Depuis novembre 2013, une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) poursuit des fouilles ans le cadre de l’aménagement du quartier de l’École polytechnique, situé sur les communes de Palaiseau et de Saclay. Fin mars, nous avons pu y faire une ultime visite. Une plongée dans les époques gauloises, gallo-romaines et médiévales.
« Par toutatis ! » Les fouilles menées par l’équipe de l’Inrap sur le chantier de la Zac de Polytechnique se sont révélées fructueuses. Elles ont permis d’attester une occupation gauloise aux IIe et Ier siècles avant notre ère (correspondant à la Tène finale). Parmi les principaux indices : les traces d’un vaste système de fossés et de trous de poteaux. Des fossés en « V » atteignent plus de 2,50 m de largeur et des profondeurs jusqu’à 2 m. Leur comblement a livré aux archéologues un abondant « mobilier » comprenant de nombreux éléments lithiques (du grec lithos, qui signifie pierre), fauniques, métalliques et céramiques protohistoriques (limitées à fin de la période gauloise et au début de la période antique).
Sur les 2 ha fouillés, ils ont également identifié plus d’une trentaine de bâtiments. L’analyse des traces de combustion et du mobilier permet de définir leur fonction (domestique, artisanale, agricole…) voire le rang social de leur occupant (selon que la céramique est grossière, fine, de décoration…). De nombreux vestiges d’un atelier de forge attestent par ailleurs une activité artisanale du fer. Les activités de mouture sont également signalées par la présence de meules rotatives en grès et en pierre à meulière.
Une culture du drainage
Malgré son expérience de bien d’autres fouilles, Cyril Giorgi, en charge de ce chantier, ne cache pas son admiration ni son enthousiasme. Que dire du système de drainage ! « Quand on pense à tout le mal qu’on se donne pour déplacer la terre avec nos pelleteuses… Eux n’avaient que leurs mains et des outils de fortune. » Le même : « On ne construit pas autant de bâtiments, sans un minimum d’organisation, ne serait-ce que pour acheminer le bois nécessaire à la fabrication des poteaux – de 8 à 10 selon les bâtiments – et des charpentes ». De là à en déduire l’organisation sociale et politique, il n’y a qu’un pas que notre archéologue franchit avec prudence. La dégradation du mobilier sous l’effet de l’irrigation des sols rend plus compliquer le datage.
Une chose est sûre : les différentes composantes du site ont manifestement fonctionné aux mêmes époques en faisant preuve d’une remarquable pérennité quant à leur localisation. Cyril Giorgi : « Sur un même site, on trouve trace d’une transformation progressive d’une ferme gauloise en villa gallo-romaine. » Non sans humour, il ne cache pas l’intérêt qu’il y aurait à fouiller le sol des fermes toujours en activité sur le Plateau de Saclay. « Peut-être pourrions-nous y trouver trace d’occupations gauloises sinon gallo-romaines ».
Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, le passage de l’époque gauloise à la période gallo-romaine, suite à la conquête de la Gaule, s’est faite sans heurts. « On est en présence de Gaulois romanisés progressivement. Il n’est pas impossible de penser que qu’ils aient d’ailleurs accompagné le processus d’acculturation. » Bref, le Plateau de Saclay se révèle être plus un territoire de transition que de rupture…
Des échanges « internationaux » avant l’heure…
Autre enseignement : bien avant l’affirmation de sa vocation à devenir un cluster de classe mondiale, il a été un lieu d’échange, comme en témoignent… des amphores italiques dédiées à l’importation de vin et ce, bien avant la conquête romaine. « Dès l’époque gauloise, on trouve trace d’échanges avec les régions méditerranéennes. » Le Plateau de Saclay, un territoire ouvert sur l’international dès les IIe-Ier siècles avant notre ère, qui l’eut cru ? (si tant est qu’on puisse s’autoriser cet anachronisme).
Quand on lui demande qu’elle est la plus belle pièce que lui et son équipe aient trouvée, Cyril Giorgi ne cache pas son embarras. Non qu’il en ait manqué comme en témoignent ces objets d’apparat ou cette lingotière en terre cuite permettant de fondre des alliages de cuivre et d’argent. Mais à l’entendre, l’important n’est pas là. Il est plutôt dans cette opportunité offerte aux archéologues de reconstituer un parcellaire sur une aussi vaste superficie.
Le chantier précédent était circonscrit au périmètre de l’Ensta ParisTech. Il avait certes permis de mettre au jour une propriété gallo-romaine. Mais guère plus. Ce chantier-ci porte sur deux ha. De quoi disposer d’une vision globale. Carte à l’appui, Cyril Giorgi donne à voir un parcellaire mis en place à partir du IIe siècle avant notre ère, dont on devine qu’il se poursuit bien au-delà des limites du chantier. Non seulement l’occupation du territoire est ancienne, mais son habitation a été continue, hormis des zones qui ont pu ici et là être laissées à l’abandon.
Une présence gauloise, gallo-romaine et médiévale
Voilà pour le tournant du premier millénaire et ses premiers siècles. Les fouilles ont permis de mettre à jour une occupation médiévale des XI-XIIe siècles, pour le moins singulière : une plateforme surélevée, ceinturée d’un fossé (cf l’illustration de cet article). « Malgré la phase de diagnostic préventif, nous ne nous attendions pas à trouver un tel vestige. » Et pour cause, une telle construction s’observe le plus souvent dans des territoires plus densément peuplés, rarement en milieu rural.
Passionné et passionnant, Cyril Giorgi l’est indéniablement. On le sent néanmoins un peu tracassé. Non pas tant par l’achèvement prochain du chantier (qui se prolongera encore quelques semaines). Mais par ces implantations à plusieurs siècles d’intervalle qui ont fini par brouiller les pistes. Ainsi de cette trace de mare enserrée d’un mur de pierres en meulière, datant de l’Antiquité et conservé jusqu’au Moyen Age au prix de réaménagements qui compliquent la lecture du site initial.
Profession : archéologues et… détectives
Au fil de la visite, le visiteur prend la mesure de la quantité de terre déplacée au moyen de pelleteuses puis à la main. Il imagine volontiers qu’une douzaine de personnes n’ont pas été de trop pour mener à bien les fouilles (et même jusqu’à 17 pendant les approches hivernales qui, cette année 2013, les ont rendues particulièrement difficiles).
Ce même visiteur ne manque pas non plus d’être frappé par l’acuité du regard de l’archéologue qui parvient à voir des traces qui sont loin de lui sauter aux yeux. A se demander si d’ailleurs sa principale compétence ne réside par dans ce sens de l’observation, en même temps que dans cette capacité à formuler des hypothèses à partir du moindre indice. Tel un détective, pense-t-on, avant de se rendre compte qu’on ne croit pas si bien dire en surprenant deux archéologues engagés dans une discussion autour de diverses traces qu’il faut un certain temps au visiteur pour percevoir effectivement. D’indices en indices, et en confrontant leurs points de vue, ils parviendront à en déduire la présence de traces de combustions de divers matériaux. Ce que les analyses devraient valider ultérieurement. Des détectives d’un genre particulier, donc, qui savent cependant travailler en équipe pour confronter et surtout mobiliser plusieurs compétences.
Très vite, notre visiteur se prend au jeu. Il pense avoir décelé un endroit digne d’intérêt. Manque de chance : ce n’est que la trace d’un feu sauvage de matières plastiques… Quand l’archéologie donne aussi à voir les manquements de nos contemporains…
Si les fouilles prendront prochainement fin, les investigations de Cyril Giorgi et de son équipe ne s’arrêteront pas là. Il restera encore à analyser le mobilier et les différents objets retrouvés, et à établir un rapport susceptible de donner lieu à publications. En attendant de nouvelles fouilles sur le Plateau de Saclay ? Non sans humour, Cyril Giorgi formule le rêve que d’autres chantiers y seront programmés, pour repousser encore un plus les limites du parcellaire mis au jour.
Légendes : fouille d’un trou de poteau (en Une, grand format) ; puits antique (en Une, petit format) ; vestige médiévale (en illustration de cet article). Crédit : Cyril Giorgi, Inrap.
Journaliste
En savoir plus