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La question énergétique : une approche originale par le projet urbain

Le 27 novembre 2014

Face au double défi du réchauffement climatique et de l’augmentation des besoins en énergie, le moment est plus que jamais venu de placer la question énergétique au cœur des projets urbains. C’est l’idée que s’emploie à défendre cet ouvrage réunissant plusieurs experts et acteurs de l’aménagement, et avec de nombreux exemples à l’appui. Dont celui de Paris-Saclay.

Voici un ouvrage dont on ne saurait trop recommander la lecture : L’Energie au cœur du projet urbain. C’est à notre connaissance le plus complet sur cet enjeu qu’il se propose, une fois n’est pas coutume, de traiter par le prisme des projets urbains et non par celui d’une simple entrée sectorielle (bâtiment, transport, etc.). Et pour cause : dirigé par Ariella Masboungi (Architecte urbaniste en chef de l’État, Inspectrice générale de l’administration du Développement durable, chargée de la mission Projet urbain auprès du directeur général de l’Aménagement, du Logement et de la Nature), il est le fruit d’un travail mené au sein du Club Ville Aménagement (un lieu d’échanges pour aménageurs), avec le concours de nombreux experts de l’énergie et acteurs de la ville.

Qu’entendre par énergie ?

Mais au fait, quand on dit énergie, de quoi parle-t-on ? Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que de les aborder toutes, sans se limiter à la seule électricité, comme on le fait spontanément : les énergies fossiles comme les EnR, produites sur place ou acheminées, pour les besoins de notre éclairage, de notre chauffage, et de toutes nos autres activités de production et de consommation (y compris numériques). Autant d’énergies que l’aménageur doit prendre en considération en veillant à optimiser celles disponibles sur le territoire où il intervient. C’est du moins, la responsabilité que souhaitent lui voir assumer pleinement les contributeurs de cet ouvrage. « L’aménageur doit pouvoir comparer toutes les formes d’énergies en fonction des besoins que ses opérations engendrent pour agir efficacement suivant une approche systémique. » (Ariella Masboungi).
Comment pourrait-il en être autrement ? Rien ne sert de construire des logements à haute performance énergétique si leur implantation dans un quartier mal desservi occasionne des déplacements en voiture… Plutôt que de chercher à rendre autonomes ces logements, autant les intégrer dans des réseaux, de façon à optimiser au mieux les énergies fatales, selon le principe de l’économie circulaire. Etc. Sauf que c’est une chose d’avancer ces arguments même frappés au coin du bon sens, c’en est une autre de les appliquer à la lettre, dans la réalité vraie…

L’aménageur comme chef d’orchestre

Car l’aménageur, aussi bien intentionné et volontaire qu’il soit, est de moins en moins seul. Il doit composer avec des parties prenantes ou concernées, que l’approche systématique ne fait que démultiplier : des promoteurs aux énergéticiens et spécialistes transports, en passant par les bureaux d’études, les architectes, sans oublier les élus et les usagers. Une multiplicité dont l’ouvrage témoigne d’ailleurs à sa façon en réunissant des contributeurs de différents horizons professionnels et disciplinaires. Certes, il en a toujours été ainsi : par le passé, même du temps de l’Etat centralisateur, l’aménageur a dû composer avec de nombreux interlocuteurs. Mais tous ne sont pas forcément au niveau requis pour assurer l’efficacité optimale de projets urbains sur le plan énergétique. L’existence de normes et de réglementations ne sauraient suffire pour les mettre en musique. Encore faut-il que les usages suivent, que les routines changent, voire que les modèles économiques soient révisés de fond en comble ne serait-ce que pour inciter les acteurs soucieux de leur rentabilité à entrer dans la boucle, et rétribuer chacun à la hauteur de ses efforts. C’est dire s’il convient de sortir de ce « schéma linéaire et séquentiel qui fait s’enchaîner l’urbaniste, l’architecte et l’énergéticien les uns après les autres sans favoriser les liens entre eux. » Face aux défis énergétiques, l’heure est à « l’organisation dans l’espace et dans le temps de l’ensemble des flux énergétiques traversant le système urbain pour limiter les déperditions vers l’environnement et maximiser l’exploitation des ressources locales » ainsi que l’explique l’ingénieur-architecte Mindjid Maïzia (par ailleurs consultant et professeur au département Aménagement de PolyTech Tours). Le même promeut l’idée d’un « en-commun énergétique » consistant à s’appuyer sur une conception métabolique et circulaire de l’énergie, chacun profitant des énergies des uns et des autres, à commencer par les énergies fatales. Se dessine ainsi ce « territoire à énergie globale positive » (Tegpos] promu par Franck Boutté, expert reconnu, étroitement associé à l’édition de ce livre.
Qui d’autre que l’aménageur est mieux placé pour assumer le nécessaire rôle de chef d’orchestre ? « Jusqu’alors, en effet, les logiques sectorisées et centralisées de production, d’approvisionnement et de gestion des énergies ont souvent été dissociées des démarches d’aménagement. Or l’aménagement conditionne à la fois les déplacements et les bâtiments, responsables conjointement de 76% de la consommation énergétique française. » (Ariella Masboungi).
Une défense pro domo se dira le lecteur soupçonneux. Qu’il se rassure, les aménageurs qui contribuent à l’ouvrage ne s’en tiennent pas à cette seule conclusion. Ils en tirent les conséquences pour eux-mêmes, en convenant de la nécessité de revoir leurs modes d’intervention, aussi bien en aval qu’en amont. En aval, en se montrant, comme on l’a déjà dit, attentifs aux ressources dont dispose le territoire. Ce que l’architecte-urbaniste Yves Lion souligne bien : « La prise en compte du facteur énergétique dès le diagnostic du territoire est nécessaire. Elle permet de capitaliser sur les ressources climatiques et énergétiques existantes et de tirer parti des contraintes du site pour en faire les atouts énergétiques du projet urbain. » En amont, ensuite, par une responsabilisation sur la durée de vie des opérations. « En effet, si un organisme bailleur a intérêt à intégrer dans son investissement les économies de fonctionnement futures, cela est moins vrai des autres acteurs, notamment les promoteurs et les aménageurs, qui se dé-saisissent des questions de gestion une fois l’opération achevée. » (Ariella Masboungi).

Un enjeu esthétique

Au-delà de cette fonction de coordination dans la mise en oeuvre de solutions adaptées aux contextes et aux usages, bien d’autres fonctions incombent, dont celles que l’ouvrage est sans doute l’un des premiers à mettre aussi bien en avant : l’esthétisation des projets énergétiques (le sujet tient il est vrai à cœur Ariella Masboungi à laquelle on doit d’autres publications sur l’urbain dans son rapport à cette dimension esthétique et même artistique). « La dimension esthétique est, en effet, un thème peu abordé et pourtant majeur : comment penser l’urbain et l’architecture de demain qui rendraient visibles, séduisantes et confortables les modifications structurelles liées à l’évolution de l’approche énergétique ? » interroge-t-elle.
Reconnaissons que cette préoccupation esthétique était présente dans la vision haussmannienne de la ville à travers, outre l’apparence des immeubles du même nom, le soin porté au mobilier urbain (et plus tard, aux sorties de métro), mais pas au point d’avoir été assumée dans la conception des réseaux d’alimentation de la ville en énergie (pour son éclairage, son chauffage, ses autres activités de consommation et de production), les corps du génie urbain s’évertuant au contraire à enfouir ces réseaux au point d’avoir fait oublier aux usagers à quel prix ils leur étaient possible de s’éclairer ou de se chauffer en appuyant juste sur un interrupteur ou d’autres boutons.
Or, pour le sensibiliser aux divers coûts que représentent l’énergie, de sa production à sa distribution, sans oublier sa transformation en d’autres formes réutilisables, le temps n’est-il pas venu de donner à voir les infrastructures qui sous-tendent les systèmes de production et consommation énergétique de nos villes ? La réponse est bien évidemment « oui », mais pour un autre motif que l’ouvrage suggère : rendre visible les innovations introduites sur le plan énergétique, autrement que par des gestes architecturaux (et accessoirement des hausses sur nos factures). Car trop souvent, celles-ci ne sont pas visibles, ce qui n’encouragent pas les élus, friands de rubans à couper lors d’inauguration, à les promouvoir.

On ne part pas de rien

Si donc du chemin reste à parcourir, l’ouvrage tient aussi à rappeler qu’on ne part de rien, tant sur le plan des innovations techniques, que sur le plan législatif ou encore des projets urbains eux-mêmes.
Concernant les innovations techniques, il fonde des espoirs sur le développement des smart grids (censés aider à mieux réguler les flux des réseaux) ou les avancées en matière de stockage (indispensables également pour faire face au caractère intermittent de certaines EnR, le photovoltaïque et l’éolien en l’occurrence) même si elles sont encore au stade de promesse. Sur le plan législatif, l’ouvrage rappelle l’apport des lois du Grenelle de 2009-2010 et d’autres encore, jusqu’à celle sur la transition énergétique pour une croissance verte (récemment adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale), en passant par les nouvelles réglementations thermiques. Si le lecteur pourra se montrer dubitatif quant à l’efficacité de leur mise en oeuvre, en revanche, il se rassurera en découvrant les nombreux projets urbains déjà réalisés ou en cours dont l’ouvrage fourmille. Ils témoignent d’autres manières de faire, d’une capacité à tirer les leçons du passé, d’un progrès de la culture de l’expérimentation. Quitte à questionner des réponses qui apparaissaient encore il y a peu comme les solutions d’avenir : les écoquartiers, d’une part, les labels et autres normes, d’autre part.
Les écoquartiers ne sauraient suffire à faire une ville durable. Surtout, ils ne valent que s’ils s’inscrivent dans une logique d’expérimentation et d’évaluation. A cet égard, Ariella Masboungi tient à citer en exemple la Zac de Bonne à Grenoble, celle-là même que d’aucuns ont jugé utile de critiquer, mais, précisément, pour « la très honnête évaluation » qui en a été faite, dans l’idée de corriger le tir.
Quant aux labels et aux normes (HQE, BBC…), qui définissent la performance énergétique d’un bâtiment, ils ont été pour la plupart conçus dans les pays du Nord dont les conditions climatiques comme les usages, n’ont – faut-il le rappeler – pas grand-chose à voir avec le contexte méditerranéen, pour ne prendre que cet exemple. Leur « application stricte (…) montre ses limites car elle conduit à travailler plus sur une performance théorique que sur une efficience réelle ou vécue » (Franck Boutté). Il conviendrait donc de les contextualiser davantage.

Le projet Paris-Saclay

A ce stade, le lecteur trouvera comme nous l’espérons assez de motifs d’entreprendre la lecture de cet ouvrage. Nous en ajouterons un ultime : parmi ces projets urbains, figure celui de Paris-Saclay à travers les contributions de Pierre Veltz (Président Directeur Général de l’EPPS) et de Lise Mesliand (directrice de l’aménagement de l’EPPS).
Le premier revient notamment sur la stratégie d’ « écoterritoire » définie avec les collectivités locales concernées, pour la « ville-campus » en émergence au sud du Plateau. Elle consiste en « une approche systémique, liant les volets mobilité, immobilier, déchets, gestion des espaces naturels et agricoles biodiversité ; une économie des ressources, notamment grâce à nos prescriptions pour les programmes immobiliers, souvent sous maîtrise d’ouvrage publique ; enfin, une gestion intelligente à la fois par la création de plateformes numériques facilitant les optimisations décentralisées des individus et par de nouvelles infrastructures valorisant les nombreuses complémentarités des besoins énergétiques des acteurs (chaud, froid, électricité). » Bref, une stratégie dont Pierre Veltz résume l’esprit par un tritypque : « global, sobre, malin ». Et qui s’incarne dans des projets concrets dont le plus emblématique est le réseau de chaleur à basse température, alimenté en géothermie, servant d’échangeur entre les utilisateurs en excès et ceux en manque, couplé avec un smart grid électrique (projet lancé récemment et que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder dans la seconde partie du portrait de Julien Sorreau – pour y accéder, cliquer ici).

Un territoire non dépourvu d’atouts

Lise Mesliand revient, elle, sur les particularités du projet Paris-Saclay qui en font toute la complexité au regard du traitement de la question énergétique, mais aussi sur les atouts dont il dispose pour y répondre. Pour mémoire, Paris-Saclay, c’est en effet une Opération d’Intérêt National (OIN) portant sur pas moins de 7 700 ha autour du Plateau de Saclay et de ses vallées, et, à l’intérieur de ce périmètre, deux Zac dites « campus urbain » sur la frange sud du Plateau, enfin, plusieurs grands ensembles immobiliers universitaires et de recherche publics et privés. Ajoutons que ce projet s’inscrit dans un territoire qui compte encore d’importantes superficies agricoles et forestières dont plus de 2 300 ha sont sauvegardés. Les principes directeurs de l’aménagement définis avec les collectivités locales consistent par conséquent à économiser les ressources, mais aussi à « rompre avec l’urbanisme très extensif, avec de grands ensembles isolés, consommateurs d’espace, inaccessibles autrement qu’en voiture. » Au contraire, le projet privilégie « compacité des aménagements et schéma de mobilité multimodale, mixité fonctionnelle et création d’une ‘urbanité ‘ aujourd’hui absente. » (Ce dont les étudiants conviendront volontiers !). Dans les zones opérationnelles, la réflexion engagée sur le volet environnemental du développement durable a amené à placer l’énergie au carrefour des objectifs des objectifs retenus en priorité (concilier ville et nature ; développer une maîtrise globale de l’eau ; mettre en place une économie circulaire ; etc.). Naturellement, Lise Mesliand revient sur le projet phare du réseau de chaleur et de froid, comme une illustration des atouts que compte ce territoire (ce réseau pourra en l’occurrence voir le jour grâce à la géothermie de la nappe de l’Albien). Parmi les autres atouts, il y a bien sûr la formidable concentration de matière grise et de compétences (liée à la présence d’écoles d’ingénieurs, de laboratoires de recherche et de centres de R&D), à même d’aider à l’invention de l’énergie de demain ou à la levée des verrous technologiques existants (notamment dans la gestion du stockage de l’électricité produite par les EnR intermittentes déjà évoquées). Reste à conjuguer les temporalités propres aux projets énergétiques avec les échéances des grands projets architecturaux des établissements d’enseignement supérieur appelés à rejoindre le Campus Paris-Saclay (Ecole Centrale, Institut Mines-Télécom, ENS Cachan…).

Entre ville dense et ville étalée, la ville cohérente

A l’unisson de la tonalité générale de l’ouvrage, Lise Mesliand souligne le changement de perspective qu’induit l’entrée par le projet urbain : « Ce qui est passionnant dans cette ‘ aventure énergétique’, c’est que nous apprenons peu à peu que des dimensions techniques traditionnelles traitées comme des aspects aval dans les démarches classiques d’aménagement pourraient progressivement remonter vers l’amont de la conception ». Et la même d’ajouter cependant : « A condition toutefois de na pas les voir comme des critères d’optimisation technicistes purs, mais comme l’expression de grandes options politiques structurantes, indissociables des choix de mode de vie et des valeurs partagées. »
A bien des égards, Paris Saclay offre au final un autre cas d’école de ces grands territoires à l’échelle desquels Ariella Masboungi invite à appréhender la question énergétique pour mieux répondre aux défis qui nous attendent : d’une part, le réchauffement climatique, d’autre part, des besoins énergétiques, qui vont continuer à croître d’ici 2050, sous l’effet de plusieurs facteurs (la diffusion d’appareils individuels énergivores, la décohabitation, la croissance démographique… ), et malgré tous nos efforts pour économiser l’énergie et gagner en efficacité énergétique.
Un territoire de grande échelle sans être dense pour autant : parmi les nombreuses idées reçues que bouscule cet ouvrage, il y a celle suivant laquelle une ville dense serait un gage de moindre consommation. Pas sûr, d’après les résultats de nombreuses recherches. Même si un lien étroit subsiste entre densité et vertu énergétique, « la ville étalée peut, elle aussi, être durable » (Ariella Masboungi). A contrario, la ville dense peut engendrer des congestions et donc plus d’émissions de GES. Et l’ouvrage de promouvoir en conséquence une « ville cohérente » qui vise, elle, l’optimisation des liens entre logement et emploi, et la réduction de la congestion et des besoins de déplacements. » Paris-Saclay en somme, une fois construite la future ligne de métro automatique…

Pour disposer des références complètes sur l’ouvrage, cliquer ici.

Légendes des photos : le bâtiment et l’écosystème urbain dans la perspective du projet de réseau de chaleur et de froid (en illustration de cet article) ; le schéma d’aménagement du sud du Plateau de Saclay (sur le carrousel du site) ; la couverture de l’ouvrage (petit format).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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