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Aménagement & Architecture

Le Lumen comme espace de relations

Le 29 janvier 2024

Entretien avec Sara de Giles Dubois et José Morales (MGM, Morales de Giles arquitectos)

Suite de nos échos à l’inauguration du Lumen, le 18 janvier dernier avec, cette fois, le témoignage de Sara de Giles Dubois et José Morales, associés aux architectes Emmanuelle et Laurent Baudouin.

- Si vous deviez, pour commencer, caractériser cet équipement, comment vous y prendriez-vous ?

Sara de Giles Dubois : Le Lumen a été conçu avant tout comme un « espace de relations » : entre des étudiants et des enseignants-chercheurs de différents établissements d’enseignement supérieur ayant mutualisé leurs ressources bibliothécaires, mais aussi des habitants du quartier. En cela, il est bien représentatif de l’esprit de notre agence, qui s’est faite une spécialité de la conception de tels espaces.
Dès la première réunion que nous avons eue avec la maîtrise d’ouvrage – l’Université Paris-Saclay – et la maîtrise d’ouvrage déléguée – EPA Paris-Saclay -, nos interlocuteurs avaient insisté sur leur souhait de créer un équipement où des élèves et enseignants-chercheurs de différentes disciplines allaient pouvoir se rencontrer, car ce n’est pas autrement que se fait la recherche, une découverte scientifique : par la possibilité pour un physicien de croiser d’autres chercheurs en physique, mais aussi des biologistes, des chimistes, des mathématiciens, etc. Il importait donc qu’étudiants et enseignants-chercheurs disposent d’un espace où ils puissent se retrouver en dehors de leurs établissements ou laboratoires respectifs, au contact d’autres étudiants et enseignants-chercheurs, mais aussi d’habitants. Un espace aussi perméable que possible, donc.

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Lumen: croquis de conception © José Morales

Lumen: croquis de conception © José Morales

- En quoi cela a-t-il été un défi ?

S. de G.D. : Un défi tout relatif car le plan urbain dans lequel l’équipement devait s’inscrire était favorable : il a en effet pour particularité d’être avancé par rapport aux autres bâtiments du « Deck » [l’une des grandes artères du quartier de Moulon]. Cela, ajouté au fait qu’il se trouve en plus en proximité immédiate avec la station de la ligne 18 du Grand Paris Express, en faisait un espace de relations avec son environnement extérieur. Du moins fallait-il faire preuve d’imagination au moment du concours, en 2016 : à l’époque, nous étions encore en pleine campagne, peu de bâtiments avait été construits aux alentours. Aujourd’hui, on peut constater que le Lumen remplit bien son rôle d’espace de relations de par sa position dans le quartier qui s’est construit entretemps – la gare est encore en cours de construction, mais elle est bien là.

- Quelles ont été vos premières visions de cet équipement ?

S. de G.D. : Au vu des attentes de la maîtrise d’ouvrage et de l’environnement, nous avons d’emblée imaginer une vaste tente qu’on planterait en pleine campagne (rire). En creusant cette première vision, il nous a paru alors évident qu’elle devait être faite d’une enveloppe suffisamment perméable pour donner à voir ce qui se passe à l’intérieur, de façon à donner envie aux passants d’y entrer. Ou mieux, qu’ils y pénètrent sans s’en rendre compte grâce à cet avancement sur le Deck que j’évoquais, qui l’inscrit dans le prolongement du Jardin argenté situé en face de l’entrée et qui existait déjà au moment du concours. Une fois à l’intérieur, les visiteurs devaient avoir la sensation de pouvoir s’y promener, y déambuler depuis le rez-de-chaussée jusqu’aux niveaux supérieurs, en empruntant des escaliers prolongés par des gradins où ils pourraient s’installer et discuter avec des personnes rencontrées par hasard.

- Est-ce dans l’idée de rompre avec la forme architecturale des bibliothèques universitaires, qui peut dissuader des habitants d’y pénétrer ?

Sara de Giles Dubois : Oui. Le plan urbain précisait bien d’ailleurs que le bâtiment allait se trouver aussi à proximité de quartiers résidentiels censés attirés d’autres populations que les étudiants et enseignants-chercheurs. Il fallait donc faire sentir que le bâtiment leur était aussi destiné. Quiconque devait pouvoir s’y rendre, même sans y réfléchir, rien qu’en passant devant. Par conséquent, il devait être aussi accueillant que possible. C’est bien le cas. Précisons qu’il est même possible de le traverser, dans un parcours quotidien, grâce à deux entrées situées l’une en face de l’autre.

- Il reste que ce bâtiment est un établissement académique. Quelle familiarité aviez-vous avec le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ?

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Lumen: Modèle de conception @ MGM Morales de Giles arquitectos

Lumen: Modèle de conception © MGM Morales de Giles arquitectos

S. de G.D. : Votre question est l’occasion d’aborder un aspect important de notre démarche qui se situe entre enseignement supérieur et recherche, d’une part, et architecture, d’autre part. José et moi sommes des architectes, docteurs en architecture et des universitaires : nous enseignons à l’Université de Séville (et d’autres universités en Europe et aux États-Unis) et faisons de la recherche. De là notre association avec l’architecte Laurent Beaudouin, que nous connaissions déjà depuis longtemps – il nous avait invités à donner une conférence et un workshop à l’Université de Nancy où lui-même enseignait. Notre agence est reconnue en Espagne et à l’international pour sa démarche de recherche autour de l’architecture comme espace de relations, en interne et en externe, en rapport avec l’espace urbain.
Comment l’architecture peut-il contribuer à activer cet espace urbain ? Comment celui-ci peut-il se prolonger dans et par l’architecture ? Telles sont quelques-unes des questions qui sous-tendent nos propositions architecturales et nos enseignements à l’Université de Séville. C’est pourquoi notre agence, nous ne la concevons pas autrement que comme un laboratoire de recherche, dans lequel nous réfléchissons à des solutions autour de la perméabilité des bâtiments, à l’architecture comme activatrice de l’espace urbain. De sorte que le Lumen tient aussi de l’expérimentation, du démonstrateur. Travailler en partenariat avec Laurent était très important compte tenu de sa grande expérience dans le domaine des bibliothèques et de ses programmes fonctionnels spécifiques en France.

- Un mot sur la maîtrise d’ouvrage et les futurs usagers, en l’occurrence les directions et leurs personnels (directions des bibliothèques, du Design Spot, de la Diagonale Paris-Saclay) appelés à rejoindre cet équipement et que vous avez associés à vos réflexions…

S. de G.D. : À cet égard, il faut rendre hommage au travail de Julien Sempéré, en charge du projet au sein de l’Université Paris-Saclay. Il a veillé à nous mettre en contact avec ces futurs usagers, pour parvenir à un programme aussi précis que possible. Nous tenons aussi à saluer la maîtrise d’ouvrage déléguée, l’EPA Paris-Saclay, en particulier Estelle Lebrun [chargée d’opérations] avec laquelle nous avons eu des réunions régulières qui ont permis de procéder aux inévitables ajustements.

- Nous réalisons l’entretien dans le Lumen à l’occasion de l’inauguration. Qu’est-ce que cela vous fait-il de voir ce qui n’était qu’un concept en 2016, s’incarner sous vos yeux, au milieu des invités mais aussi de ses divers usagers ?

S. de G.D. : Nous sommes comme des chercheurs émerveillés devant les résultats d’une expérience corroborant leur hypothèse. Ici, l’équipement correspond bien à ce que nous avions imaginé au départ. Le voir au milieu de tout ce monde venu pour l’inauguration, mais aussi pour y travailler ou y déambuler, c’est proprement fantastique !

- Un signe qui ne trompe pas quant à son attrait : Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, s’y est elle-même longuement attardée alors que, comme elle l’a confié dans son discours, elle avait déjà eu le privilège de le visiter un peu avant son ouverture…

S. de G.D. : C’est vrai ! Une marque d’intérêt qui ajoute à notre plaisir.

- Nous réalisons l’entretien en présence de votre associé, qui ne parle pas français, mais le comprend. Pouvez-vous le présenter ?

S. de G.D. : José Morales est le fondateur de MGM Morales de Giles architectes, en 1986. Il est professeur universitaire émérite.

- [À José Morales, traduction par Sara de Giles ] : Que ressentez-vous vous-même à découvrir ce bâtiment achevé et déjà fréquenté ?

José Morales : Un bâtiment ne se comprend pas indépendamment des personnes qui l’utilisent. En ce jour d’inauguration, il nous est permis de vérifier que celui-ci fonctionne, qu’il répond bien aux besoins ; les gens peuvent y travailler confortablement, se rencontrer, déambuler… Mais le Lumen a été aussi conçu et pensé en rapport à un environnement [le quartier de Moulon], qui est lui-même fréquenté, dynamique. Nous ne voulions pas d’un bâtiment aussi fermé que peut l’être une bibliothèque universitaire, au prétexte qu’elle est dédiée à un public précis. Nous voulions d’un bâtiment ouvert, perméable. Et manifestement, c’est aussi le cas. On y entre et y sort sans forcément s’en rendre compte.

- Un sensation d’ouverture qu’on ressent jusqu’au 3e et dernier niveau auquel seuls les étudiants et enseignants-chercheurs ont accès : l’ambiance y est autant studieuse que lumineuse.

J. M. : En cela le Lumen est à l’image de la société contemporaine. Il n’a pas été pensé pour les besoins d’une seule catégorie de la population – les étudiants et enseignants-chercheurs. Il l’a été aussi pour accueillir le moindre habitant, le moindre citoyen.

Pour en savoir plus sur l’agence MGM, cliquer ici.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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