Les futurs proches de nos mobilités durables : recharge électrique, véhicule automatisé…
Directeur de VEDECOM, Eric Lebeau lève le voile sur les prochaines thématiques de recherche partenariale de cet Institut pour la Transition Énergétique (ITE) en matière de mobilités durables.
Créé en 2014, VEDECOM est un Institut pour la Transition Énergétique (ITE) dédié aux mobilités durables, « écologiques, automatisées et partagées ». Nommé en novembre 2021, son directeur, Eric Lebeau, lève le voile sur les nouvelles thématiques de recherche partenariale, non sans souligner la valeur ajoutée de l’inscription de l’institut dans l’écosystème de Paris-Saclay.
- VEDECOM entre dans un nouveau cycle. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Effectivement. L’ITE VEDECOM est, depuis son origine, dédié aux mobilités durables, « écologiques, automatisées et partagées ». La plupart des projets que nous avons engagés arriveront à leur terme entre la fin de l’année 2022 et le premier semestre de l’année 2023. Nous sommes donc et déjà en train de redéfinir notre positionnement en définissant un nouveau cycle de projets et ce, bien évidemment, en concertation avec nos partenaires, VEDECOM ayant pour modèle de construire et animer des projets collaboratifs avec des partenaires industriels et académiques. Cette actualisation est rendue plus que nécessaire suite à la crise sanitaire qui a mis en lumière des mutations profondes dans le domaine des mobilités, tant sur le plan technologique que de celui des usages. Il n’est plus possible de les aborder comme nous le faisions en 2014, année de création de VEDECOM car ces évolutions ont fortement impacté l’écosystème industriel.
- Une thématique est-elle déjà en passe de s’imposer dans le prochain cycle ?
Oui et elle concerne l’électrification de la mobilité. Depuis sa création, l’ITE travaille étroitement avec la filière automobile. Or, comme vous le savez, celle-ci est désormais pleinement engagée dans la migration du moteur thermique vers le moteur électrique. Dans ce contexte, les briques technologiques de la mobilité électrique sont au centre d’une compétition intense entre les industriels de la filière, constructeurs comme équipementiers. Il en résulte une plus grande réticence de leur part à s’engager dans une collaboration ouverte autour de ces briques. Nous avons cependant fait le constat que ces acteurs en concurrence partagent un même sujet de préoccupation majeur : je veux parler de la recharge. C’est une brique essentielle dont tous les constructeurs ont besoin, sans avoir intérêt à faire cavalier seul en cherchant à imposer leurs propres standards. Pour que la mobilité électrique progresse, il importe que tout véhicule puisse se recharger depuis n’importe quelle borne de recharge.
Pour ce qui nous concerne, il ne s’agit pas pour autant de travailler sur cette brique en tant que telle, même si nous ne nous interdisons pas de nous rapprocher de start-up qui développent de nouveaux concepts en la matière. Ce que nous souhaitons avant tout, c’est constituer un hub d’innovation autour de la recharge électrique pour permettre à l’écosystème industriel d’avancer d’un même pas, dans la même direction, et quand je dis écosystème industriel, je pense aux constructeurs et équipementiers, déjà évoqués, mais aussi aux énergéticiens, aux réseaux de distribution et à un certain nombre de nouveaux acteurs dans le domaine des services à la mobilité itinérantes, comme ceux, par exemple, qui offrent des formules d’abonnement permettant d’accéder à une offre de recharge à des tarifs attractifs.
- L’enjeu étant d’assurer l’interopérabilité des systèmes de recharge électrique ?
Oui, c’est en effet un enjeu. Compte tenu de la diversité des acteurs intervenant dans la chaîne de valeur, il faut s’assurer qu’en bout de chaine le service de recharge puisse se faire en toute fluidité. Un autre enjeu est celui de la « bidirectionnalité » consistant à faire en sorte de pouvoir recharger son véhicule, mais aussi de restituer depuis ce même véhicule de l’électricité au réseau au moment opportun. Un service qui suppose de franchir plusieurs étapes, la première étant de permettre au véhicule de se connecter au réseau de façon ergonomique, c’est-à-dire de manière simple et intuitive. C’est le principe du Plug & Charge sur lequel VEDECOM est particulièrement mobilisé : nous animons à l’échelle nationale le consortium constitué pour tester le protocole d’interaction entre véhicules électriques et bornes de recharge.
- Qu’en est-il du véhicule autonome (VA) - une thématique emblématique de votre ITE s’il en est… Je vous pose d’autant plus la question que la circulation des VA de niveau 3, c’est-à-dire en présence d’un conducteur, en main libre, vient d’être autorisée en France.
Nous abordons là un domaine en pleine évolution depuis ces toutes dernières années. Au moment de la création de VEDECOM, le VA était en haut du « cycle du hype » (la courbe décrivant l’évolution de l’intérêt pour une nouvelle technologie). Beaucoup pensait qu’il serait une réalité de marché au début des années 2020. C’est loin d’être le cas. Force est de constater que nous sommes même, depuis, redescendus dans la fameuse courbe.
Pour notre part, nous restons actifs dans ce domaine en prenant pleinement part à la nouvelle feuille de route que la France s’est fixée sur ce sujet – on parle désormais de « Véhicule automatisé à conduite déléguée ». VEDECOM prend notamment en charge le volet acceptabilité sociale du projet SAM (Sécurité et Acceptabilité de la Mobilité autonome) qui totalise pas moins de treize expérimentations dont plusieurs sont menées sur le territoire de Paris-Saclay. Concrètement, nous nous employons à cerner la perception du VA par les utilisateurs.
Pour travailler étroitement avec les constructeurs automobiles, nous avons cependant pu constater que les défis attachés à ce type de véhicule sont autrement plus complexes que ce que l’on imaginait au début et que son développement prend beaucoup plus de temps que prévu. À l’évidence, ce véhicule est appelé à embarquer plus de technologies (dont des capteurs), de surcroît plus coûteuses, que ce que l’on a pu penser jusqu’alors. Il devra également interagir avec les infrastructures routières dotées de capteurs fixes destinés à lui apporter des informations complémentaires sur son environnement. Une approche à double entrée, véhicule et infrastructures, que nous avions au demeurant déjà privilégiée et sur laquelle nous poursuivons nos recherches.
Si la perspective d’un véhicule automatisé individuel (le paradigme de référence au début des années 2010) tend à s’éloigner, en revanche, des applications restent envisageables dans les transports publics, lesquels offrent l’intérêt de se déplacer le long de trajets balisés, sur des territoires donnés. C’est donc sur ces applications que nous nous concentrons désormais.
- À vous entendre, on comprend que le rôle d’un ITE comme le vôtre est aussi d’accompagner les parties prenantes d’un domaine d’innovation dans la redéfinition de l’objet technique pour tenir compte des nouvelles attentes, du changement de contexte…
Ce que vous dites est l’occasion de souligner les rapports particuliers que nous entretenons avec nos partenaires industriels : il ne s’agit pas simplement de trouver une solution aux problématiques qu’ils nous soumettent, mais bien d’avancer ensemble dans la co-construction de l’objet de l’innovation tant au plan technologique que normatif et des usages, quitte à déboucher sur une approche différente de celle envisagée initialement. C’est précisément ce dialogue permanent qui rend la recherche partenariale aussi intéressante.
Stand VEDECOM de l’édition 2019 de Paris-Saclay SPRING.
- En quoi le fait d’être inscrit dans un territoire où les partenaires peuvent se rencontrer physiquement constitue-t-il un plus ? Certes, on se doute que ceci ne peut qu’aider à créer les conditions de ce dialogue permanent. Mais je pose quand même la question : qu’en est-il concrètement ? Quelle est la valeur ajoutée du fait de pouvoir interagir au travers d’un institut comme le vôtre ?
Nos équipes sont très régulièrement au contact d’autres chercheurs dans les universités, écoles et laboratoires du cluster ou sur les routes et carrefours, dans le cadre d’expérimentations locales de véhicules automatisés et connectés et de leur acceptabilité auprès des usagers. Nous avons équipé certaines routes d’infrastructures telles que le Paris Saclay Autonomous Lab et certains parcours ont bénéficié d’autorisations pour des essais, notamment en plein cœur de Versailles, sur des cas d’usage liés au tourisme.
Nous accueillons régulièrement des partenaires au mobiLAB pour des ateliers et séminaires et sommes heureux d’intervenir et d’échanger dans des évènements portés par des institutions comme l’EPA Paris-Saclay (Spring Paris Saclay) ou le département des Yvelines. En avril, nous avons co-organisé un Mobility & Energy Day, avec Versailles Grand Parc et la French Tech Paris Saclay, qui a permis de réunir des acteurs de la mobilité électrique et d’échanger sur les enjeux de la recharge. A la même période, nous avons accueilli sur les pistes d’essai de Satory le volet français d’une expérimentation menée dans le cadre du projet européen 5G-MOBIX, en y conviant nos partenaires européens et en y organisant des démonstrations. Une table-ronde a permis pour la première fois en France des échanges sur les applications de la 5G au service de la mobilité.
Cela nous a confortés dans l’idée de relancer le principe de rendez-vous réguliers, tant avec nos partenaires académiques présents sur le territoire – les universités UVSQ, Gustave Eiffel (ex-Iffstar), des écoles d’ingénieurs – l’Estaca, Esigelec CentraleSupélec,… – que nos partenaires industriels. Nous avons ainsi commencé à reprogrammer des journées de rencontre autour de nos thématiques de recherche tels que la recharge, le véhicule automatisé…, avec au programme des Keynotes et des démonstrations. Ces événements nous permettent de mesurer l’appétence de nos partenaires pour des échanges en présentiel et pour montrer ce qu’ils font. J’en profite d’ailleurs pour vous donner rendez-vous les 20 et 21 octobre prochain, à l’occasion de notre e-Mobility Symposium co-organisé avec Vector [pour en savoir plus, cliquer ici].
- En votre qualité d’acteur de l’innovation dans le domaine des mobilités, mais également d’usager de ce territoire à travers les déplacements de vos collaborateurs et de vos visiteurs, comment vivez-vous les problématiques de mobilité et d’accessibilité de l’écosystème ? Avez-vous le sentiment que les retombées de celui-ci en termes de solutions innovantes concourent déjà à améliorer la situation avant même l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express ?
Autant le dire : que ce soit par la route ou les transports en commun, les conditions d’accessibilité du territoire constituent encore un frein à son essor. Mais nous ne nous bornons pas à ce constat : nous avons aussi la volonté d’accompagner des expérimentations grandeur nature, à l’échelle du territoire, avec de vrais usagers, susceptibles de déboucher sur des pilotes de service. Je pense notamment au projet 5G Open Road qui vise à explorer les potentialités offertes par la communication 5G pour automatiser les mobilités. De nombreuses expérimentations sont prévues sur le territoire de Paris Saclay. Parmi les cas d’usages qui seront étudiés, je trouve intéressant celui des navettes automatisées pour faciliter les déplacements des élèves et des enseignants entre les différents pôles.
De manière plus générale, nous travaillons à améliorer la multimodalité, un enjeu plus que jamais d’actualité. Là encore, nous procédons à partir d’expérimentations autour de différents modes de mobilité, en nous gardant cependant d’aborder le sujet sous le seul angle technologique, comme cela a pu être fait au début avec le véhicule automatisé, pour lequel on ne s’est pas assez préoccupé de sa connexion avec d’autres modes de déplacement. Désormais, il s’agit de renverser la perspective en commençant par comprendre d’abord les besoins et les usages, suivant le contexte, de façon à proposer une palette de modes de déplacement à partir de solutions existantes. Nous étudierons prochainement les hubs de mobilité en grandeur nature sur le territoire et dans toute la France.
- Avant de clore cet entretien, pouvez-vous nous dire ce qui vous a prédisposé à participer à l’aventure de VEDECOM et, au-delà, de l’écosystème de Paris-Saclay ?
À défaut d’y avoir fait mes études, j’ai poursuivi une large partie de ma carrière chez Renault et, ces toutes dernières années, au sein du Technocentre, un acteur majeur du territoire s’il en est. Ce qui m’a motivé ensuite à participer à l’aventure VEDECOM, c’est la prise de conscience de la situation critique dans laquelle nous sommes au regard de la transition énergétique. Elle appelle des mobilités plus que jamais durables. C’est d’autant plus important d’y parvenir que ces mobilités conditionnent la possibilité de jouir pleinement de nos libertés, individuelle et collective. J’ai donc voulu me retrousser les manches pour contribuer à les rendre plus compatibles avec un développement durable. VEDECOM est de ce point de vue un lieu unique en France pour y parvenir, non seulement sur le plan théorique, mais aussi appliqué. Cet institut est là pour aider concrètement les industriels à avancer sur des thématiques qui leur permettront de franchir un nouveau cap. Outre le soutien des pouvoirs publics, qui se manifeste principalement à travers le SGPI et France 2030, il y a nécessité de disposer dun tiers sachant travailler avec des industriels sans avoir d’intérêt propre à défendre. C’est précisément la vocation de VEDECOM.
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