Directrice de l’Estaca, Pascale Ribon revient sur les motifs qui ont conduit au déménagement de cette école d’ingénieurs presque centenaire, de Levallois-Perret à Saint-Quentin-en-Yvelines d’ici 2015.
Pourquoi ce transfert de l’Estaca à Saint-Quentin-en-Yvelines ?
L’Estaca est une vieille dame qui a déjà connu des déménagements. Elle a été créée en 1925, en plein centre de Paris, dans le Ve arrondissement, comme bien d’autres écoles d’ingénieurs. Plus tard, la durée de la scolarité passant de 3 à 4 ans puis à 5 ans, le nombre d’élèves a fortement progressé. En 1979, se sentant trop à l’étroit, elle s’est s’installée à Levallois-Perret. Au début des années 90, des travaux ont permis d’accompagner le nouvel essor de l’école. Mais dans les années 2000, elle s’est de nouveau retrouvée à l’étroit, malgré nos constants efforts pour optimiser l’espace. A la fois pour les étudiants et pour la recherche. L’Estaca a en effet commencé à développer une activité de recherche au début des années 2000. Entre-temps, l’école qui formait des ingénieurs pour les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique avait élargi ses formations au spatial puis aux transports ferroviaires et urbains (métro et tramway). Nous avons géré cette croissance en ouvrant un 2e site à Laval. Un choix qui s’est révélé pertinent aujourd’hui : cette ville est desservie par le TGV depuis Massy en 1 h 40 environ.
Cela a-t-il constitué un critère de choix ?
Non, disons plutôt que cela a été un atout supplémentaire. Il y a beaucoup d’échanges entre les deux sites, même si des étudiants peuvent poursuivre l’intégralité de leurs études dans l’un ou l’autre. J’y vais personnellement presque toutes les semaines. L’ouverture de ce site de Laval a été un levier pour développer notre activité de recherche dans de meilleures conditions. A Levallois-Perret, nous avions installé les laboratoires dans les sous-sols jusqu’ici non utilisés…
A quel moment s’est fait sentir le besoin d’envisager un autre déménagement…
En fait, peu après l’ouverture de Laval, en 2006-7, car le nouveau site est monté en puissance beaucoup plus rapidement que prévu. C’est comme les autoroutes : vous pensez désengorger le trafic en en construisant de nouvelles. En réalité, vous engendrez de nouveaux flux !
La ville de Saint-Quentin s’est-elle imposée d’emblée ?
Non, plusieurs projets ont été examinés, en Ile-de-France (au Bourget, à Cergy-Pontoise, à Buc…), mais aussi en Province, comme à Toulouse où existent plusieurs écoles partenaires. Nous avons aussi pensé à Compiègne où nous avons également des échanges avec l’Université technologique. Partout, il convient de le souligner, nous avons reçu un très bon accueil des collectivités territoriales : nos interlocuteurs ont à chaque fois essayé de trouver des solutions aux problèmes qui pouvaient se poser. Preuve s’il en était besoin que les collectivités locales ont bien intégré le rôle moteur que peut jouer un établissement d’enseignement supérieur dans leur dynamique de développement. Le fait d’être une école privée n’a pas été un obstacle. Cependant, aucun de ces projets n’avait atteint la phase opérationnelle.
Comment Saint-Quentin s’est-elle finalement imposée ?
En fait, ce qui s’est imposé, c’est le Plateau de Saclay et même le territoire de l’OIN. Notre vocation est de former des étudiants qui, aux deux tiers, se destinent à la R&D et aux bureaux de conception dans le domaine des transports. Par sa propre vocation à devenir un cluster, le Plateau de Saclay devenait particulièrement attractif. D’autant que la majorité de nos enseignants externes viennent de ce territoire. Quant aux enseignants permanents, ils ont l’habitude de coopérer avec des entreprises et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche installés sur le Plateau.
Et vous-même, connaissiez-vous ce territoire ?
Oui et pas seulement parce que je suis Orcéenne. J’ai fait mes études supérieures sur le Plateau. Outre les Ponts et Chaussées, je suis diplômée de l’Ecole Polytechnique. J’ai ensuite commencé ma carrière à la DDE de l’Essonne, où je suis restée de 1993 à 1999. Je traitais des questions d’assainissement de l’eau du Plateau de Saclay, un enjeu compliqué s’il en est ! Je me suis aussi occupée des questions d’aménagement dans le cadre du schéma directeur qui avait été élaboré pour, déjà, valoriser le potentiel du Plateau.
Depuis, j’ai toujours suivi avec intérêt le développement de ce territoire. Avec la dynamique du Grand Paris, nous avons à l’évidence passé un cap. Il me paraissait naturel que l’Estaca vienne s’installer sur ce territoire et apporte sa pierre à l’édifice. Prise en 2010, la décision faisait l’objet d’un consensus parmi les membres du conseil d’administration.
Vous faites état de votre expérience au sein de la DDE de l’Essonne, finalement, c’est du côté des Yvelines que vous vous installez…
Le Plateau est à cheval sur les deux départements ! Et du temps où j’étais à la DDE de l’Essonne, je travaillais déjà étroitement avec mes collègues des Yvelines.
Comment s’est fait le choix de l’emplacement final ?
Nous avons étudié plusieurs sites : outre la ville de Saint-Quentin, le quartier du Moulon ou encore Satory. La ville de Saint-Quentin l’a emporté du fait de la proximité d’industriels dont nous sommes partenaires : l’Estaca est membre fondateur de l’IEED VeDeCom. Un autre point important : la possibilité pour nos étudiants de vivre dans une ville. En déménageant, l’Estaca entraîne avec elle un millier de jeunes entre Bac+1 et Bac + 5. Il fallait un territoire avec des logements disponibles, mais aussi des capacités de restauration, des équipements culturels et de loisirs.
Aviez-vous fait une enquête préalable ?
Oui et nous y avons d’ailleurs impliqué les parents d’élèves qui sont – c’est une particularité de notre école – constitués en association. Nous sommes très attentifs à la qualité de la relation que nous entretenons avec eux. Ils nous remontent des informations précieuses pour la logique d’amélioration continue dans laquelle nous nous inscrivons. Ils ont donc participé à la réflexion et même aux visites des sites. C’est eux qui ont attiré notre attention sur l’importance de pouvoir disposer de logements, de lieux de restauration mais aussi d’une accessibilité par les transports en commun.
A cet égard aussi, l’installation à Saint-Quentin est pertinente : nos étudiants viennent déjà pour la plupart du grand quart sud-ouest de l’Ile-de France (d’après le statistiques établies sur les dix dernières années). Parmi eux, beaucoup sont originaires des Yvelines (sinon des Hauts-de-Seine et de Paris). Les étudiants de province vont plutôt sur le site de Laval.
Et ces étudiants justement, leur avis a-t-il été sollicité ?
Ils ont été informés des grandes lignes de la phase de programmation. Ils le seront ensuite pour la conception des locaux qui verront le jour en 2015. Un concours d’architecture sera lancé dans les semaines qui viennent. Les projets seront mis en ligne pour consultation.
Parmi ceux destinés à améliorer leurs conditions de vie, il y a une Maison des étudiants : un site ouvert 24 h sur 24 où ils disposeront de plateaux de travail pour développer leurs projets académiques et associatifs, à leur rythme, avec des espaces de convivialité, une cafétéria… Pour leurs activités sportives, ils pourront bénéficier des équipements de la ville et de l’université.
Quel regard posez-vous sur les transports sur le Plateau ?
Le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont compliqués ! Nous attendons beaucoup du projet du grand métro programmé dans le cadre du Grand Paris. Pemettez-moi de rependre ma casquette d’ex-DDE : au vu du développement qui est attendu sur le Plateau, si rien n’est fait en matière de transport et de mobilité, on va générer des conditions de vie et de travail qui vont être compliquées au point de compromettre ce développement.
L’Estaca compte-t-elle être prendre part aux débats et réflexions déjà engagés sur cette problématique ?
Nous arrivons avec des étudiants dont le transport sera le métier ! Il serait judicieux de profiter de cette jeunesse et de sa créativité pour traiter de ces enjeux.
Que comptez-vous faire en matière de mutualisation des ressources et des lieux dédiés à la restauration, aux loisirs ?… La Maison des étudiants que vous évoquiez, la concevez-vous dans votre coin ?
Pas du tout ! Nous comptons au contraire mutualiser avec l’Université de Saint-Quentin. Les discussions sont bien avancées. Nous faisons par ailleurs partie du PRES du Grand Ouest Parisien qui vient de se créer. Nous avons l’intention d’être un des acteurs du campus en mettant à disposition nos moyens et, inversement, en faisant en sorte que nos étudiants puissent bénéficier du restaurant universitaire, du centre de ressources documentaires et d’autres lieux, dans un souci d’économie mais aussi de confrontation des cultures.
A cet égard, l’orientation de l’Université de Saint-Quentin vers les sciences de la vie et les sciences humaines et sociales constitue un plus. Il importe en effet que nos ingénieurs puissent échanger avec des sociologues, des biologistes, etc. Car si les questions de transport et de mobilité renvoient à des enjeux technologiques, elles se posent aussi, de plus en plus, sous l’angle des usages. Dans le domaine des transports, on fonde beaucoup d’espoir sur les véhicules autonomes, qui impliquent des solutions innovantes en matière d’interface homme/machine. L’ingénieur doit donc apprendre à travailler avec les spécialistes du cerveau humain. D’où l’importance des échanges, même informels, que nos étudiants pourront avoir avec ce genre de spécialiste, dans une cafétéria ou à l’occasion d’événements… Ce sera une source d’enrichissement qui leur servira tout au long de la vie.
Journaliste
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