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Aménagement & Architecture

Le BEM, un dream devenu réalité

Le 5 mars 2024

Entretien avec Dimitri Roussel, fondateur de l'agence d'architecture DREAM

Le 29 janvier dernier, l’EPA Paris-Saclay organisait sa cérémonie des vœux dans le tout nouveau Bâtiment d’Enseignement Mutualisé (BEM), inauguré quelques semaines plus tôt, dans le quartier de l’École polytechnique. L’occasion d’y croiser une diversité de personnes, à commencer par Dimitri Roussel (à gauche sur la photo* ), fondateur de l’agence d’architecture DREAM, qui a fait partie du trio d’architectes français (Manal Rachdi et Nicolas Laisné), associés à l’architecte japonais Sou Fujimoto, et lauréats du concours lancé en 2016…. Témoignage dans cet entretien réalisé sur le vif.
* Photo prise prise depuis une terrasse de L’Arbre blanc, à Montpellier.

- Comment vous êtes-vous retrouvé à participer à la conception de ce bâtiment ?

Dimitri Roussel : Nicolas Laisné, Manal Rachdi et Sou Fijimoto. nous connaissions déjà pour avoir conçu ensemble l’Arbre blanc [Un programme de logements, d’une galerie d’art, d’un restaurant et bar panoramiques, à Montpellier]. Quand le concours du BEM a été lancé – c’était en 2016, il y a une huitaine d’années –, nous avons tout naturellement eu envie de saisir cette opportunité de retravailler ensemble, sur un programme on ne peut plus intéressant et stimulant : comme son nom l’indique, le BEM avait vocation à accueillir des élèves de plusieurs écoles d’ingénieurs installées dans le quartier de l’École polytechnique, pas moins de sept [l’École polytechnique, AgroParisTech, Télécom Paris, Télécom SudParis, ENSTA Paris, l’ENSAE Paris et l’IOGS]. Il s’agissait donc de concevoir l’école d’ingénieur de demain, sous le signe de la mutualisation, mais aussi des rencontres et des échanges.

- De là cet enchevêtrement d’escaliers qui se déploient dans une immense atrium de façon à permettre de se croiser tout en allant d’un niveau à l’autre ?

D.R. : Oui, tout à fait. Nous sommes partis de l’idée que l’école d’ingénieur de demain se devait de favoriser des échanges formels, dans les classes, et d’espaces plus informels, dans les espaces de circulation. Ceux-ci ont donc été a dessein dilatés dans un atrium d’une quadruple hauteur, de façon à y aménager de petits amphithéâtres, des espaces où s’isoler ou se retrouver en petit groupe, au gré de ses déplacements. Mais le BEM ne se conçoit pas indépendamment du reste, de son environnement immédiat. Notre chance a été de pouvoir l’inscrire dans un futur parc – le Green – réalisé par le paysagiste Michel Desvigne. L’atrium du BEM s’ouvrira ainsi généreusement sur ce parc tout en faisant entrer la nature en son sein à travers des arbres plantés en pleine terre, jusqu’à 9 mètres de haut à la livraison. La limite entre l’espace intérieur et l’espace extérieur s’en trouve par la même estompée. Un effet accentué par une enveloppe qui déborde largement – elle a été, je le précise au passage, conçu avec le bureau d’études de Franck Boutté [Grand Prix de l’urbanisme 2022].

© Sergio Grazia

© Sergio Grazia

© Sergio Grazia

© Sergio Grazia

© Sergio Grazia

© Sergio Grazia

- Quelle est la part entre le benchmarking et la conception d’un tel bâtiment au plus près des particularités du contexte – le quartier de l’École polytechnique, un des pôles du cluster de Paris-Saclay ?

D.R. : Il est clair que le BEM est imprégné de la culture japonaise de Sou Fujimoto, qui manifeste une sensibilité particulière au rapport à la nature. Pour ma part, je n’avais que 28 ans au moment du concours. Nul doute que j’ai été dans le souvenir des années pas si lointaines où j’étais étudiant… Nul doute aussi que Manal et Nicolas y ont apporté leur propre vision, leur culture du programme si caractéristique des architectes français. Et c’est précisément dans ce mélange des cultures, des expériences que réside l’intérêt d’un tel projet. Quant à savoir à quel autre équipement il peut référer, c’est difficile à dire. Une chose est sûre : le projet a été pensé collégialement, à l’occasion de workshops, qui nous ont valu à Nicolas, Manal et moi de nous rendre plusieurs fois au Japon. La pratique des Zoom et autres Teams n’était pas encore répandue et c’est tant mieux. Le BEM est le fruit d’échanges approfondis, au cours desquels nous avons laissé libre cours à nos utopies sinon nos rêveries avec néanmoins le souci de parvenir à une réalisation concrète qui satisfasse des élèves et des enseignants dans l’usage qu’ils en feraient au quotidien. Avec aussi le souci de tenir nos promesses quant à l’enveloppe budgétaire initiale. Nous y en sommes bel et bien tenus, et c’est un autre motif de satisfaction.

- Ce que vous dites de ce rapport entre le dedans et le dehors me fait penser à la mésologie, cette approche des milieux, promue de longue date par le géographe et orientaliste, spécialiste du Japon et de son architecture, Augustin Berque, qui se trouve être Palaisien…

D.R. : Je n’ai pas la chance de le connaître, mais je ne manquerai pas de me plonger dans ses écrits !

- En suggérant combien le BEM est, par la conception même de ses espaces de circulation, propice à des rencontres fortuites, vous me faites penser à une autre notion ayant fait florès dans l’écosystème de Paris-Saclay et qui en a même justifié la création, à savoir la sérendipité… Vous a-t-elle inspiré durant la phase de conception ?

D.R. : Oui, bien sûr. C’est une notion qui, tout philosophique ou théorique qu’elle puisse paraître, inspire beaucoup notre approche de l’architecture : les espaces informels y comptent autant que les espaces formels, précisément par ce qu’ils permettent de rencontres fortuites, non programmées, mais dont on sait aujourd’hui l’importance dans les découvertes, l’innovation. Le propre de l’architecte est de créer des volumes et, donc, des possibilités de mouvement, sans chercher à les orienter systématiquement, de façon à laisser une part d’imprévisibilité dans la manière dont les personnes vont se croiser et vont s’arrêter le temps d’échanges informels. Si le programme donne une idée des futurs usagers (en l’occurrence ici, des élèves ingénieurs et des enseignants-chercheurs), je me garde de décider pour eux comment ils devront l’investir, s’y déplacer. Tout au plus l’architecte que je suis veille-t-il à rendre possible le mouvement, dans des volumes aussi ouverts que possible sur l’extérieur car, bien évidemment, un bâtiment, un équipement, vit aussi en fonction de son environnement. C’est du moins ainsi que je conçois l’apport de l’architecte.

- Précisons que nous réalisons l’entretien dans l’atrium du BEM, à l’occasion de la cérémonie des vœux de l’EPA Paris-Saclay. Qu’est-ce que celui vous fait-il de vous retrouver dans un équipement que vous avez contribué à dessiner, au milieu de personnes dont beaucoup le découvrent à cette occasion, y déambulent non sans cacher leur ébahissement ? Ce n’est pas donné à tout le monde de voir son idée passée de l’abstraction à une forme tangible…

D.R. : C’est quelque chose de proprement extraordinaire ! Entre le concours et sa livraison, pas moins de huit ans se sont écoulés. C’est dire l’énergie folle, mais aussi la patience dont il a fallu faire preuve. Forcément, arriver au terme du projet, pouvoir enfin le voir non seulement en vrai, mais encore utilisé au quotidien, est une expérience unique, qui donne tout son sens au métier d’architecte.
L’inauguration, intervenue il y a quelques semaines, avait déjà été, par de là son caractère formel, un moment émouvant. Que l’EPA Paris-Saclay ait choisi d’y organiser ses vœux est un autre motif de satisfaction. Cela révèle au passage le potentiel de cet équipement dont nous n’avions pas imaginé qu’il puisse accueillir ce genre d’événement. C’est bien la preuve qu’aux yeux de l’aménageur, il fait partie intégrante du paysage du cluster et que d’autres acteurs pourront l’utiliser.
A priori, la vocation d’un architecte n’est pas de construire pour le plaisir de construire. Il le fait d’abord dans l’espoir que ce soit utile à des gens, que ceux-ci s’y sentiront bien. D’après Laura Chaubard, la directrice générale de l’École polytechnique, les premiers retours des étudiants sont plus que positifs : ils se sont déjà appropriés ce lieu, ses classes comme ses espaces informels. Cela étant dit, j’aimerais bien pouvoir revenir durant les heures de cours, me faufiler dans une classe de façon à observer comment cela se passe concrètement. La typologie d’espaces que nous avons adoptée s’est voulue innovante. Les premiers intéressés s’y retrouvent-ils ? Comme vous le voyez, pour un architecte, un projet architectural ne se termine pas le jour de sa livraison.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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