Jacques Fournier préside depuis plus de dix ans aux destinées de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines. Nous l’avions rencontré une première fois à l’occasion de l’édition 2014 du Festival Vo-Vf Le monde en livres, à Gif-sur-Yvette. Nous avons voulu en savoir plus sur son parcours et sa vocation pour la poésie, mais aussi son regard sur le territoire de Paris-Saclay. Eléments de réponses à travers un portrait puis un entretien.
Au vu de la gourmandise qu’il manifeste à parler de poésie, on imagine un enfant baigné très tôt dans le sérail, des discussions enflammées lors des repas avec ses parents, ses éventuels frères et sœurs, en prose voire en alexandrins, avec des disputes à n’en plus finir autour de tel ou tel poète, le tout au milieu de livres et de recueils. Erreur ! La poésie, Jacques Fournier la conçut longtemps comme un refuge. « Je suis d’une famille nombreuse installée dans le Nord de la France, composée de trois frères et d’une sœur, qui ne manifestèrent guère d’appétence particulière pour la poésie et la littérature en général. » Pas plus que les parents d’ailleurs : une mère ancienne infirmière, devenue femme au foyer pour élever sa progéniture et un père, commercial, qui avait créé sa propre entreprise. Pour autant, le livre n’était pas absent de l’univers domestique. Au contraire. « Mes parents avaient acquis des collections complètes sur l’histoire de France ou d’autres sujets. L’une proposait dans de beaux livres à couverture banche les œuvres de tous les écrivains nobélisés, depuis la création du prix jusqu’aux années 70. » Alors que sa famille la considérait comme un objet d’ornement, lui, la dévora. « Ayant appris très tôt à lire, je lisais tout ce qui me tombait dans les mains. »
Une rencontre providentielle
Son goût pour la poésie, Jacques Fournier le découvrira en classe de seconde scientifique au collège Saint-Paul, à Lille, au contact de deux professeurs qui travaillaient alors en binôme : « MM Wartelle et Antoine, que je remercie encore tous les jours d’avoir fait de moi ce que je suis devenu. Ils m’ont transmis le goût des mots, de la littérature et de la poésie. Je n’étais pas spécialement porté sur la théorie littéraire et les dissertations, mais ils m’en ont fait découvrir les courants ou les mouvements, dont le romantisme, le surréalisme et jusqu’à la chanson française à texte. » De sa scolarité il garde ainsi des souvenirs de boums où l’on dansait sur les airs de Léo Ferré, Jean Ferrat, Jacques Brel,… « C’est MM Wartelle et Antoine qui faisaient la sélection ! » Rien que pour le plaisir de suivre leur cours, le jeune Jacques n’hésitera pas à… redoubler sa première. « J’avais un an d’avance ». Les mêmes cultiveront aussi chez lui un goût pour le cinéma. « Ils nous signalaient les nouveaux films de Fellini, de Bergman, de Sautet… » Il s’en fallut de peu que le futur directeur de la Maison de la Poésie ne fasse une carrière dans le cinéma, un autre de ses refuges. « J’aime le principe des images en mouvement ».
Profession : instituteur
Deux passions, donc, entre lesquelles il crut devoir choisir au moment de son orientation. Sans compter la médecine vers laquelle ses parents le poussèrent. En vain. « J’ai royalement échoué deux fois la première année. » Finalement, il sera… instituteur. Au grand désespoir de son père. « J’étais le premier de la famille à entrer dans la fonction publique… » Lui-même n’éprouvait pas de passion particulière pour ce métier. « J’avais passé le concours d’entrée à l’Ecole Normale et l’avais réussi avec brio, glisse-t-il, comme pour justifier sa décision de persévérer dans cette voie professionnelle. Et puis, l’enseignement permettait de garder un lien avec l’écriture. » Il songe même à devenir professeur en passant une licence en lettres modernes, mais choisit de rester instituteur.
Comment en est-il d’ailleurs venu à écrire des poèmes ? La réponse fuse : « Par amour ! » Explication : « A 15-16 ans, j’étais amoureux d’une fille. Mes premiers poèmes, c’est elle qui me les a inspirés. » Dans la plus pure tradition de la geste romantique, certains ont fini déchirés dans le canal de la Deûle.
Puis en seconde, il fréquente un groupe d’amis épris de littérature et d’écriture. « Avec l’un d’eux, nous échangions nos textes. Lui écrivait en vers rimés, moi, plutôt en prose et en vers « libres ». Le samedi, nous allions dans une annexe du Ministère du Temps libre (qui avait été créé par le premier gouvernement Mauroy en 1981), à Lille, où travaillait sa sœur. Il y avait une photocopieuse et un massicot, juste ce qu’il nous fallait pour composer de petits recueils, reliés au moyen d’agrafes, qu’on allait vendre ensuite juste à côté, sur la Place de Gaulle. » Un goût pour l’édition qui ne devait plus le quitter. Avec son comparse, il coéditera un recueil de nouvelles fantastiques. « Un genre que j’appréciais particulièrement. » Et le même d’égrener la liste de ses auteurs préférés : Richard Matheson, Kurt Vonnegut, van Vogt, Philip K. Dick. « J’avais été particulièrement marqué par la lecture du Journal d’un monstre de Matheson » (auquel on doit aussi, précise-t-il, L’Homme qui rétrécit ou encore le scénario de Duel, le premier long métrage de Steven Spielberg).
Des goûts éclectiques
Tout en rappelant que le Journal met en scène un monstre enfermé dans un cave, Jacques Fournier perçoit la question qui nous trotte dans la tête – y aurait-il une ressemblance fortuite avec sa propre enfance ? « Rien à voir bien évidemment avec ce que j’ai vécu dans ma propre famille. En revanche, j’ai parfois eu le sentiment d’avoir été le vilain petit canard de la portée. Dès l’âge de 8 ans, je portais des lunettes et j’étais plongé dans mes bouquins. Aux yeux de mes parents comme de mes frères et de ma sœur, je passais pour un intello. » Mais que leur inspiraient ses écrits ? « Ils n’opposèrent que de l’indifférence, voire un peu de gêne. Ils n’en comprenaient tout simplement pas l’utilité. J’avais beau afficher mes poèmes dans ma chambre, jamais ils ne se sont posés de la question de savoir d’où cela pouvait bien venir. »
Il n’en continuera pas moins à écrire et même à publier dans des revues reconnues, comme les Cahiers Froissart, créée par Jean Dauby, dans le Nord. Jusqu’à ce que l’arrivée de ses propres enfants – il en aura quatre – ne le détourne un temps de l’écriture. D’autant qu’en parallèle à son métier d’instituteur, il multiplie les activités d’animation.
En 88, la rencontre avec un autre professeur de lettres l’amènera à reprendre la plume. Un certain Pierre Herlant, amateur de poésie aussi bien que passionné de jazz. « Il assurait l’animation d’un de ces stages longs comme l’Education nationale permettait d’en faire. » Le sien portait sur le thème « Danse et littérature ». Il devait avoir bien plus de conséquences que le seul retour à l’écriture. « Nous avions écrit puis monté un spectacle mêlant danse contemporaine et poésie. Une expérience qui m’avait énormément plu. »
Deux ans plus tard, Jacques crée sa première maison d’édition : « l’épi de seigle ». Pourquoi ce nom ? A l’époque, le « ch’ti » d’adoption né en Bretagne habitait en Alsace, dans le village de Roggenhouse, qui, en alsacien, signifie… la grange à seigle. Jacques y éditera la première revue de poésie pour la jeunesse en forme d’affiches à poèmes : décol’.
Cette activité d’édition, ajoutée à la participation à des festivals et salons littéraires, lui permet de tisser des liens privilégiés avec de nombreux poètes, devenus depuis des « amis ». Loin de lui l’idée de créer une école littéraire comme il a pu y en avoir par le passé. « Avec d’autres revues et maisons d’édition, nous formions juste un réseau sur la base d’affinités particulières, sans exclusives.»
Un état d’esprit qu’il conservera plus tard dans son animation de la Maison de la Poésie, dont il prend la direction en février 2002. « Je mets un point d’honneur à l’ouvrir aussi large que possible y compris à des poètes dont je ne suis pas particulièrement fan, tout en veillant pour autant à ne pas tomber dans la facilité. »
Mais ne brûlons pas les étapes. Il y a aura encore d’ici-là des années d’enseignement, propices à faire connaître la poésie en primaire. « Etant remplaçant en ZIL (zone d’intervention limitée), j’ai pu intervenir dans beaucoup de classes, auprès d’élèves très différents, de tous les niveaux. Je venais toujours avec des sacs pleins de recueils de poèmes dans lesquels je puisais pour leur en lire à haute voix.» Qui sait s’il n’a pas ainsi transmis le goût de la poésie sinon de la littérature à quelques-uns de ses élèves ?
Cherche directeur pour une Maison de la Poésie
Toujours est-il que le caractère routinier du métier d’instituteur, qu’il aura exercé vingt ans durant, finira par lui peser. Au début des années 2000, il commence à réfléchir à un autre poste, dans le domaine de la culture. « Le déclic est venu en 2001 de la lecture d’une petite annonce dans Télérama : une collectivité recherchait un directeur pour la Maison de la Poésie qu’elle allait créer. » La collectivité en question, on s’en doute, n’est autre que Saint-Quentin-en-Yvelines. S’il ne s’y était jamais rendu auparavant, en revanche, il en connaissait l’un des acteurs politiques, Roland Nadaus, ancien maire de Guyancourt et président du Syndicat d’Agglomération Nouvelle (SAN) de Saint-Quentin-en-Yvelines… et poète, à l’initiative de cette Maison. « J’avais publié quelques-uns de ses poèmes dans une de mes revues ! ».
Sauf qu’il n’est pas le seul à candidater. En Novembre 2001, il passe un deuxième entretien, avec deux autres candidats en lice. « L’une venait du monde du spectacle et avait l’expérience de la lecture de textes devant un public et de la scène, mais ne connaissait pas le monde de l’édition. L’autre, au contraire en était issu, mais n’avait pas l’expérience du spectacle. » Jacques avait pour lui d’avoir roulé sa bosse dans tout l’univers de la poésie : de l’édition – en une dizaine d’années, il a publié pas moins d’une soixantaine de recueils, et animé deux revues de poésie – aux salons – comme organisateur ou exposant – en passant par la programmation artistique – dès 1997, il organise, avec sa compagne d’alors, des rencontres sur scène entre un poète et un plasticien, à raison d’une fois par mois et un festival qui connut deux éditions dans le Nord.
Malgré l’évidence de son recrutement, il s’en fallut de peu que celui-ci ne puisse se faire. « L’Inspection Académique du Nord rechignait à me voir partir avant la fin de l’année scolaire. » Il faudra une démarche auprès du Ministre de l’Éducation nationale de l’époque – Jack Lang – pour débloquer la situation !
Sa mise en disponibilité obtenue, tout restait à faire : « La Maison de la Poésie ouvrait tout juste. Les locaux, qu’elle occupe toujours aujourd’hui, étaient encore vides. Les premiers temps, j’ai dû m’installer dans la médiathèque d’à côté. » Il devra apprendre sur le tas à gérer un équipement culturel et, ajoute-t-il, avec un peu de malice « me familiariser avec la fonction publique territoriale ».
Les premières années, Jacques Fournier s’investit comme il l’a toujours fait dans ce qu’il entreprend, c’est-à-dire corps et âmes, en n’hésitant pas à y passer des week-ends entiers, pour préparer sa programmation. « Depuis, j’ai appris à lever le pied. » « J’ai la chance, ajoute-t-il, de pouvoir m’appuyer sur une équipe de permanents efficaces. Avec l’expérience, je sais désormais ce qui est possible de faire ou pas dans les limites budgétaires et techniques imparties ».
Mais comment passe-t-on du statut d’animateur associatif à celui de responsable d’une institution publique ? « C’est vrai qu’en tant que fonctionnaire, j’ai au-dessus de moi une autorité qu’il me faut respecter. » Ce qu’il fait de bonne grâce. Mais, ajoute-t-il, en veillant à ce qu’on respecte sa propre fonction. Qui en l’occurrence n’est pas de se laisser dicter ce qu’il doit faire, mais de prendre en considération le territoire, dans la diversité de sa population et de ses problématiques.
Suite de la rencontre avec Jacques Fournier à travers l’entretien qu’il nous a accordé (pour y accéder, cliquer ici).
Légendes des photos : Jacques Fournier (en illustration de cet article) ; « Les arbres prennent des couleurs », parcours dans les arbres, dans la base régionale de loisirs de SQY, le 1er juin 2013 (photo figurant dans le carrousel du site ; crédit : Christian Lauté).
Journaliste
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