par les industriels et nos personnels en propre – des chargés de recherche, des personnes ayant déjà réalisé leur thèse ; des ingénieurs et des techniciens pour la réalisation pratique des expérimentations. Nous avons également un pôle de chercheurs issus des sciences humaines et sociales : des économistes, des sociologues et des psychologues, qui nous aident à poser un autre regard sur les différentes thématiques évoquées.
- De la multidisciplinarité au sens large, donc…
EL : Oui, en ne perdant pas de vue notre vocation première : produire une recherche intéressant les chercheurs mais surtout utile aux industriels. Les problématiques que nous défrichons sont formulées par des industriels à travers des cas d’usage. C’est dire aussi que nous ne sommes pas en concurrence avec la recherche académique, mais bien dans un positionnement intermédiaire entre elle et le monde industriel, ainsi que je le disais tout à l’heure.
- Vous avez souligné l’ambition de VEDECOM de se projeter aux plans national et européen. Qu’en est-il néanmoins de l’écosystème Paris-Saclay ? Quelle en est la contribution à la poursuite de vos projets ?
EL : Il est clair que notre inscription dans cet écosystème est une chance. D’abord, nous avons bénéficié du soutien de plusieurs de ses acteurs, que ce soit le département des Yvelines, la Région Ile-de-France, l’EPA Paris-Saclay. Ensuite, je l’ai dit, c’est un territoire d’expérimentations auxquelles nous pouvons apporter notre pierre – j’ai cité 5G Road Open Road, un programme exemplaire à cet égard. Nous avons également la chance d’être intégré dans une dynamique d’innovation à travers des réunions régulières des directeurs scientifiques ou d’innovation – des moments de partages et d’échanges fructueux autour de nos projets respectifs. Ce qui ne peut qu’aider à consolider notre réseau, à identifier des centres d’intérêt communs avec d’autres acteurs de l’écosystème, des opportunités de partenariats et de mutualisation de nos ressources – financières, humaines.
- Qu’en est-il de vos rapports avec les start-up ?
EL : J’allais y venir. La dynamique en faveur de ces entreprises innovantes et de leur incubation nous profite aussi. Des chercheurs de VEDECOM en ont créé une, Floware, actuellement incubée à X-UP qui fait partie du Drahi – X Novation Center [le centre d’entrepreneuriat et d’innovation de l’École polytechnique ]. Spécialisée dans l’accompagnement des collectivités territoriales pour l’analyse, la conception, le pilotage et l’évaluation de leurs grands projets de transport, elle accompagne l’EPA Paris-Saclay, dans la construction de matrice origine-destination des populations qui vont et viennent sur le territoire de Paris-Saclay, de façon à aider à l’élaboration de plans de mobilité. Sélectionnée en 2023 pour le SPRING 50 dans la catégorie « Mobilités », elle jouit déjà d’une certaine notoriété bien au-delà des limites de l’écosystème.
Enfin, un mot sur le quartier de Satory dans lequel nous sommes installés et qui est en plein développement. Au plan de la recherche, il va bénéficier de l’arrivée de laboratoires supplémentaires de Mines Paris PSL. D’autre part, la construction de bureaux et de logements est destinée à en faire le « 8e quartier de Versailles » dans la perspective de l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris. Ce projet d’aménagement est une magnifique opportunité pour faire aussi de ce quartier un territoire d’innovation en matière de robotique, des technologies duales en lien avec la Défense – plusieurs acteurs de cette filière y sont installés – et, bien sûr, des mobilités.
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