Suite de nos échos au colloque du CIST, à travers un entretien avec le romancier Aurélien Bellanger auquel on doit notamment Le Grand Paris (Gallimard, 2016). L’occasion de recueillir son point de vue sur le pôle technologique de Paris-Saclay dont il n’est qu’incidemment question…
– Hormis l’Institut d’Optique, vous n’évoquez à aucun moment Paris-Saclay appelé pourtant à être le pôle technologique du Grand Paris…
L’architecture institutionnelle du projet du Grand Paris était trop compliquée pour être traitée de manière romanesque. J’ai donc restreint mon propos à l’enjeu du Grand Paris Express, sans entrer dans le détail de ses autres composantes, dont le cluster technologique de Paris-Saclay. Cela étant dit, j’y fais effectivement allusion à travers l’évocation d’une expérience de télé-déportation quantique, au Fort de Verrières, menée en collaboration avec l’Institut d’Optique… J’ajoute que Paris-Saclay est aussi évoqué dans mon précédent roman – L’Aménagement du territoire – à travers une référence aux laboratoires de la High Tech française. J’ai aussi le souvenir d’un passage où mon personnage principal doit se rendre à Polytechnique, à l’occasion d’une fête annuelle se déroulant au moment du solstice d’été, mais sans plus savoir, au moment où je vous parle, si je l’ai maintenu ou pas. Un roman, c’est aussi l’art d’élaguer !
– Cela étant dit, vous auriez pu m’objecter que Le Grand Paris est d’abord un roman qui se plaît à revisiter l’histoire de ce projet au travers de personnages romanesques…
Le fait est, Le Grand Paris est d’abord un roman et j’aurais pu me défendre en m’abritant derrière le droit de l’écrivain à puiser d’abord dans son imagination. Je pourrais aussi mettre en avant d’autres composantes du Grand Paris, tout aussi dignes d’intérêt et que j’aime particulièrement : le Pays de France, au nord de l’aéroport, les buttes de Plailly et de Mareil, le Triangle de Gonesse, avec son enchevêtrement d’axes routiers, ses zones aéroportuaires et logistiques.
– Ne fréquentez-vous pas le Plateau de Saclay ?
Si, c’est même un endroit que je connais pour faire du vélo du côté de la Vallée de Chevreuse, mais aussi de celles de l’Yvette et de la Bièvre. D’ailleurs, souvenez-vous en, dans Le Grand Paris, j’évoque ce dernier cours d’eau en rappelant qu’il a été enterré et détourné lors de la rénovation haussmannienne de Paris, par Eugène Belgrand, dont je fais l’ancêtre de mon personnage principal. Les cours d’eau ont ceci de fascinants qu’ils participent d’une mystique de la vie. A contrario, les Plateaux sont perçus, du fait de leur moindre irrigation, comme des lieux moins propices à celle-ci.
– Sauf que celui du Plateau de Saclay a fait l’objet au XVIIe siècle de l’aménagement d’un vaste système de rigoles et d’étangs destinés à alimenter les fontaines du parc de Versailles…
C’est juste ! Un projet qui s’est révélé plus efficace qu’un autre, visant à alimenter ces fontaines à partir de la Loire, à travers notamment LA fameuse machine de Marly, laquelle est connue pour être le système hydraulique présentant le plus piètre rendement qu’on ait pu concevoir au même moment ! Sans doute que le système des rigoles aurait mérité d’être évoqué dans Le Grand Paris. D’autant que son destin est cruellement romanesque : au prétexte que le Parc de Versailles a pu s’alimenter en eau autrement, ce système a été délaissé pour finalement faire place au siège d’un nouveau temple de la modernité : le CEA. Comme un échange à distance et encore mystique, entre la France Gaullienne des Trente glorieuses avec celle du Grand siècle de Louis XIV.
Plus généralement, je trouve le Plateau de Saclay des plus intéressants au regard de l’histoire de l’aménagement du territoire français. C’est le premier endroit où l’organisation centralisatrice de notre réseau autoroutier s’est rompue avant même la construction de voies de contournement. C’est en effet à son niveau que s’opère la connexion avec l’Armoricaine, la première radiale qui ne parte pas directement du périphérique parisien (il faut rejoindre l’A6 pour l’emprunter). Une particularité que j’ai mise longtemps à saisir. Désormais, tout fait sens pour moi : on comprend l’aménagement du quartier de Montparnasse avec cette forme de coulée verte et sa large avenue Vercingétorix.
A lire aussi les entretiens avec le géographe et romancier Michel Bussi (cliquer ici) et l’économiste André Torre (cliquer ici), qui ont également participé au colloque du CIST.
Crédit photo : Francesca Mantovani – éditions Gallimard
PS : nous apprenons à l’occasion de cet entretien qu’Aurélien Bellanger publie un nouveau roman, Eurodance (chez Gallimard), le 5 avril prochain. Il est par ailleurs l’auteur d’une préface à l’édition en Folio Classique de Bleak House, de Charles Dickens, à paraître le 26 avril prochain.
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