La recherche scientifique ? « Une passion, un plaisir, un jeu ».
Dans la famille Joliot-Curie, on demande le fils (et petit-fils), Pierre. Lui-même scientifique (aujourd’hui à la retraite), il a publié à l’intention des tout jeunes un ouvrage sur sa vocation et les ressorts de la recherche, aussi bien fondamentale qu’appliquée. Un ouvrage à mettre en réalité entre toutes les mains…
Publié aux éditions Flammarion Jeunesse, l’ouvrage est a priori destiné aux plus jeunes. Les plus grands auraient tort cependant de se priver de le lire. Car si l’auteur se livre à un exercice de vulgarisation – de la photosynthèse, son domaine de prédilection auquel il consacre un chapitre, et d’autres aspects de la recherche scientifique – l’ouvrage est d’abord un témoignage personnel et d’autant plus vivant de ce que c’est que d’être chercheur (tout sauf quelque chose de facile quand on est aussi fils et petit-fils de Prix Nobel !), en même temps qu’une défense et illustration d’une recherche fondamentale et appliquée.
Eduqué sans pression familiale
On ne saurait, donc, trop suggérer à tout un chacun de s’y plonger. A commencer par les parents qui s’inquiéteraient des motivations et de l’avenir scolaire de leur propre progéniture : en toute modestie, l’auteur reconnaît n’avoir jamais été qu’un élève moyen et même un peu tire-au-flanc. Irène, sa mère, a dû s’y prendre plus d’une fois pour le convaincre de faire des efforts…
Cependant, ni elle ni Frédéric (le père, donc) n’ont à aucun moment cherché à lui imposer une carrière scientifique. « On ne m’a jamais mis dans la tête que j’étais destiné à devenir chercheur (…). Mes parents m’ont appris à essayer de ne pas être sous la pression de [l’]environnement familial. » Ils firent bien. Leur fils est à son tour devenu un grand scientifique (il a été un spécialiste de la photosynthèse – ce qu’il est encore ! – directeur de recherche au CNRS, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences de France et de la National Academy of Sciences aux Etats-Unis).
Certes, son milieu familial l’y a malgré tout prédisposé, ainsi que ne manquerait pas de le pointer une lecture bourdieusienne de son parcours… On pourra aussi toujours considérer que le choix de la photosynthèse comme champ de recherche était une manière de s’inscrire dans une tradition familiale tout en s’en démarquant. A priori, il n’y a pas de champ plus éloigné de la radioactivité – le domaine de ses parents et grands-parents – que celui de la photosynthèse. Mais au fil des pages, on relève des analogies quant aux modalités de la recherche : dans un cas comme dans l’autre, elle se fait dans un laboratoire ; elle requiert en outre le développement de techniques et d’instruments – ce à quoi Pierre s’emploiera, tout comme ses parents et grands-parents, avec le concours d’un collègue ingénieur.
De l’art, du jeu et du plaisir
Lui n’en récuse pas moins tout déterminisme (ou reproduction au sens de Bourdieu) et considère qu’on peut très bien devenir chercheur sans avoir eu des parents du sérail scientifique (de fait, nous-même avons des exemples autour de nous). C’est une question de volonté et de travail (auquel il se résoudra à partir du moment où il se sentira dans son élément à mener des activités de recherche dans un laboratoire).
Ses parents n’ont en outre eu de cesse de l’ouvrir à d’autres domaines, à commencer par les arts. Tant et si bien, que comme l’auteur le suggère, il aurait pu devenir artiste sans que ses parents ne lui en tiennent rigueur. Au contraire. « Mon père aurait été très très [c’est lui qui insiste] heureux que je fasse un métier artistique ». Il considérait même « la recherche comme un métier proche d’un univers artistique.» Car « il fallait être capable d’innover, de proposer quelque chose de nouveau. » Bref, pour lui, comme pour ses parents, la recherche devait rimer avec « créativité ».
Chez les Joliot-Curie, on n’en avait manifestement pas une vision rigoriste. Pour eux, celle-ci devait être aussi un « jeu » et une source de « plaisir ». Ce sont les mots que l’auteur met en avant pour caractériser la recherche. « Etre chercheur, c’est comme participer à un jeu de piste, c’est essayer de comprendre les énigmes de la nature » dit-il encore. Son propre père ne considérait-il pas lui-même qu’ « un chercheur qui ne joue pas, qui ne prend pas plaisir à ce jeu [qu’est la recherche], ne pourra jamais être un bon chercheur » ?
Autant de considérations qui devraient inciter les enseignants à se plonger eux aussi dans la lecture de ce livre. Ils apprendraient encore que Marie et Pierre Curie dispensèrent une éducation originale à leurs filles alliant celle de « l’esprit pragmatique » (au travers d’expériences, de visites, de spectacles…) à celle du corps (par la gymnastique et autres sports). Une approche qu’ils ont manifestement transmis aussi à leur fils, qui témoigne ici de son intérêt pour l’innovation pédagogique (cf l’appréciation positive qu’il porte à l’association « La Main à la pâte ») avec, de surcroît, des convictions fortes en matière d’égalité des chances (et de parité…).
De la modestie et de la patience
Aux chercheurs en herbe, qui douteraient de la possibilité de faire des découvertes aussi prodigieuses que celles des Curie, il donne des motifs d’espérer. « Il y aura toujours des choses nouvelles à trouver, à découvrir ». Quitte à faire preuve de patience, mais aussi de modestie, en assumant d’être, au commencement de ses recherches, quelqu’un de… méconnu. « Quand on fait quelque chose de réellement nouveau, la plupart du temps, personne ne s’y intéresse ». Quand bien même s’appellerait-on Pierre Joliot : « Pendant mes premières années de recherche […], j’ai abordé ce sujet d’une manière très personnelle. Du coup, personne ne s’est préoccupé de ce que je faisais. »
Etre modeste, dans la recherche, c’est aussi admettre que la découverte qu’on fera ne sera pas nécessairement « exceptionnelle ». C’est que tout le monde ne peut être un nouvel Einstein, Marie Curie ou Planck. Le même de rassurer cependant nos chercheurs en herbe en rappelant que, pour être mineurs, des résultats de recherche n’en sont pas moins possiblement significatifs et même utiles.
Les vertus de l’innocence et de l’ignorance
Les scientifiques plus âgés et expérimentés auraient tort de snober ce livre au prétexte qu’il traiterait de leur quotidien. Ils y trouveront utilement rappeler les nécessaires vertus de l’innocence et même de l’ignorance, y compris dans la recherche fondamentale ou appliquée. Et de l’originalité assumée, car tout est lié. « Je me rends compte que je n’étais original dans ma carrière que lorsque j’abordais un sujet avec une certaine ignorance et une certaine innocence. » Le même : « Pour être créatif en recherche [on y revient…], il faut avoir une certaine dose d’ignorance ». La recherche, rappelle-t-il encore, c’est aussi et peut-être d’abord, un travail d’équipe. Et l’auteur de rendre hommage à des collègues dont il reconnaît que la complicité a été décisive dans l’avancement de ses travaux. Expression d’un atavisme familial ? Toujours est-il qu’on sourit en découvrant que son plus proche collègue aura été… sa propre femme (Anne Joliot).
Etre à l’écoute et observateur
Le même invite également à assumer la part de hasard dans l’activité de recherche. Un sujet de controverse s’il en est dans le monde scientifique (tous les chercheurs sont loin d’admettre que la science puisse avancer sans qu’ils y soient pour quelque chose…). Mais à lire l’auteur, on comprend que le hasard dont il parle est de celui qui « favorise des esprits préparés » (selon la formule de Pasteur que nous nous permettons de rappeler, au passage). « Pour avoir de la “chance” en recherche, il faut quand même, prend-il soin de préciser, être « à l’écoute, être très observateur, avoir l’esprit libre et créatif » (Pasteur lui-même faisait précéder la formule susmentionnée par un « Dans le champs de l’observation, [le hasard favorise, etc.]). On s’étonnera donc juste que l’auteur n’aille pas jusqu’à convoquer la notion de… sérendipité (qui, en son sens strict, désigne l’aptitude à « prêter attention à un fait ou une observation surprenante et à en imaginer une interprétation pertinente », selon la définition qu’en donne Sylvie Catellin dans son ouvrage que nous avons chroniqué – pour accéder à cette chronique, cliquer ici).
Quoi qu’il en soit, il n’est pas jusqu’à nos gouvernants (nos ministres en charge de la recherche, en particulier), qui devraient méditer quelques considérations sur la nécessité de soutenir la recherche (d’autant plus qu’en faire coûte de plus en plus cher – elle requiert des investissements dans des technologies de pointe), de ne pas sacrifier la fondamentale au profit d’une plus appliquée. Car les deux sont liées. La première « est le seul moyen d’amener des concepts nouveaux » et de pourvoir la seconde en connaissances, qui pourront être précieuses pour développer des procédés ou techniques susceptibles d’impacter notre quotidien (il cite l’exemple le transistor, un composant fondamental, à l’origine de l’électronique avec toutes les applications que l’on sait).
Un retraité actif
Last but not least, les plus âgés y trouveront de leur côté des raisons de mieux appréhender cette étape de la vie qu’est la retraite. A l’âge de 85, le très actif retraité Pierre en vante les mérites en relevant que cela lui permet de disposer de plus de temps et, paradoxalement (mais le paradoxe n’est qu’apparent), de continuer à faire des découvertes !
Qu’il soit parent, enseignant, chercheur…, le lecteur trouvera au fil des pages des éclairages sur ses illustres aïeuls (l’iconographie qui accompagne le texte nous fait entrer dans leur univers professionnel et une intimité familiale). Précisons que l’ouvrage est paru l’an passé [2017], à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Marie Curie. Il n’en reste pas moins d’actualité, comme on l’aura compris, malgré le changement d’année.
Si nous avons un regret à formuler (de ceux qu’un lecteur gourmand et insatiable peut avoir), il concerne l’absence de la moindre évocation du projet de « Palais de la science » que ses parents ont imaginé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à travers la construction du centre CEA de Saclay (décidée en 1946), et dont l’auteur, tout jeune qu’il fût encore (il est né en 1932), a dû être un témoin direct ou indirect (on imagine que ce projet dut être évoqué lors des réunions de famille !). Palais de la science qui, doit-on le rappeler, marque le début de la longue histoire de Paris-Saclay (et dont l’actuel projet de cluster est d’une certaine le dernier épisode en date). Cette apparente omission aura au moins le mérite de justifier une interview de l’auteur, en espérant qu’il donne un accord de principe ! Ce dont nous allons nous enquérir. A suivre, donc.
Pierre Joliot, La Recherche scientifique ? Une passion, un plaisir, un jeu (propos recueillis par Christophe Gruner), Flammarion Jeunesse, 2017, 64p.
Crédit photo : Christophe Gruner.
Journaliste
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