La Batterie de la Pointe, un patrimoine palaisien à (re) découvrir.
Le sait-on ? La commune de Palaiseau fut un des maillons du réseau de fortifications conçu au lendemain de la défaite de 1871. En plus d’un fort, elle abritait deux batteries, dont celle de la Pointe. Visite des lieux avec l’association qui s’emploie à lui donner une seconde vie, avec le concours d’un chantier d’insertion.
Ceux qui ont connu l’endroit à l’état de friche dans lequel il se trouvait encore il y a quelques années, ne peuvent qu’être impressionnés par sa métamorphose. La végétation luxuriante ne laissait rien deviner de sa vocation première et des activités qui s’y sont succédé. Aujourd’hui, on peut enfin voir les magnifiques enceintes en meulière d’un ancien… site militaire. Le visiteur n’est pas au bout de ses surprises : outre le casernement, qui surplombe le terrain, il peut découvrir la galerie de contrescarpe, déployée sur plus de 2 500 m2, les traverses, les coffres flanquants, en parfait état, hormis quelques margelles, soulevées par des racines, et le pont d’accès… Bienvenue à l’emplacement de l’une des deux batteries du Fort de Palaiseau, un vestige d’une histoire qui débute près d’un siècle et demi plus tôt.
Flash back. Nous sommes en 1871 : la France vient de subir une cuisante défaite se soldant non seulement par la perte de l’Alsace et la Lorraine, mais aussi l’occupation de Paris. Durant des années, c’est le branle-bas de combat pour éviter que l’histoire ne se reproduise. Le général Séré de Rivières, Polytechnicien de son état, se voit confier la mission d’entourer notamment Paris d’un deuxième système de fortifications. « Le plus ambitieux projet depuis celles de Vauban, qui n’avait lui-même jamais protégé autant la capitale », précise Pierre Baratault, de l’association A la Découverte du Plateau de Palaiseau, qui a entrepris la réhabilitation du site.
Il en résultera un réseau de forts, doublés de batteries, le tout disposé à intervalles réguliers de quelques km pour permettre une protection mutuelle, et qui passait donc notamment par Palaiseau. La ville comptera ainsi près de 150 soldats et vivra au rythme des constructions, qui courront de 1874 à 1884. La Batterie de la Pointe, aménagée sur un espace boisé de 5 ha, sera équipée d’une douzaine de canons et de plus de 2 500 m2e de constructions souterraines pour la protéger contre d’éventuelles intrusions de l’assaillant. « A chaque site, relève Pierre Baratault, ses ressources propres : au Nord, la brique, ailleurs le calcaire. Ici, de la meulière. » Du plus bel effet, malgré les graffitis qui entachent les murs ici et là.
Aujourd’hui, on peine à mesurer l’intérêt stratégique de l’emplacement, car les arbres obstruent la vue sur la vallée. Mais il suffit de descendre un peu pour comprendre le choix de cet emplacement : située à l’entrée de la vallée de Chevreuse, la batterie disposait d’une vue imprenable. Ses canons étaient disposés sur les parties supérieures, à l’air libre. Nouvelle explication de Pierre Baratault, décidément incollable sur le sujet : « ces canons utilisaient de la poudre noire qui dégageait des nuages de fumée ». Une nouvelle génération d’obus, apparue dès 1885, eut finalement raison de ce système de fortifications : à la différence des précédents, ils explosaient après avoir percé les murs (d’où leur nom : obus « torpille »…). La batterie de la Pointe résistera encore un temps malgré ses maçonneries protégées par de simples couches de terre. Elle abritera des casernements jusqu’à la Seconde Guerre mondiale puis, durant celle-ci,… des troupes allemandes qui avaient bien saisi l’intérêt stratégique du site.
En 1947, les constructions seront mises à la disposition d’organismes de recherche : à l’Onera (Office National d’Etudes et de Recherches Aéronautiques puis Aérospatiales) le Fort de Palaiseau tandis que le CNET (Centre National d’Etudes des Télécommunications) héritera de la batterie de la Pointe, jusqu’à son départ en 1969 pour Lannion (la seconde batterie, de l’Yvette, accueillant, elle, l’Ensta – Ecole nationale Supérieure des Techniques Avancées, à partir de 1972). Pour répondre aux besoins spécifiques des équipes de recherche, les casernements seront réaménagés et rehaussés par d’autres locaux. L’ancienne citerne sera transformée en… chambre sourde pour les études en acoustique. Clin d’œil de l’histoire : le CNET sera invité à libérer le site au profit des services du génie militaire en charge de la mise en chantier de l’actuelle École polytechnique, avant qu’il ne soit ensuite laissé à l’abandon.
Début d’une seconde vie
Racheté en 1999 par la Commune de Palaiseau, puis classé « espace naturel sensible », (ce qui impose notamment une utilisation d’intérêt collectif), il reprend vie depuis quelques années. D’abord à travers des chantiers de jeunesse internationaux puis, depuis 2009, d’un chantier d’insertion soutenu par l’association par l’ADPP. Comme l’explique Renaud Fauchon, encadrant du chantier, en charge des espaces verts, la présence du chantier permet d’assurer un entretien régulier. C’est que la végétation a vite fait de reprendre ses droits, non sans dégrader la maçonnerie. En témoignent des margelles mises au jour, soulevées sous la pression de racines. « Il y a encore quelques mois, témoigne Anick Mellina, membre active de l’ADPP, il n’était pas facile de se déplacer, tant la végétation était foisonnante ». Aujourd’hui, on se déplace sans encombres sur les 5 ha du site.
Le chantier accueille 12 salariés, d’entre 22 et 55 ans, tous titulaires du RSA, et ce pendant un an non renouvelable. Une période durant laquelle ils ne chôment pas : à raison de 26 h par semaine, ils alternent, en plus d’un suivi avec la mission locale de Pôle emploi, cours théoriques et travaux pratiques en entretien d’espaces verts, donc, mais aussi en maçonnerie, en électricité, en ferronnerie ainsi qu’en menuiserie. Autant de métiers utiles à la réhabilitation du site.
En plus de Renaud Fauchon, le chantier mobilise un deuxième encadrant : Jean Diplomat, responsable « Technique Bâtiment ». A voir les personnes affairées en cette matinée de la mi-octobre, qui dans l’entretien des espaces verts, qui dans les travaux de maçonnerie ou de menuiserie, elles se sont appropriées le projet et semblent même fières de l’intérêt croissant qu’il suscite à l’extérieur. Même le plus âgé, venu « arraché ses derniers mois de cotisation à la retraite », s’applique dans un travail de maçonnerie : la reconstitution de l’entrée d’une salle, à son emplacement initial.
Pour remettre en l’état les bâtiments aussi fidèlement que possible, l’équipe du chantier suit les instructions de l’ADPP, validées préalablement par les Architectes des bâtiments de France. Non sans une certaine fierté, Pierre Baratault relève que toutes ses propositions, formulées à partir d’un travail sur les archives disponibles (en l’occurrence, le plan du site, des cartes postales sans compter la littérature savante) ont été acceptées. « La seule recommandation que les architectes ont jugé utile de faire a porté sur les peintures des menuiseries d’origine. » Concernant l’éclairage à adapter aux normes actuelles, pas d’iquiétude : l’association a prévu un système suffisamment discret.
En quelques mois, un titanesque travail de nettoiement du vaste système de galerie l’a rendu visitable. A terme, il est question d’aménager une salle de formation pour les besoins du chantier. A cette fin, il est envisagé de réinstaller une porte sur le modèle initial. Reste à savoir à quoi elle pouvait bien ressembler. Pierre Baratault n’est pas inquiet. « Nous avons des photos d’époque ». En parallèle, des salariés en sont déjà à concevoir du mobilier avec du bois de récupération. Quant à la réhabilitation de la chambre sourde, encore encombrée de matériaux d’isolation, « il faudra, explique-t-il encore patienter le temps de connaître la nature exacte de ces matériaux »…
Pour le financement de tous ces travaux, l’association bénéficie de la générosité d’un donateur palaisien (le fondateur de Bruneau, une société de vente de matériels de bureau) et de la Fondation de France. En plus d’une subvention, celle-ci va prendre en charge le lancement d’une souscription. Le CNET ayant occupé le site, Pierre Baratault se prend à rêver d’un soutien de l’Institut Mines-Télécom, appelé à rejoindre dans quelques années le Plateau de Saclay avec deux de ses écoles.
Parmi les priorités : la réhabilitation du pont d’accès, ne serait-ce que pour évacuer les déblais de démolition qui, pour l’heure, s’amoncellent dans la cour. En piteux état, il est inutilisable. Pour accéder au site, on doit emprunter un escalier métallique provisoire. Autre priorité : la sécurisation du site contre… le vandalisme. Le chantier a eu en effet à déplorer l’incendie d’une bétonnière et même d’une ruche… Parmi les solutions envisagées, l’ADPP songe à accueillir des bénéficiaires de Solidarités nouvelles pour le logement. « Cela permettrait d’assurer une présence permanente sur le site » explique Anick Mellina. Un projet architectural avec toit végétalisé est déjà dans les cartons. Bref, ce n’est pas les idées qui manquent, ni les besoins d’aides et de soutiens. Sans attendre, le site est ouvert au public, à l’occasion des Journées du Patrimoine et du Printemps de l’environnement. Outre des éléments du casernement, les visiteurs peuvent découvrir la magnifique galerie souterraine qui témoigne de la dimension esthétique à laquelle pouvait confiner le génie militaire !
Pour aller plus loin : « Parcours découverte de l’histoire du plateau », la plaquette (en cours d’actualisation) établie par l’ADPP (plusieurs pages documentées et illustrées sont consacrées à la batterie ainsi qu’au fort de Palaiseau). Pour se la procurer, se rendre sur le site en cliquant ici.
Journaliste
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