Un des principaux centres de R&D de Sanofi (5e groupe pharmaceutique mondial) est implanté depuis près de 60 ans à Chilly-Mazarin, à quelques encablures du Plateau de Saclay. Visite des lieux en compagnie de Philippe Subiron, son directeur.
– Pouvez-vous pour commencer par nous préciser la vocation du site sur lequel nous nous trouvons ?
Vous êtes ici dans le plus important centre de R&D du groupe Sanofi au monde par le nombre de scientifiques et de médecins qui y travaillent. Pour être complet, rappelons que Sanofi dispose aussi d’un autre site de R&D en Région parisienne à Vitry-Alfortville, dédié à l’oncologie et aux biologiques, d’un centre R&D à Lyon, dédié, lui, aux vaccins et aux maladies infectieuses. En dehors de l’Europe, Sanofi est également présent dans le cluster d’excellence scientifique de Boston pour le développement de ses activités dans l’oncologie et les maladies rares.
– A quand remonte la création de ce site ?
A son origine, ce site a été créé par Monsieur Jacques Delagrange, pharmacien de son état. Se sentant trop à l’étroit dans Paris, il avait acquis 17 ha de terrain arboré et agricole pour étendre les activités de ses laboratoires pharmaceutiques. Il s’était associé pour cela à un professeur de médecine, Justin Besançon. Soit un parfait exemple de ces entreprises développées conjointement par des entrepreneurs et des scientifiques, dans les clusters actuels, comme Paris-Saclay. Leur société ne cessera de se développer tout en suivant l’évolution de l’industrie pharmaceutique européenne vers plus de concentration. En 1991, les laboratoires Delagrange ont été absorbés par Synthélabo qui devait fusionner avec Sanofi, en 1999, lequel a acquis Aventis en 2004 pour constituer actuellement l’un des 5 premiers groupes pharmaceutiques mondiaux.
– Que reste-t-il du site initial ?
Si le périmètre est resté inchangé, en revanche, l’ensemble a été profondément réaménagé, y compris sur le plan paysager, pour intégrer de nouvelles activités et accueillir les équipes d’anciens sites R&D du Sud de Paris. Il ne reste plus qu’un ou deux bâtiments des années 1980. Le site a désormais des allures de campus. Pas moins de 2 000 personnes y travaillent aujourd’hui dans toutes les étapes de la chaîne de valeur de la R&D, depuis la Recherche fondamentale jusqu’aux activités relatives au développement, à l’enregistrement des médicaments et à la pharmacovigilance.
– 2 000 personnes dont 70% de femmes peut-on lire sur un de vos documents…
Oui, et c’est probablement aussi la réalité dans les universités de pharmacie ou de médecine.
– Comment avez-vous géré la question de l’accessibilité de ce site ?
La question de l’accessibilité est une vraie problématique. Plus des deux tiers de nos collaborateurs n’étaient pas sur le site il y a encore 5-6 ans. 40% d’entre eux habitent en Essonne, mais la grande majorité habite dans tout le reste de la Région parisienne. Or depuis les années 80, l’offre de transport public n’a guère évolué. Cela étant dit, il est facile de s’y rendre en voiture. Nous sommes tout proches de l’A6 : le matin, le trafic est relativement fluide dans le sens Paris vers Chilly-Mazarin (il faut compter moins de 20 minutes pour s’y rendre depuis la porte d’Orléans). Près de 70% de nos collaborateurs viennent ainsi en voiture.
Près de 10% utilisent les transports en commun : le site est à proximité immédiate de deux gares de la ligne du RER C (celles de Chilly-Mazarin et de Longjumeau). Dans la perspective du Grand Paris, nous bénéficierons du remplacement du tronçon de la ligne C par le Tram-train entre Massy et Evry.
Le reste de nos collaborateurs, environ 20%, utilise le service additionnel de bus que nous avons maintenu (il a été mis en place depuis la création du site) : une navette qui circule entre le site et Denfert-Rochereau, matin et soir sur une plage horaire de près de deux heures.
– Si vous deviez caractériser la R&D actuelle du site de Chilly-Mazarin ?
La caractéristique de ce site, qui en fait assurément la force, est de concentrer en un même lieu toutes les composantes de la chaine de valeur de la R&D, depuis la recherche en amont, proche de la recherche académique, dans des laboratoires, jusqu’aux d’activités de surveillance et de sécurité des médicaments, en passant par les phases de développement. Depuis 2010, 400 de nos collaborateurs travaillent dans des laboratoires de pointe, auxquels s’ajoutent près de 500 autres qui travaillent, eux, sur le développement clinique : ils s’emploient à démontrer l’efficacité et le rapport bénéfice/risque positif de nos médicaments. Enfin, le site accueille les activités les plus aval de la pharmacovigilance qui permettent de suivre et de démontrer la sécurité de ces mêmes médicaments, lors des essais cliniques et après leur mise sur le marché, et ce en collaboration avec des hôpitaux du monde entier.
Cette colocalisation des équipes présentes sur toute la chaine de valeur constitue un indéniable avantage concurrentiel. Elle va de pair avec davantage de pluridisciplinarité : nous avons ici des chimistes, des biologistes, des pharmacologues, des médecins, etc.
– Qu’est-ce qui se joue ici pour l’avenir de notre santé ?
Les recherches menées ici portent, d’une part, sur les maladies dégénératives liées au vieillissement (Alzheimer et Parkinson), mais aussi les maladies cardiovasculaires. Les équipes qui travaillent en oncologie (le traitement du Cancer) et sur le développement des biothérapeutiques, autres domaines couverts par Sanofi, se trouvent, elles, sur notre site de Vitry-Alfortville.
Vous pourrez ainsi constater le chemin parcouru par ce site, depuis la chimie pharmaceutique et les petites molécules (sur lesquelles il continue à s’appuyer) vers, désormais, la biopharmacie. Ce qui nous confronte à des domaines trés complexes touchant au vivant et à l’humain.
Mais une organisation de Recherche ne se limite pas pas aux études en laboratoire. Avant d’obtenir l’autorisation de l’Agence européenne des médicaments ou de son homologue américaine (la Food and Drug Administration), il y a besoin de démontrer à travers des essais cliniques que nos médicaments sont efficaces et avec un rapport bénéfice/risque positif. Aujourd’hui plus que jamais, compte tenu de la sensibilité plus importante de l’opinion à ce sujet. Même quand le médicament a été enregistré, nous avons besoin d’en évaluer les effets dans la durée. Nous travaillons donc à la sécurité du patient, avec les médecins et les hôpitaux et ce, au niveau mondial. Et bien, sachez qu’à l’échelle du groupe Sanofi, cette surveillance est largement organisée ici même, depuis Chilly-Mazarin en lien avec l’ensemble des pays. Elle mobilise de l’ordre de 200 personnes.
– Quelles tendances caractérisent l’évolution de R&D dans votre secteur ?
Une première tendance concerne ce que nous appelons la « médecine translationnelle » – un vocabulaire qui s’est au demeurant imposé dans la recherche pharmaceutique contemporaine : il s’agit de connecter davantage la recherche qui se fait dans des laboratoires aux besoins des malades et aux compréhensions des maladies qui se fondent en milieu hospitalier, au plus près du lit des patients. Cette plus grande proximité entre nos équipes de recherche, les médecins mais aussi les académiques, est une des clés de succès de la R&D actuelle, dans le domaine pharmaceutique.
– Est-ce une tendance générale à votre secteur ou qui a été favorisée par la configuration même de votre site ?
C’est une tendance générale de la stratégie de recherche dans le domaine pharmaceutique. L’heure est plus que jamais au rapprochement entre les centres de R&D, les hôpitaux et les laboratoires universitaires. Avec l’apport des sciences biologiques et de la génétique, nous assistons à des avancées rapides dans les domaines médical et pharmaceutique. C’est encore une fois l’enjeu de ce qu’il est convenu d’appeler la médecine translationnelle…
– Et de l’innovation ouverte…
Pour un groupe comme le nôtre, l’innovation ne peut s’arrêter aux murs de ses centres de R&D. Ceux-ci se doivent d’être ouverts et accueillir des compétences des milieux hospitaliers et académiques. Depuis toujours, nos chercheurs ont noué des liens avec des laboratoires ou des hôpitaux, mais, indéniablement, on assiste à une accélération de cette tendance à l’ouverture, à l’échelle mondiale, et en particulier dans la région de Boston-Cambridge dans le secteur de la biotechnologie et des maladies rares.
– Innovation ouverte, dites-vous. Or, il m’a fallu montrer patte blanche pour venir jusqu’à vous. Où placez-vous le curseur entre cette ouverture à d’autres parties prenantes et l’exigence de confidentialité que l’on devine toujours d’actualité dans un secteur comme le vôtre ?
Ne nous méprenons pas, en effet. L’innovation n’est pas ouverte au sens où le site de Chilly serait ouvert « aux quatre vents », mais où elle se fait avec d’autres équipes, que ce soit en milieu hospitalier ou en milieu académique, avec tout ce que cela implique aussi en termes de confidentialité. L’innovation ouverte ne s’improvise pas : elle s’organise y compris au plan juridique. Seulement, la confidentialité pouvait être avancée comme un prétexte pour un fonctionnement en silos avec les limites que l’on sait. Notre R&D doit désormais se co-construire avec de nouveaux partenaires. Cette logique de co-construction est déjà à l’œuvre. Nous comptons des dizaines de collaboration avec des hôpitaux et des centres universitaires. Elle se fait aussi en marchant en fonction des secteurs, des opportunités.
Pour accéder à la suite de l’entretien avec Philippe Subiron, cliquer ici.
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