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« Les doctorants ont toute leur place en entreprise »

Le 7 mai 2024

Entretien avec Bernard Monnier

Permettre à des doctorants de mieux connaître le monde de l’entreprise, telle est la vocation du nouveau parcours doctoral « R&D en entreprise » mis en place par La Maison du Doctorat de l’Université Paris-Saclay. La première étape a eu lieu le 18 mars dernier à l’ENS Paris-Saclay, en présence de représentants de grands comptes, de PME, de start-up, venus témoigner de leur intérêt pour le profil doctorant, et de quelque 300 doctorants. Précisions de Bernard Monnier, qui a conçu ce dispositif et assuré l’animation de la journée en compagnie de Hamida Muller, Directrice de La Maison du Doctorat.

- Vous avez proposé un parcours doctoral « R&D en entreprise ». Que recouvre-il exactement ?

Bernard Monnier : En France, un doctorant se destine A priori à la recherche, au sein de l’Université. Seulement, tous les doctorants ne pourront pas prétendre décrocher un poste d’enseignant-chercheur ou de chercheur. Quand ils se résolvent à intégrer une entreprise, ils le font, mais sans en avoir la moindre connaissance. Aussi, ce que nous leur proposons, c’est de découvrir l’entreprise en amont, au cours de leurs années de thèse, de les initier à la recherche en entreprise, soit la R&D. Naturellement, rien ne les empêche de poursuivre une carrière académique, mais au moins auront-ils des bases qui leur permettront d’intégrer une entreprise en cas de besoin ou parce que telle est leur vraie aspiration.
Ce parcours, qui s’ajoute aux cinq existants* proposés par La Maison du Doctorat de l’Université Paris-Saclay, est destiné aussi à répondre aux besoins d’entreprises qui ne demandent qu’à recruter des talents, mais qui rencontrent des difficultés faute de candidats en nombre suffisant. C’est en tout cas un discours qu’on entend de leur part. Lors de la 16e édition des Assises de l’embarqué, qui se sont tenues le 11 janvier dernier au ministère des Finances [pour en savoir plus, cliquer ici], des dirigeants d’entreprises ne disaient pas autre chose. Je pense en particulier à Véronique Torner (Présidente de Nemeum) et Frédérique Le Greves (Présidente du Comité Stratégique de la Filière Électronique, CEO de STMicroelectronics France), qui ont martelé le même constat : cette difficulté à recruter des talents – comprendre : des ingénieurs qualifiés, mais aussi et surtout des docteurs (PhD).

- Pourtant, un dispositif existe, qui favorise la recherche doctorale au sein du monde de l’entreprise, je veux parler des contrats Cifre, mis en place dès 1981… À vous entendre, cela reste néanmoins un sujet…

B.M. : Absolument. Chaque année, bon an mal an, entre 4 600 et 5 000 doctorants sont inscrits à l’Université Paris-Saclay (4 800 en 2024) avec un taux de renouvellement de 1 000 doctorants chaque année. Parmi eux, on compte moins de 500 thèses en contrat Cifre, soit à peine 10%. Le parcours doctoral pourra aussi contribuer à augmenter sensiblement ce chiffre en offrant une alternative : il s’agit moins d’augmenter le nombre de thèses en contrat Cifre, que de préparer les doctorants à une carrière en entreprise.

- Comment en êtes-vous venu à vous lancer dans la mise en place de ce dispositif ?

B.M. : L’initiative en revient à Hamida Muller, la Directrice de La Maison du Doctorat de l’Université Paris-Saclay, qui est venue me chercher. Elle souhaitait un dispositif de formation doctorale à l’entreprise et avait pour cela besoin de quelqu’un ayant l’expérience de la R&D dans le monde de l’industrie. C’est mon cas ! Ingénieur électronicien et informaticien de formation, j’ai travaillé plus de trente-cinq ans au sein d’un grand groupe industriel français dans le domaine de l’aéronautique, la défense et la sécurité. Après avoir œuvré à l’innovation en R&D, j’ai, dès le début des années 2000, perçu l’émergence de l’innovation ouverte, j’ai donc décidé de changer radicalement de métier en passant de la R&D à la fonction Achats du Centre de Recherche du même groupe pour accompagner cette vision nouvelle du monde industriel. J’ai conçu à cette occasion une méthode pour mesurer l’innovation (MIM©), améliorer la communication entre les différentes communautés et créer les conditions favorables au rapprochement des deux mondes, celui de la Technique et celui du Business, dans un projet collaboratif en mode innovation ouverte pour favoriser l’innovation de rupture. Ce qui était l’objet de notre premier entretien.

- En effet !**

B.M. : J’ai par ailleurs participé aux démarches de normalisation de l’innovation de l’AFNOR à ses débuts, à partir de 2007. En 2015, avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Essonne, j’ai créé l’évènement DRIM’in Saclay, consacré à l’innovation ouverte dans le domaine de la transition énergétique. Bref, l’innovation par la valorisation des résultats de la recherche me passionne. J’ai donc de suite accepté la mission de La Maison du Doctorat, considérant que cela correspondait aux attentes à la fois des doctorants et des entreprises. J’ai essayé de monter un parcours qui soit utile aux uns comme aux autres.

- En quoi consiste ce parcours ?

B.M. : Il se déroule en trois étapes. La première n’est autre que la journée de présentation à laquelle vous avez assisté. Elle était destinée à présenter comment est organisée la R&D dans des entreprises de différentes tailles – grands comptes, PME, start-up et même des centres de recherche ayant l’expérience de la recherche partenariale avec des entreprises – et de différents secteurs (Défense, IA, Agroindustrie,…). Les doctorants ont pu ainsi avoir un aperçu de la diversité des formes d’organisation et de recherche qui y sont menées. Ils ont pu aussi être rassurés quant à la possibilité de trouver des thématiques et des modes de recherche correspondant le mieux à ce à quoi ils aspirent dans le cadre de leur future carrière de docteur.

- Voilà pour la première étape, qu’en est-il des deux suivantes ?

B.M. : La deuxième étape consiste en six modules de formation, répartis sur neuf journées. Quatre de ces modules font partie d’un tronc commun et portent successivement sur : 1) l’innovation ouverte ; 2) les outils indispensables pour passer de l’idée à une offre concrète de service ou de produit ; 3) les outils indispensables, cette fois, à la mise en marché car il ne suffit pas de concevoir une offre de service ou produit innovant, encore faut-il qu’elle rencontre une demande – des responsables marketing de nos entreprises partenaires y interviendront, toujours dans ce souci d’aller dans le concret des choses. Enfin, 4) il s’agira pour les doctorants d’appliquer ce qu’ils auront appris au cours des trois modules précédents sur des cas d’études particuliers. Tous seront invités à pitcher préalablement leur thèse. Six seront sélectionnées pour être l’objet chacune d’une valorisation par un groupe de doctorants qui, au cours de la même journée, devra proposer un type de service ou de produit pouvant être développé, à partir du sujet de thèse étudié, pour répondre à un besoin client.
Les deux autres modules sont à choisir parmi les thématiques suivantes : la science de la vie, de la santé et médicaments ; les technologies, mathématiques, l’informatique et les sciences du numérique ; la biologie, les ressources et l’environnement ; la mobilité ; l’énergie ; enfin, les sciences de l’ingénierie et des systèmes.

- Et la troisième étape, en quoi consistera-t-elle ?

B.M. : Organisée sur cinq journées, elle consistera à mettre en pratique, en entreprise, ce que les doctorants auront appris au fil des six modules, selon des modalités qu’il reste à définir.
L’ensemble du parcours vaudra pas moins de douze points, à raison d’un par journée, dans la notation finale de la thèse. Ce qui n’est pas négligeable et dit l’importance accordée à ce parcours. Comme je l’espère, il permettra aux doctorants de bien différencier l’innovation de la recherche : tandis que celle-ci est du registre de la créativité, l’innovation intervient après, à travers la conception et le développement de services ou de produits jusqu’à leur mise sur le marché. Il leur permettra aussi d’intégrer un poste en R&D dans le secteur privé avec plus de succès, si tel est leur souhait à l’issue de leur thèse.

- Précisons que ce parcours se déploiera dans l’écosystème de Paris-Saclay, dans lequel les doctorants ont déjà l’occasion de côtoyer des chercheurs en R&D ou qui valorisent leurs travaux de recherche en entreprise, ou d’être à tout le moins en proximité immédiate avec des centres de R&D, des entreprises innovantes et autres start-up. Cet environnement ne contribue-t-il pas en lui-même à acculturer les doctorants à l’univers de l’entreprise ?

B.M. : Si, bien sûr, et je ne cacherai donc pas mon optimisme. D’autant qu’avec l’écosystème Paris-Saclay, on a fait bien plus que concentrer des centres de R&D et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche : on a créé les conditions favorables pour ce genre de démarche, une ouverture des doctorants à la recherche en entreprise, petite ou grande, et répondu par-là même aux besoins des entreprises en talents.
D’ailleurs, pratiquement toutes celles qui ont participé à notre première journée, que ce soit les grands comptes ou les PME et les start-up, sont présentes sur le plateau de Saclay. Et cette proximité est indéniablement un plus, ne serait-ce que pour des raisons pratiques. Les doctorants pourront assister aux modules sans difficulté en termes de transport. Beaucoup des entreprises se trouvent à proximité de leur laboratoire de rattachement. En somme, le parcours doctoral apportera à sa manière la démonstration de ce que les investissements, les efforts consentis dans la construction de l’écosystème Paris-Saclay portent leurs fruits et pourraient devenir un exemple pour d’autres régions.
Autre motif d’optimisme : pas moins de 300 doctorants ont répondu présent à notre journée de lancement. C’est bien la preuve d’une prise de conscience chez eux de la nécessité de faire la démarche d’aller vers les entreprises, de dépasser ce cloisonnement qu’on peut encore observer entre elles et monde de la recherche académique.

- Qui plus est, la plupart de ces doctorants ont assisté à l’intégralité de la journée…

B.M. : Oui, et c’est très encourageant. Tous ne s’inscriront pas, mais nous avons bon espoir de démarrer avec une promotion de plus de soixante doctorants.

- Comment pourront-ils valoriser ce parcours ?

B.M. : Le parcours bénéficiera du label R&D en entreprise, décerné par l’Université Paris-Saclay, que le doctorant l’ayant suivi pourra mentionner dans son CV. Les recruteurs potentiels sauront ainsi qu’il a eu le goût de découvrir l’entreprise et une première expérience quand bien même n’aurait-il pas fait une thèse en contrat Cifre.

- Pourquoi ne pas anticiper en élargissant à des masters ?

B.M. : C’est précisément notre intention ! D’autant que les cinq modules thématiques de notre parcours a été conçu à cet effet avec les Graduate Schools de l’Université Paris-Saclay, qui, comme vous le savez, sont en charge des masters. Je ne demanderais donc qu’à convier ces derniers à nos journées pour les sensibiliser à l’intérêt de poursuivre en thèse, de surcroît en contrat Cifre. Notre parcours permettra ainsi de faire d’une pierre deux coups : rapprocher le monde doctoral du monde de l’entreprise tout en augmentant le nombre de thèses en contrat Cifre. Ce n’est pas tout : je souhaiterais aussi ouvrir les modules aux postdocs car, eux, offrent l’intérêt d’être plus rapidement disponibles sur le marché de l’emploi – ils sont appelés à y entrer dans moins d’un an contre potentiellement deux à trois ans pour un doctorant en cours de thèse. Finalement, nous ferions deux pierres trois coups !

Notes

* « Enseigner dans le supérieur », « Tous experts ! », « Entrepreneuriat DeepTech » ; « Médiation, communication et journalisme scientifiques » (le parcours qui prépare au désormais célèbre MT180 – « Ma thèse en 180 secondes ») ; enfin, « Valorisation de projets de recherche innovants : du concept au marché ».

** Pour y accéder, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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