Inventer la smart city en partant des besoins du quotidien.
Suite de nos échos à la 6e édition des Smart Days, qui se déroulaient le 3 décembre 2019 à Versailles, à travers le témoignage de Jakob Puchinger, chercheur de l’IRT SystemX et professeur à CentraleSupélec, par ailleurs titulaire de la chaire Anthropolis, qui a vocation à définir de nouveaux usages dans la mobilité urbaine de demain, à travers des éco-innovations.
– Si vous pouviez, pour commencer, nous parler de la chaire Anthropolis ?
Cette chaire, qui a été créée en 2015 par l’IRT SystemX et CentraleSupélec, s’intéresse aux éco-innovations dans le domaine des mobilités urbaines. Elle se centre sur l’usager pour en observer les pratiques, les usages, les comportements. Au sein de cette chaire, nous prenons soin aussi de comprendre les problèmes posés par les technologies proposées, leurs limites au regard des réels besoins des individus. Par exemple, au cours de la saison I, qui vient de se terminer en juin dernier, la chaire a financé et opéré une thèse en Sciences et technologies industrielles, soutenue par Ouail Al Maghraoui, qui a développé une méthode visant, justement, à détecter les problèmes que peuvent rencontrer les personnes dans leurs mobilités quotidiennes.
– En dehors de l’activité de recherche au travers de thèses, quelles sont les autres modalités de production de connaissances et d’innovations de votre chaire ?
En général, la vocation d’une chaire consiste essentiellement en cette activité de recherche doctorale. Mais au sein d’Anthropolis, nous nous inscrivons également dans une logique de projets. Avec des étudiants de CentraleSupélec, par exemple, nous en menons chaque année sur des enjeux de conception. Avec nos partenaires industriels, nous organisons par ailleurs des workshops pour imaginer de nouveaux services, en partant des cas d’usages qu’ils nous proposent. Toujours dans le cadre de ces workshops, nous avons développé une méthode de prospective dite « personarrative », consistant à scénariser le futur à travers le récit de personas. Nous l’avons fait jusqu’à présent avec des experts, mais au cours de la seconde saison, nous comptons bien le faire avec des usagers, en territorialisant les récits, c’est-à-dire en partant de leur expérience concrète des mobilités sur leur territoire de vie. En attendant, vos lecteurs peuvent découvrir les récits réalisés au cours de la première saison, dans un livret téléchargeable sur notre site [pour y accéder, cliquer ici].
– L’entretien se déroule à l’occasion des Smart Days, consacrés cette année à la smart city, vaste sujet s’il en est, sur lequel vous êtes intervenu au titre de grand témoin. Là où d’aucuns peuvent en avoir une approche techno, numérique, vous, vous insistez sur la nécessité de partir des usages…
En effet, j’ai voulu saisir l’occasion de ce keynote pour alerter sur le fait qu’il importait de ne pas entrer trop précipitamment dans une logique techno push, autrement dit, de chercher à imaginer des technos qu’on imposera ensuite au prétexte qu’elles seraient innovantes, smart ou qu’elles permettraient de collecter des données dans l’intérêt de plateformes numériques. Il s’agit bien de partir d’abord des problématiques, des besoins tels qu’ils s’expriment dans les territoires, dans le quotidien des gens, et de voir comment les résoudre, grâce à de nouvelles solutions technologiques, mais pas seulement : l’innovation peut aussi passer par l’adoption de nouvelles formes d’organisation. Parfois, cela peut même suffire. Voyez le télétravail, dont il a été souvent question au cours de cette matinée, que ce soit à travers l’intervention d’Alexandra Dublanche, la vice-présidente de la Région Ile-de-France, ou les témoignages des intervenants de la table ronde consacrée aux mobilités. Le recours au télétravail peut suffire à améliorer la circulation, à certaines heures. Certes, il suppose aussi de disposer de technologies de télécommunication, mais celles-ci ne sont plus à considérer comme une fin en soi, mais un moyen.
– A vous entendre, l’innovation est donc aussi et peut-être d’abord une affaire de management…
Exactement. Une affaire de management, mais aussi de gouvernance, de régulation… De ce point de vue, des solutions, pour paraître intéressantes, n’en soulèvent pas moins des questions quant à leur pertinence ou à leur capacité d’aller au bout du raisonnement. Je pense à Park’In Saclay, cette application dont il a été question au cours d’une table ronde et qui permet de trouver plus facilement une place de stationnement, dans un parking public ou privé [pour en savoir plus, cliquer ici]. C’est indéniablement une piste très intéressante. Mais nous ne saurions nous en tenir à elle, car si elle peut améliorer la vie de certains, elle ne répond pas aux problématiques de ceux qui ne disposent pas de voiture et qui en sont réduits à se serrer comme des sardines dans les bus, le matin et le soir, faute de fréquences de passage suffisantes. Il importe, donc, d’améliorer les transports en commun, de façon à réduire les flux de voitures et, donc, le besoin de places de stationnement. Les collectivités locales s’y emploient, sans attendre l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express. Ce dont on ne peut que se féliciter.
– A propos de Paris-Saclay, en quoi cet écosystème vous paraît-il néanmoins propice au développement d’une smart city au sens où vous l’envisagez ?
Il va sans dire que cet écosystème est riche d’opportunités en termes de collaborations et de partenariats, y compris avec des collectivités locales. Nous travaillons d’ailleurs étroitement avec la Communauté Paris-Saclay, qui va nous rejoindre comme partenaire dans la prochaine saison de la chaire Anthropolis. Ensemble, nous allons observer les mobilités à l’œuvre sur le territoire pour identifier des solutions pour les usagers, qui chaque jour, rencontrent des difficultés pour aller et venir sur le Plateau de Saclay, mais aussi pour s’y déplacer au cours de la journée. Une problématique que je connais bien en tant que chercheur : l’IRT SystemX dispose de deux sites, situés de part et d’autre de la N 118, à une bonne demi-heure à pied l’un de l’autre. Certes, ils sont desservis par une même ligne de bus, mais au cours de la journée, il peut arriver de devoir attendre une vingtaine de minutes. Pas facile quand, comme moi, on enchaîne des réunions. Résultat : les fois où j’en ai plusieurs à différents endroits, au cours d’une même journée, j’en suis réduit à utiliser ma voiture… Il y a donc à réfléchir à des solutions, qui vont au-delà de la mobilité douce – le vélo, c’est bien pour se déplacer sur le plateau, mais pas quand il pleut ou qu’il neige… Je pense en particulier aux navettes autonomes, qui font d’ailleurs l’objet d’expérimentations pour le desservir depuis la gare Massy-Palaiseau du RER. Etant entendu que, quelle que soit la solution à laquelle on pense, il faut veiller à l’articuler à d’autres modes de transport ou de déplacement, y compris publics. Il ne s’agit pas de s’en remettre à la seule voiture autonome, mais de privilégier des transports mutualisés, à la demande.
– Manière de dire qu’à chaque contexte, sa smart city et ses solutions de mobilités…
Exactement. Et c’est en cela que c’est passionnant et que nous nous retrouvons bien dans une démarche comme MoveInSaclay, qui consiste à proposer une solution de plateforme générique, mais déclinée sur les territoires en fonction de leurs besoins et des données mises à disposition par leurs acteurs respectifs [pour en savoir plus, cliquer ici].
A lire aussi l’entretien avec Gérard Bachelier, président de la CCI Versailles-Yvelines (pour y accéder, cliquer ici).
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