Entretien avec Clara Spetebroodt et Ingrid Bévillard, qui témoignent sur la Filière Innovation Entrepreneur.e.s de l'Institut d'Optique.
Suite de nos échos à la journée d’inauguration du bâtiment 503 rénové avec, cette fois, le double témoignage de Clara Spetebroodt (promo 2019), présidente et cofondatrice de la société Plas’tri, et Ingrid Bévillard une élève ingénieure qu’elle coache sur le site stéphanois de l’Institut d’Optique.
- [À Clara Spetebroodt]. Pouvez-vous, pour commencer, pitcher Plas’tri, la start-up que vous avez créée dans le cadre de la FIE ?
Clara Spetebroodt : Plas’tri est une TPE industrielle qui propose des solutions d’identification des déchets plastiques. Il faut savoir qu’aujourd’hui encore ceux-ci sont triés à 90% à la main. Parmi ces solutions, nous proposons une scannette qui identifie en un clic le type de polymère qui entre dans la composition du déchet plastique – elle peut également servir à faire du contrôle qualité. Une seconde solution repose sur une tout autre technologie : une caméra qui offre l’avantage de pouvoir identifier les composants de plusieurs déchets simultanément.
Dans un cas comme dans l’autre, nous recourons à de l’IA : nous développons des systèmes d’acquisition et des algorithmes de traitement permettant une interprétation automatique des données, qui sache gérer la variabilité d’une mesure terrain – une valeur ajoutée de l’IA par rapport à un traitement de signal classique.
- Précisons que Plas’tri est directement issue de la FIE…
Clara Spetebroodt : En effet, si la société a été créée en 2021, le projet remonte à 2019. Je l’ai lancé à l’issue de mes deux années FIE passées sur le site de Saint-Étienne, en partenariat avec l’École nationale supérieure des mines de Saint-Etienne et le laboratoire Hubert Curien (CNRS/Université Jean Monet) ainsi qu’avec Ronalpia, un incubateur d’entrepreneurs sociaux.
- Lors d’une table ronde organisée lors de la journée d’inauguration du 503 rénové, vous avez insisté sur le sens que vous vouliez donner à votre métier d’ingénieur au point même de vous être donné le temps de la réflexion en prenant une année sabbatique entre la première et seconde année de FIE…
Clara Spetebroodt : Effectivement, je ne me voyais pas innover pour le plaisir d’innover. Il m’importait que mon innovation ait du sens. Au début, j’étais attirée par l’idée de développer des technologies de pointe, mais au cours de mes études, j’ai réalisé que j’étais aussi touchée par des enjeux majeurs pour la société, à commencer par ceux de la transition écologique. C’est ainsi que j’ai commencé à réfléchir à ce que pouvait être mon rôle en tant qu’ingénieure. En creusant cette question, j’ai pris conscience du fait que mon expertise en optique pouvait être utile dans de nombreux domaines. Ce qui m’a amenée, durant mon année sabbatique, à travailler sur l’énergie solaire, en Amérique latine. À mon retour en France, j’ai commencé à m’intéresser à la thématique des déchets, les applications optiques y étant nombreuses.
- Une trajectoire singulière dont on imagine qu’elle vous a inclinée à vous associer à d'autres personnes tout aussi mues que vous par cette question du sens…
Clara Spetebroodt : Oui, tout à fait. Nous veillons à ce qu’il en soit ainsi de nos collaborateurs – un docteur en IA et un commercial. Au moment d’un recrutement, nous prenons donc le temps de rappeler nos propres motivations, de nous assurer qu’ils les partagent.
- Quels liens avez-vous gardés avec l’Institut Optique ?
Clara Spetebroodt : J’ai gardé beaucoup de liens avec lui, ne serait-ce qu’à travers les activités de R&D de notre société – nous avons une convention de recherche avec le laboratoire Hubert Curien pour l’identification des matières plastiques de couleurs noire ou complexes. J’en ai gardé aussi, à titre plus personnel, avec la FIE : souhaitant en quelque sorte rendre ce qu’elle m’avait donnée, je coache depuis maintenant deux ans, les élèves-ingénieurs qui ont fait le choix de cette filière sur le site de Saint-Étienne.
- Une des ces élèves-ingénieurs assiste à notre entretien. Il s’agit d’Ingrid que je ne résiste pas à l’envie d’interroger sur l’intérêt de ce coaching…
Ingrid Bévillard : Volontiers ! Avec Mamoune, l’élève ingénieur de la FIE avec lequel je poursuis mon projet entrepreneurial, nous avons la chance de bénéficier de ce coaching. Je précise que nous sommes les deux seuls à avoir opté pour cette filière, sur le site de Saint-Étienne, et que nous y bénéficions d’un second coach. C’est dire si notre accompagnement est personnalisé ! (Sourire) Pour en revenir à Clara, ce que j’apprécie chez elle, c’est qu’elle soit elle-même issue de la FIE. Elle est la preuve vivante que cette dernière fonctionne bien : les élèves qui optent pour cette filière ont de réelles chances de devenir des entrepreneurs innovants, de créer leur start-up.
- Vous retrouvez-vous dans la question du sens qui a motivé votre coach ?
Ingrid Bévillard : Oui, tout à fait ! C’est parce que le projet entrepreneurial fait sens, qu’il nous paraît utile à la société voire à la planète, que nous nous y investissons autant, avec l’envie d’aller au bout.
- En quoi consiste votre projet ?
Ingrid Bévillard : Nous travaillons avec une entreprise, Brevalor, qui développe des cristaux phosphorescents ayant de nombreuses propriétés qui les rendent novateurs et prometteurs quant à leur utilisation dans de nombreux autres domaines. Nous nous intéressons notamment aux applications esthétiques, dans la joaillerie et dans l’horlogerie, de nouvelles gemmes simultanément polissables et émettrices de lumière.
- Nous faisons cet entretien à l’occasion de l’inauguration du bâtiment 503 rénové. Un site que vous ne découvrez pas puisque vous y avez fait l’une comme l’autre la première année de formation commune, qui précède les deux années de FIE. Que vous inspire sa rénovation ?
Clara Spetebroodt : J’avoue être un peu perdue, ne plus vraiment le reconnaître (rire). Je suis aussi très impressionnée. La rénovation est de grande qualité. Je trouve bien la manière dont les espaces ont été réaménagés. Bien sûr, j’aurais aimer avoir fait ma première année dans un tel environnement. Mais j’en suis aussi très heureuse pour les nouvelles promotions. J’espère aussi que cela incitera de nouvelles sociétés à s’y installer. Car cette relation de proximité que les élèves-ingénieurs peuvent avoir des entrepreneurs expérimentés, est à mon sens une des clés de réussite de la FIE.
- Et vous, Ingrid ?
Ingrid Bévillard : Je trouve le bâtiment magnifique ! Pour autant, je n’ai pas de regret à ne pas y poursuivre mes années de FIE. D’abord, parce que j’aime bien aussi le site de Saint-Étienne. Et puis, il y a de fréquents échanges entre les sites dans le cadre de semaines dédiées à la FIE : je serai donc amenée à y revenir sachant que, je le précise au passage, nos camarades du site de Paris-Saclay font aussi le déplacement en sens inverse – à Saint-Étienne, comme à Bordeaux. Manière de dire que nous ne sommes pas isolés. Nous faisons bien partie d’une même école. Enfin, à Saint-Étienne, nous avons d’autres opportunités que n’ont pas nos camarades des autres sites : outre le fait de bénéficier d’un coaching très personnalisé, nous y avons un FabLab disposant d’encore plus de moyens que celui du 503, en plus d’être opérationnel [celui de Paris-Saclay a fonctionné au ralenti durant les travaux]. Le site stéphanois héberge aussi des entreprises et des start-up que nous pouvons solliciter en cas de besoin. Bref, nous n’avons pas à nous plaindre !
Clara Spetebroodt : Cette présence d’entreprises et de start-up est effectivement tout aussi forte à Saint-Étienne que dans les deux autres sites, et c’est important de la souligner car cela crée des « émulsions ». C’est en tout cas quelque chose auquel je crois beaucoup. J’insiste même auprès des élèves que je coache pour qu’ils hésitent pas à aller à leur rencontre, comme à celle de laboratoires de recherche, car c’est au contact d’autres entreprises et d’autres laboratoires que les émulsions peuvent se produire. L’innovation, j’en suis convaincue, ne procède pas autrement.
- Puisque vous avez évoqué les déplacements d’un site à l’autre, je ne résiste pas à l’envie de vous interroger sur l’accessibilité du plateau de Saclay. D’aucuns disent qu’il est encore peu accessible depuis Paris. On se dit que depuis Saint-Étienne, ce doit l’être encore moins…
Clara Spetebrrodt : (Rire). Comme je l’espère, la situation a dû s’améliorer depuis ma première année à l’Institut d’Optique – c’était en 2015-2016. Cela étant dit, quand on se lance dans l’entrepreneuriat, on prend l’habitude, qu’on soit à Saint-Étienne ou ailleurs, de se déplacer souvent, pour ne serait-ce qu’aller à la rencontre des partenaires potentiels, puis des clients, aller chercher les expertises, les savoir-faire là où ils sont. Et puis, se rendre sur le plateau de Saclay, comme je l’ai fait pour l’inauguration, c’est aussi l’occasion d’aller à Paris, d’en profiter pour rencontrer des interlocuteurs, faire d’autres choses utiles au développement de mon entreprise.
Ingrid Bévillard : Pour ma part, j’ai pris la mesure de cette difficulté à se rendre sur le plateau, quand je l’ai quitté pour faire ma FIE à Saint-Étienne. Le 503 m’apparaît plus isolé que je ne le pensais ! Mais on en perçoit aussi la dynamique. De nouveaux bâtiments ont été construits ou rénovés depuis l’année où Clara y a fait ses études. Et ce n’est pas fini. L’arrivée de la Ligne 18 du Grand Paris-Saclay approche. Et puis, nous ne sommes pas seuls : la FIE nous aide pour nos déplacements d’un site à l’autre lors des semaines FIE ou de journées comme celle-ci.
Clara Septebroodt : Insistons encore sur le fait que les déplacements se font dans les deux sens : les trois sites invitent à tour de rôle les élèves ingénieurs de la FIE. Sans compter les tests que ceux de Paris-Saclay ou de Bordeaux peuvent venir faire à Saint-Étienne, qui dispose d’équipements que les autres n’ont pas. Ce qui concourt à une réelle synergie entre les trois écosystèmes innovants malgré la distance qui les sépare.
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