C’est la question que propose d’aborder AgroParisTech à travers un cycle de « disputes » qui sont l’occasion d’explorer l’agriculture urbaine en croisant le regard de chercheurs, de professionnels et d’associatifs. La deuxième séance a eu lieu la semaine passée. Elle fut l’occasion d’évoquer Paris-Saclay…
Jeudi dernier (le 23 janvier), en fin de journée, l’amphithéâtre Tisserand de l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement (AgroParisTech) de la rue Claude Bernard, dans le 5e arrondissement de Paris, était pratiquement plein pour la seconde « dispute » organisée par cette école sur le thème de l’« agriculture urbaine ».
Dispute ? C’est bien évidemment au sens classique du terme (une discussion, un débat), qu’il faut l’entendre. Pas plus qu’au cours de la première séance, nul éclat de voix, nulle agressivité ni controverse n’ont été à déplorer ce jeudi soir, mais des points de divergence tout de même entre les différents intervenants, à savoir Jeanne Pourias et François Léger, respectivement doctorante et enseignant chercheur à AgroParisTech-Inra ; et deux « non régionaux de l’étape » : Carole Hernandez Zakine, en charge du Think Tank Saf-agriculteurs de France (SAF), et Damien Greffin, Président de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA) d’île-de-France. C’est que si tous parlaient volontiers d’agriculture urbaine, ils n’y mettait visiblement pas le même sens.
Vous avez dit « agriculture urbaine » ?
Jeanne Pourias s’était bien risquée à la définir préalablement, en rappelant que cette agriculture urbaine sert à désigner des pratiques agricoles, à proximité des villes, mais également ces activités jardinières et potagères incarnées par les jardins jardins collectifs et familiaux, les jardins partagés ou encore les Incredible edible (les Incroyables Comestibles, en français), ce mouvement né en Angleterre et qui se propage à travers le monde, en vue de promouvoir la culture de légumes, collective et gratuite, dans l’espace urbain.
Mais à embrasser aussi large, en mêlant la carpe et le lapin, on peut se demander si l’agriculture urbaine ne… sème pas, finalement, la confusion. Surtout, pourquoi parler d’agriculture pour désigner des pratiques de jardinage ? Il n’est pas jusqu’à la notion même de ville qui n’entretenait le malentendu, les uns ayant manifestement en tête le territoire dense couvert de bitume et d’immeubles, les autres, les territoires périurbains qui tendent à mettre au contact les agriculteurs avec des populations périurbaines. Or, selon les phénomènes dont on traite, les problématiques ne sont pas les mêmes. D’un côté, la nourriture jardinière dans la ville pose la question de sa viabilité au regard de la qualité du sol, de l’air, de l’eau mais aussi de la disponibilité en foncier. De surcroît, l’enjeu est moins de se nourrir par ses propres moyens que de susciter du lien social. De l’autre, la question est de savoir comment surmonter les conflits d’usage entre des agriculteurs qui produisent pour exporter, de l’autre, des habitants qui ont des exigences environnementales, allant jusqu’à remettre en cause l’usage d’intrants chimiques, tout en tenant à conserver les aménités du paysage agricole…
Face à ces problématiques-ci, des territoires esquissent des solutions en confiant, par exemple, l’approvisionnement de la restauration collective par des agriculteurs locaux moyennant leur conversion au bio. Le Plateau de Saclay en particulier montre qu’il est possible de trouver d’autres solutions de compromis et innovantes avec ces agriculteurs qui, progressivement, consacrent des parcelles à une production maraîchère pour une commercialisation en circuits courts. Une évolution promue par l’association Terre & Cité.
Plateau de Saclay, terre d’innovation
Justement, dans sa dernière lettre d’information, cette association rappelle les propos que David Bodet, président de la Caps (une des intercommunalités de l’OIN Paris-Saclay) avait tenu le 7 décembre dernier, à l’occasion de la célébration de la publication du livre « Racines d’avenir », sur la nécessité d’un projet pour les espaces agricoles du Plateau « L’objectif, expliquait-il, c’est de se lancer dans cette transition agricole et la transformation du type d’activité. Il y a des agriculteurs qui ont commencé cette transition, et qui travaillent aujourd’hui à faire des céréales en bio, qui s’attachent aussi à ce que les circuits courts soient valorisés, c’est à dire que ce qui est produit, transformé ici, puisse être bénéfique, profitable aux populations dans les villes, dans les vallées et aussi au campus cluster. » Le même invitait également l’ensemble des élus locaux à soutenir l’agriculture de proximité en ouvrant leurs marchés publics. « Le premier débouché qu’on peut assurer aujourd’hui pour les agriculteurs, ce sont nos restaurations scolaires, ce sont les restaurations des résidences pour personnes âgées. »
De ce Plateau de Saclay, il fut justement été question lors de la dispute d’AgroParisTech. Pas seulement parce que Damien Greffin a repris avec son frère l’exploitation céréalière familiale située en Essonne (le département qui partage le Plateau de Saclay avec les Yvelines). Mais aussi à l’occasion de l’intervention d’un élève de cet institut, qui avec l’impertinence qui sied à tout esprit estudiantin, s’est interrogé sur le paradoxe que constituait à ses yeux le fait pour AgroParisTech de s’implanter sur le Plateau au prix de grignotage de nouvelles terres agricoles… Interrogation à laquelle Pascale Margot-Rougerie, directrice générale adjointe de l’Institut a répondu en faisant remarquer que la décision de transfert de l’école répondait à un enjeu stratégique : profiter des synergies avec les autres établissements d’enseignement supérieur présents ou appelés à rejoindre le Plateau de Saclay. Au passage, elle devait rappeler les liens anciens que l’Institut entretenait avec ce territoire où dans un passé pas si lointain, elle disposait de plusieurs ha pour les besoins de ses expérimentations. Quant aux surfaces agricoles qu’il sera amené à consommer, elle a également fait remarquer qu’elles l’auraient été de toute façon…
En réponse à l’interrogation de cet étudiant, l’auteur de ces lignes lui a rappelé la parution, le 31 décembre, du décret de la Zone de Protection des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers (ZPNAF) signé par pas moins de trois ministres (Cécile Duflot, Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Philippe Martin, Ministre de l’Ecologie et du Développement durable et de l’Energie et Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt). Lequel préserve de l’urbanisation 4 115 ha dont 2 469ha de terres agricoles situées dans les vallées de la Bièvre et de la Mérantaise et sur le Plateau de Saclay (sur les 2 780 hectares cultivés sur le Plateau de Saclay, 2 354 hectares sont ainsi désormais protégés). Ce à quoi l’étudiant a objecté que la future implantation d’AgroParisTech n’en était pas problématique au plan du symbole. De source bien informée, les deux contradicteurs d’un soir se sont quittés sans se disputer.
Pour information, la prochaine dispute d’AgroParisTech est programmée le 20 Mars, prochain. Renseignements et réservations au 01 44 08 86 50. Mail : Marie-pierre.quessette@agroparistech.fr
Journaliste
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