Suite de notre rencontre avec l’écologue Gwenaëlle Le Quéré, qui explique comment avec son équipe et des spécialistes, elle a notamment contribué à préserver l’étoile d’eau, une espèce protégée emblématique du Plateau de Saclay, à travers des mesures conservatoires. Avec, à l’issue… une première mondiale !
Pour accéder à la première partie de la rencontre avec Gwenaëlle Le Quéré, cliquer ici.
– Venons-en au Plateau de Saclay. En quoi ce territoire vous paraît-il intéressant au regard de sa biodiversité ?
Il m’est difficile de répondre à cette question dans la mesure où nous ne sommes intervenus que sur une partie du plateau, à savoir la ZAC de Polytechnique. Nous y avons certes réalisé d’autres études par le passé (pour la Caps ou d’autres maîtres d’ouvrage sur des problématiques de rigoles ou d’approvisionnement en eau), mais trop ponctuellement pour avoir une vision globale du Plateau.
Je précise cependant que notre bureau d’études est installé à Marne-la-Vallée, un territoire qui présente a priori des analogies : il s’agit d’un plateau avec une ville en développement. Nous avons donc une certaine expérience de ces projets de développement à l’interface de la ville et des territoires ruraux.
– A quand remonte votre intervention sur la Zac de Polytechnique ?
Nous y sommes intervenus à partir de 2011, dans le cadre d’un groupement de maîtrise d’œuvre, pour la réalisation de travaux relatifs à la gestion de l’eau, notre cœur de métier. Ce quartier étant appelé à s’urbaniser, il fallait anticiper l’accroissement des rejets en aménagement en amont des bassins de rétention. Nous travaillons de concert avec l’équipe de Michel Desvigne, y compris pour déterminer les préconisations relatives à la biodiversité en fonction des usages futurs liés à la fréquentation du territoire par de nouvelles populations (habitants, salariés, étudiants…).
Plusieurs dossiers étaient en cours ou en attente de révision, dans le cadre de l’étude réglementaire. Nous les avons repris, dont un dossier de dérogation à la protection des espèces qui concernait, entre autre, la présence de l’étoile d’eau sur le terrain appelé à accueillir le futur centre de R&D d’EDF…
– Et qui manqua de peu de compromettre ce projet…
En effet. Car il s’agit d’une espèce protégée – une des rares parmi les espèces végétales. D’ordinaire les espèces protégées concernent plus largement la faune. Les espèces végétales doivent avoir une forte valeur patrimoniale pour être reconnues comme telles. C’est le cas de l’étoile d’eau qui est emblématique du Plateau de Saclay. Il se trouve que la Zac comportait une magnifique station (un endroit concentrant des individus de cette espèce), qui se trouvait être directement impactée par le premier projet de construction du centre R&D d’EDF.
Personnellement, je n’en avais jamais vu avant. D’apparence, elle n’a rien d’extraordinaire. Mais j’ai fini par me prendre de passion pour elle, au vu de ce que m’en ont dit les spécialistes que j’ai rencontrés.
– Votre intervention a consisté en quoi ?
A partir du moment où on impacte une espèce protégée, on doit soumettre un dossier de dérogation. Le principe général pose qu’on n’y touche pas a priori. Mais ce principe peut être dérogé en cas d’intérêt majeur du projet d’aménagement. Dans le cas de l’étoile d’eau, un dossier de dérogation, porté par un autre bureau d’étude, avait donc été déposé auprès de la Commission Nationale pour la Protection de la Nature (CNPN). Mais l’avis rendu avait été défavorable.
L’EPPS nous a donc demandé de reprendre le dossier pour argumenter les propositions de mesures compensatoires qu’il comptait prendre.
L’étoile d’eau étant une espèce vivant en milieu humide, nous avons mobilisé nos compétences en matière de gestion de l’eau pour formuler des préconisations, y compris en matière de conception des milieux de substitution proposés pour déplacer les individus impactés. Cela a manifestement convaincu. L’avis a été favorable.
– Cela a-t-il engendré un retard ?
Non, car en parallèle, nous avions défini le cahier des charges à l’attention des entreprises de terrassement pour qu’elles préparent le terrain dans l’éventualité d’un avis favorable. Ce cahier des charges indiquait précisément comment créer les milieux de substitution, prélever sur place les matériaux biologiques, les déplacer et à quel endroit, sur quelle épaisseur, etc. Le jour J, nous avons prélevé des graines dans le sol pour les transplanter ensuite dans trois sites.
– Comment avez-vous mobilisé ces connaissances relatives à l’étoile d’eau ?
Nous avons travaillé étroitement avec le comité scientifique qui a été mis en place par l’EPPS. Ce comité rassemblait des spécialistes…
– Des spécialistes de l’étoile d’eau ?
Oui. Gérard Arnal, botaniste, spécialiste des plantes protégées d’Ile-de-France, Jean Guitet, également botaniste et enseignant à l’Université Paris-Sud, Philippe BARDIN du Conservatoire Botanique du Bassin Parisien. Ils ont été de précieux interlocuteurs, répondant à nos moindres questions. L’étoile d’eau a des besoins variables en eau. Il nous fallait donc savoir pendant combien de temps elle en avait besoin, jusqu’à quelle épaisseur, quel type de modelé dessiner, etc. Nous étions dans un échange permanent pour tester auprès d’eux nos préconisations. De leur part, c’est remarquable d’avoir accepté de s’engager dans ce type d’échange. Car ces spécialistes ne sont pas habitués à être sollicités sur des points techniques relatifs à la réalisation d’un milieu de substitution. Ils étudient l’espèce dans son milieu. Il leur a donc fallu se projeter dans la réalisation d’un autre milieu.
– Qu’adviendra-t-il de comité scientifique ?
L’arrêté de dérogation qui a en validé la composition stipule qu’il fonctionnera durant vingt ans. Il va être élargi intégrant cette fois des spécialistes de la faune.
– Revenons à l’étoile d’eau. Quels sont les résultats ? Survit-elle dans son nouveau milieu ?
D’après les premiers résultats, il semble qu’elle se soit adaptée. Mais, il est encore trop tôt pour se prononcer définitivement. L’étoile d’eau est une plante à éclipses : elle peut être potentiellement présente à un endroit, mais pas s’exprimer tous les ans. Certaines années, elle apparaît, mais sans fleurir ; d’autres années, elle fait son cycle complet : elle fleurit, donne des graines et se ré-encemense. Nous avons relevé la présence de pousses qui donnent à penser que ce pourrait en être, mais il faut attendre qu’elles fleurissent.
Ce qui nous rend optimiste, c’est que ces observations ont été faites sur le site sur lequel les scientifiques avaient le plus de doutes. Ils l’avaient ajouté à la liste dans un intérêt purement scientifique, « histoire de voir ». Finalement, cela à l’air de donner de bons résultats. Preuve encore une fois qu’avec le vivant, on reste dans l’aléatoire.
– Si ces espoirs se vérifient, ce serait une première mondiale…
Oui. Jamais auparavant, une transplantation d’étoile d’eau n’avait été tentée.
– Comment justifier tous ces efforts ?
Par le fait que, comme je l’ai évoqué tout à l’heure, une espèce donnée conditionne la survie de bien d’autres espèces. Une plante vit rarement seule, elle intéragit avec d’autres, tout aussi intéressantes. C’est encore une fois tout l’intérêt des espèces protégées et de leur effet parapluie : en la protégeant, on en protège d’autres, y compris animales. L’expérience acquise avec l’étoile d’eau bénéficiera à d’autres espèces.
– Avez-vous d’autres projets sur le Plateau de Saclay ?
Oui. Nous travaillons déjà à la réalisation de bassins de substitution pour diverses espèces de batraciens : crapauds, tritons crêtés, etc. La dérogation a été accordée. Nous déplacerons les individus durant leur période de reproduction, à partir de février 2014. Mais les travaux commenceront dès cet automne pour que les mares aient le temps de végétaliser et, si je puis dire, de se cicatriser : ils sont quand même conçus avec des engins de terrassement…
– Dans quelle mesure la communauté scientifique de biologistes, d’agronomes, etc. présente sur Plateau de Saclay pourrait être mobilisée pour enrichir l’expertise et les actions de préservation et de suivi de la biodiversité ?
C’est justement une piste en cours d’exploration. L’enjeu est de poser un autre regard sur ces interventions pour en faire des vecteurs de recherche. Le comité scientifique se compose déjà de spécialistes qui travaillent sur le Plateau. Mais pourquoi ne pas impliquer aussi les futurs doctorants ? Les espèces qui donnent lieu à des interventions de notre part pourraient inspirer des sujets de thèse. Personnellement, je rêve d’une thèse sur l’étoile d’eau. Ou encore sur les tritons crêtés dont nous envisageons d’installer des populations dans plusieurs mares situées à l’Est de la ZAC de Polytechnique. D’autres populations de cette espèce existent déjà dans la forêt de Palaiseau. Des corridors de liaison entre ces populations sont prévus dans le projet d’aménagement du quartier. Mais pour autant, ces populations vont-elles se rencontrer et, si oui, comment ? Nous n’avons pas les moyens de répondre à ces questions. En revanche, un doctorant disposerait de la durée nécessaire pour les traiter.
Postscriptum : depuis l’entretien que nous a accordé Gwenaëlle Le Quéré, le succès des mesures compensatoires a été confirmé par le comité scientifique.
Journaliste
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