Le 30 janvier 2020, l’Université Paris-Saclay et le Musée du Louvre se sont de nouveau associés pour proposer une rencontre autour de Léonard de Vinci dans ses rapports aux sciences, cette fois sur le campus même, dans le tout nouveau bâtiment HBAR. Nous y étions pour notre plus grand plaisir. A défaut d’un récit exhaustif, voici les principaux enseignements que nous avons retenus sur cet artiste inclassable, ayant su se jouer de toutes les frontières disciplinaires.
Paris-Saclay, c’est aussi cela : vous souhaitez assister à l’exposition du Louvre consacrée à Léonard de Vinci, mais craignez de ne pas pouvoir réserver une place d’ici le 24 février (date de sa clôture) ? Qu’à cela ne tienne, le Louvre vient à vous, comme ce jeudi 30 janvier, dans le tout nouveau bâtiment HBAR, inauguré quelques semaines plus tôt, le temps d’une conférence spéciale sur les rapports du célébrissime artiste aux sciences. Une conférence à trois voix, organisée en partenariat avec l’Université de Paris-Saclay… Les trois voix en question : celles d’Emeline Faugère et de Pierre Pansu, respectivement enseignante au Département Génie Mécanique de l’ENS Paris-Saclay et professeur du Département de mathématiques d’Orsay, la 3e voix étant celle de Jacques le Roux, conférencier au Louvre. Pour notre plus grand plaisir, ils nous en fait découvrir des facettes méconnues (en tout cas par nous) du célèbre peintre et ingénieur.
Un amuseur de cours
Saviez-vous, par exemple, que Léonard de Vinci occupait une partie essentielle de son temps à organiser de A à Z des spectacles et des fêtes pour les besoins des cours italiennes ? Il s’ingéniait notamment à concevoir des automates, s’inscrivant en cela dans une tradition ancienne, mais avec le souci, pour ne pas dire l’obsession, de reproduire l’illusion de la vie sinon du mouvement naturel. Un souci que l’on retrouve d’ailleurs dans sa peinture, qui parvient jusqu’à reproduire la sensation de la 3e dimension. Dès lors, pas un domaine de connaissance, pas un art ou presque, qu’il n’ait investi avec une insatiable curiosité. Il n’est pas jusqu’à l’autopsie à laquelle il ne se soit livré pour comprendre les ressorts du mouvement humain, quitte à braver l’interdit papal (aux yeux de l’Eglise, cette pratique était une atteinte à une création d’essence divine…).
Un créateur de chair et de sang
Un autre enseignement concerne le célèbre tableau « La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne ». Aviez-vous remarqué l’arrière-plan ? De prime abord, il s’agit d’un paysage de glaciers. En y regardant de plus près, c’est en réalité de l’eau qui se déverse depuis des montagnes. Explication édifiante fournie par Jacques Le Roux : Léonard de Vinci représente là sa vision de la genèse du monde. A son époque, on ignore tout de la tectonique des plaques et de la formation des montagnes. Aussi, quand on y découvre des fossiles, on en déduit que leur sommet comportait une vaste étendue d’eau qui s’est déversée dans les vallées – c’est l’hypothèse que se formule à lui-même notre célèbre peintre, en ayant eu l’occasion d’observer des fossiles manifestement découverts sur les flancs des Alpes (ainsi que l’attestent les croquis qu’il en fait dans son Codex, le recueil de ses écrits scientifiques). D’un autre côté, ce même paysage n’est pas sans évoquer le Feng Shui. Pur anachronisme ? Que nenni ! Toujours d’après notre conférencier, Léonard de Vinci avait très bien pu avoir aussi connaissance de cette peinture si singulière, à travers les exemplaires rapportés par des commerçants italiens. L’ambition n’en reste pas moins osée pour l’époque : à travers ce genre de peinture, Léonard de Vinci rivalise en artiste avec le Créateur et les interprétations de la Création par l’Eglise. D’ailleurs, c’est à lui, apprend-on encore, que l’on devrait l’usage des mots créations et créateurs pour désigner l’artiste et le produit de ses talents.
Un cluster en forme d’atelier boutique
Au vu de bien d’autres dessins figurant dans ce même Codex et attestant de tentatives de résolution de problèmes géométriques, on se dit que Léonard de Vinci devait être aussi un grand mathématicien. Et bien, pas autant que cela, ainsi que le démontre cette fois Pierre Pansu, non sans bienveillance. Le même rappelle que notre « génie » n’avait pu suivre d’enseignements approfondis dans cette discipline, faute d’avoir pu intégrer l’université (son statut d’enfant illégitime lui en barra l’accès). Sa maîtrise de bien d’autres savoirs, disciplines et techniques est, elle, en revanche incontestable et ne peut que forcer l’admiration, mais aussi interroger. Comment a-t-il pu les acquérir lui qui ne put, ainsi qu’on vient de l’écrire, intégrer l’université ?
C’est la question qu’Émeline Faugère s’est justement posée et qu’elle a abordée au cours de son propre exposé. On en vient ainsi à un autre des enseignements de cette soirée, celui qui nous a peut-être le plus intrigué. Léonard de Vinci n’est en rien un autodidacte. Il a bien suivi des enseignements, mais dans un lieu particulier, qui faisait office à la fois d’atelier et de boutique,et comme il en existait à l’époque pour faciliter les échanges entre les artistes et leur riche clientèle. Celui qu’a intégré Léonard de Vinci, à Florence, n’est pas des moindres. C’est même le plus grand d’Europe, celui d’un artiste réputé, Andrea del Verrochio. On y apprenait tout le nécessaire pour devenir un peintre accompli (la préparation des panneaux, des colles et des enduits, le broyage des pigments,…), mais aussi la sculpture, l’orfèvrerie ou même encore l’ingénierie, la mécanique, la chimie, la métallurgie, le génie civil… Et cela, au milieu d’autres élèves à des stades plus ou moins avancés. Ce lieu d’apprentissage, Léonard de Vinci le fréquenta de l’âge de 8 ans à 20 ans, devenant ainsi tout à la fois un artiste et un ingénieur. De là à y voir une sorte de tiers-lieu avant l’heure… Bien plus : un cluster de Paris Saclay en miniature… Il n’y a qu’un pas que franchit, le plus sérieusement du monde (quoiqu’avec aussi de l’humour), Émeline Faugère et nous avec elle. A ce seul bémol près : pour l’heure, reconnaissons qu’à Paris-Saclay, ce sont les sciences qui dominent sur le campus – certes, toutes les sciences (exactes, de l’ingénieur, du vivant, humaines et sociales), les arts y étant, eux, réduits à portion congrue. Comme nous l’avait fait remarquer une étudiante, « sur le Plateau de Saclay, ça manque d’école des Beaux Arts ! ». Reconnaissons cependant encore que ces arts y trouvent petit à petit leur place, à travers la construction de nouveaux équipements (cf le Conservatoire de musique à Rayonnement départemental d’Orsay), les initiatives de La Diagonale de Paris-Saclay, sans oublier la tenue de conférences comme celle à laquelle nous avons assisté ce 30 janvier dernier et que nous ne saurions trop recommander de décliner en bien d’autres encore. Sur Léonard de Vinci ou sur tout autre artiste ayant su dialoguer avec les sciences. Ce qui semble bien être l’intention des deux institutions partenaires qui, déjà, le 6 novembre 2019, avaient proposé une formation à destination des enseignants et des étudiants autour de l’œuvre du peintre de la Renaissance. Espérons donc qu’il n’y ait effectivement jamais deux sans trois…
Journaliste
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