Entretien avec Rémi Carminati, directeur général de l'IOGS
De l’IOGS, nous donnons régulièrement des nouvelles à travers l’actualité du 503, son centre entrepreneurial, et sa Filière Innovation Entrepreneur.e.s. Mais l’IOGS est bien plus que cela : une grande écoles d’ingénieur engagée dès le début dans le projet de l’Université Paris-Saclay, et un réseau comptant deux autres campus en France, à Bordeaux et Saint-Étienne. En fonction depuis juin 2022, son directeur général nous en dit plus, y compris sur ce qui l’a prédisposé à prendre les rênes de cet établissement d’enseignement supérieur à l’histoire plus que centenaire…
- Pouvez-vous, pour commencer, donner des nouvelles de l’IOGS ?
Rémi Carminati : D’autant plus volontiers qu’elles sont très bonnes ! De fait, depuis quelques années déjà, nous sommes sur une belle dynamique. En octobre dernier, nous inaugurions le nouveau bâtiment 503 et ses 9 000 mètres carrés. Un événement phare, s’il en est, où l’État était représenté au plus haut niveau, par Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence Artificielle et du Numérique. Étaient également présentes les collectivités territoriales, dont la Région Île-de-France, représentée par sa présidente, Valérie Pécresse. Depuis, le 503 a accueilli plusieurs événements, en lien, bien sûr, avec la filière photonique : le pôle Systematic y a organisé son événement annuel ; l’association des Alumni de Sup’Optique y a tenu son AG. L’ambition est d’en faire aussi un lieu de rencontre, ouvert sur l’extérieur. Pour autant, nous ne perdons pas de vue la singularité de ce lieu qui incarne le positionnement original de l’école, qui a toujours été le sien, entre la formation d’ingénieur, la recherche, y compris fondamentale, enfin, le transfert technologique et l’innovation.
Je précise que ces trois axes sont écrits noir sur blanc dans le texte de loi de 1920 définissant nos statuts. C’est dire si Charles Fabry, son premier directeur général, était visionnaire. Son ambition est toujours inscrite dans les gênes de l’IOGS : elle est encore d’adapter la formation pour répondre aux exigences de la filière photonique, en adossant cette formation à la recherche en train de se faire, aux technologies les plus avancées.
Quant au 3e axe, le transfert technologique, il reste plus que jamais d’actualité : nous accompagnons les entreprises de la filière en formant les ingénieurs dont elles ont besoin, mais aussi en leur permettant d’accéder aux technologies que nous concevons. Ce qui passe notamment par la création d’entreprises innovantes, dans le cadre de la Filière Innovation Entrepreneur.e.s (FIE), qui repose elle-même sur un mélange subtil entre formation d’ingénieur et entrepreneuriat innovant.
Ces trois axes se combinent pour entretenir une effervescence particulière, qui rend la dynamique de l’IOGS d’autant plus stimulante.
- Je ne résiste pas à l’envie de rebondir sur l’évocation de ces statuts remontant à plus de cent ans, car j’y vois l’occasion de rappeler que la grande force de la plupart des grandes écoles à la française réside probablement dans le fait de s’inscrire dans une longue histoire, ce qui constitue en soi un capital a même d’expliquer leur capacité à traverser le temps…
R.C. : C’est important de pointer cette réalité-là. Personnellement, je suis convaincu que lorsqu’une grande école s’éloigne de ses racines – et cela vaut probablement pour n’importe quelle autre institution -, elle s’expose à perdre les forces nécessaires à se projeter encore durablement dans l’avenir. Pour ma part, je suis très sensible à l’histoire, à la mémoire des lieux, de ceux aussi qui les ont créés. De sorte que lorsque la perspective de devenir DG de l’IOGS s’est présentée, je me suis aussitôt replongé dans des écrits de Charles Fabry. On comprend mieux la vision qui a été la sienne au sortir de la Première Guerre mondiale. Elle est d’autant plus remarquable qu’elle reste d’une modernité incroyable, même plus d’un siècle après. Certes, le vocabulaire peut paraître désuet. Charles Fabry ne parle pas de « transfert technologique », mais c’est bien dans cette logique, entre autres, qu’il s’inscrit. Lui et les autres fondateurs avaient déjà l’ambition d’aider l’industrie photonique – à l’époque, on parlait d’optique – en créant un institut pour former les ingénieurs spécialisés, mais assez agile pour s’adapter à l’évolution de ses besoins. Agilité dont Charles Fabry et ses collègues ne pensaient pas capable l’université d’alors faute de relations de proximité entre elle et l’industrie. Ils créèrent donc un institut de toutes pièces, de droit privé, en parvenant néanmoins à le faire reconnaître très vite d’utilité publique, et l’adossèrent à ce qui se faisait de meilleur dans la recherche – ils signèrent une convention avec l’Université de Paris, qui est toujours d’actualité puisqu’elle stipule que les enseignants-chercheurs du nouvel établissement doivent être des universitaires – maîtres de conférences ou professeurs -, ce qui est toujours le cas, à ceci près qu’ils le sont désormais de l’Université Paris-Saclay. Ce qui, bien sûr, ne nous empêche pas de solliciter des intervenants extérieurs, y compris des experts de l’industrie. Car nous avons conservé dans nos gênes cette autre ambition d’être au service du monde socioéconomique et, plus globalement, de la société. Un modèle vertueux qui a fait la preuve de son efficacité et dont nous ne voyons donc pas l’intérêt de nous écarter.
- Entretemps, l’école a changé de « biotope » : installée à ses débuts à Paris, elle est désormais implantée dans l’écosystème de Paris-Saclay en plus de disposer de deux autres campus en région, à Bordeaux et Saint-Étienne. Nous y reviendrons. Auparavant, revenons sur une autre des bonnes nouvelles qui ont fait votre actualité : la remise, en 2022, du prix Nobel de Physique à l’un de vos chercheurs, Alain Aspect !
R.C. : J’allais bien évidemment y venir ! Car, c’est vrai, nous avons également eu cette chance qu’en 2022, quelques mois après ma prise de fonction – mais sans qu’il y ait de lien de cause à effet entre les deux [rire] -, le prix Nobel ait été décerné à Alain – enfin ! Serais-je tenté d’ajouter, car l’Institut d’Optique, et bien au-delà, le monde de la physique quantique attendaient de longue date cette consécration. Un événement on ne peut plus marquant : plusieurs années après, nous continuons à surfer sur la vague. Il aura permis de donner un coup de projecteur sur la filière photonique, nos enseignants-chercheurs, et nos élèves ingénieurs. Notre dynamique s’en est trouvée tout naturellement renforcée. Notre chance est d’autant plus grande qu’Alain lui-même est convaincu des vertus de notre modèle, à commencer par ses relations privilégiées avec l’université.
Permettez-moi d’ailleurs d’insister sur ce point : l’Institut d’Optique est une des rares écoles d’ingénieur françaises à avoir été mariée dès sa création à l’université. Une exception – en tout cas, je n’ai pas d’autres exemples qui me viennent à l’esprit -dans le paysage français de l’enseignement supérieur et de la recherche, longtemps marqué par le clivage entre les grandes écoles d’ingénieur et l’université. Les fondateurs avaient bien perçu l’importance de pouvoir mener à bien de la recherche fondamentale en plus de la recherche appliquée. Le résultat, c’est un modèle hybride, qui annonçait déjà en somme celui de l’Université Paris-Saclay et de manière générale des nouvelles universités nées de l’opération Campus [lancée en 2008, par Valérie Pécresse, alors ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur]. Dans le cas de l’IOGS, participer au projet de l’Université Paris-Saclay s’inscrivait dans la continuité de ce que l’école avait connu à ses débuts. D’ailleurs, la perspective de se marier à l’Université Paris-Saclay n’occasionna aucun traumatisme, au contraire ! Elle a été vécue comme un retour aux sources.
- Encore un mot sur Alain Aspect que vos élèves ingénieurs peuvent côtoyer aussi bien sur le site de Palaiseau qu’au 503, à Orsay, où il avait réalisé voici plus de quarante ans, au début des années 1980, les expériences qui lui ont valu le prix Nobel de physique. On imagine à quel point cela doit rendre l’environnement particulièrement stimulant. Mais vos élèves, et vous-même, en avez-vous conscience ou est-ce après tout un quotidien dont vous avez juste pris l’habitude ?
R.C. : Non, non, nous mesurons notre chance ! L’effet est d’autant plus notable que l’IOGS reste un établissement modeste de par ses effectifs – en tout et pour tout 450 élèves ingénieurs, répartis de surcroît sur trois sites, celui de Palaiseau et ceux de Bordeaux et de Saint-Étienne – et environ 250 personnes – le personnel des laboratoires et des fonctions support. Soit 700 personnes au total, ce qui me fait dire que l’IOGS est une sorte de grosse PME, avec un esprit maison qui incline au décloisonnement des différentes entités, à une culture de la proximité, des interactions informelles. Nos étudiants croisent ainsi non seulement les chercheurs de nos laboratoires communs, et des partenaires industriels – a fortiori au 503 où ils peuvent aussi croiser des startuppeurs, dont beaucoup sont d’anciens élèves de l’IOGS. Ajoutez à cela la personnalité d’Alain Aspect qui est lui-même friand de ses relations directes ; il prend à l’évidence du plaisir à être dans la transmission non seulement de son savoir, mais aussi de son expérience dans la recherche fondamentale. Il est évident que pour les élèves, le simple fait de pouvoir le croiser donne envie de marcher sur ses pas, en plus d’être un motif de fierté. Voici deux anecdotes significatives à cet égard. La première renvoie à quelques semaines après l’annonce du prix Nobel, en octobre 2022. Nous avions reçu la visite de la Première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, venue avec une délégation de ministres et d’élus locaux ; nous avions fait en sorte qu’elle puisse rencontrer des étudiants et échanger avec eux à bâtons rompus, ce qu’elle a pris le temps de faire. Bien évidemment, Alain Aspect était là. Une fois la rencontre terminée, des étudiants m’ont confié avoir réalisé à cette occasion à quel point le lieu où ils étudiaient était exceptionnel. Bref, ils en étaient tout simplement fiers.
La deuxième anecdote nous ramène au 8 juin de l’année suivante, en 2023, donc. Ce jour là, nous avions organisé une journée scientifique en l’honneur de notre prix Nobel, Alain Aspect : quatre autres lauréats avaient été réunis à cette occasion. La journée était à l’image de l’Institut : d’une grande densité au plan scientifique, tout en restant ouverte : pour les besoins du repas, nous avions organisé un buffet, de sorte que les étudiants, ainsi que le personnel administratif, pouvaient côtoyer les participants, y compris les prix Nobel. Nous sommes bien dans cet esprit maison que j’évoquais : nous sommes fiers de ce que nous sommes, d’être au top de la recherche, pour autant, nous n’en restons pas moins dans une forme de simplicité.
- Un « esprit maison », qui ne vous empêche pas de vous inscrire pleinement dans l’Université Paris-Saclay. Dans quelle mesure cette inscription sert-elle votre projet, conforte la dynamique que vous avez évoquée ?
R.C. : Notre inscription dans l’Université Paris-Saclay conforte notre modèle tout en l’amplifiant. Nous-mêmes jouons le jeu en nous employant, ainsi que je l’ai dit, à faire du 503 un lieu ouvert, avec l’ambition d’y accueillir d’autres publics que ceux en formation à l’Institut d’Optique, en y organisant de l’événementiel. Nous travaillons pour cela avec l’Université Paris-Saclay.
Au-delà, nous prenons part à de nouvelles initiatives, comme ce Pôle universitaire d’innovation (PUI), dont nous sommes membres fondateurs, et qui est appelé à faire plus que de la coordination : il vise à accélérer les dynamiques territoriales d’innovation, à travers quatre axes d’action dont l’acculturation et la sensibilisation à l’entrepreneuriat – axe dans lequel nous nous sommes investis au titre de la culture développée en la matière dans le cadre du 503.
Pour la première fois dans l’histoire de l’institut nous participons par ailleurs à la conception d’un continuum de formation en entrepreneuriat innovant avec l’Université Paris-Saclay, avec donc, en plus de nos élèves ingénieurs, les étudiants en master et doctorat, et ceux de l’IUT d’Orsay avec lequel nous travaillons sur les maquettes de formations plus techniques. Naturellement, si cela permet de toucher un public encore plus large que celui, classique, de nos élèves ingénieurs, nous ne demandons qu’à travailler avec d’autres établissements d’enseignement supérieur.
La poursuite de cette hybridation avec l’Université Paris-Saclay est d’autant plus intéressante qu’elle nous ouvre des portes, nous donne des moyens supplémentaires. Concrètement, le pôle dont je viens de parler nous permet d’aller chercher des financements auxquels nous n’aurions pu prétendre seuls.
De manière générale, notre inscription dans l’université Paris-Saclay nous permet de répondre à des appels à projets comme ceux lancés notamment par le Secrétariat général pour l’investissement – par exemple, ce projet de continuum de formation en photonique, qui va du bac pro jusqu’au doctorat, dans une logique entrepreneuriale. Nous l’avons monté, outre l’Université Paris-Saclay, avec un partenaire, iXcampus, implanté à Saint-Germain-en-Laye et chef de file du projet. Avec lui, nous sommes allés chercher de l’argent auprès du dispositif « Compétences et métiers d’avenir » de France 2030 Ce que nous n’aurions pas pu faire seuls. En cela, notre inscription dans l’Université Paris-Saclay produit un effet de levier.
- À vous entendre, on comprend que l’IOGS n’est pas en train de s’y dissoudre…
R.C. : Non et ce, d’autant moins que sur le plan institutionnel, l’IOGS continue à exister en tant que tel. Nous sommes engagés dans un projet commun et des actions qui nous renforcent mutuellement. Désormais, un tiers de nos élèves ingénieurs poursuivent en doctorat. Le fait de pouvoir le faire dans une université qui rayonne au plus haut niveau international ne peut être qu’un plus. Au sein de cette même université, nous portons notamment l’Institut des sciences de la lumière qui fédère l’ensemble des chercheurs, des étudiants, des laboratoires et des plateformes technologiques en photonique. Il n’y a tout simplement pas d’équivalent dans le monde.
- Un potentiel qui existait déjà, avant la création de l’Université Paris-Saclay, mais que vous n’étiez pas en mesure de visibiliser jusqu’alors…
R.C. : En effet. Non seulement l’Université Paris-Saclay aura permis, par la création de cet institut, de rendre la photonique encore plus visible, de surcroît à l’international, mais encore, elle aura permet de nous faire gagner en attractivité. De manière plus générale, nous bénéficions de la possibilité d’associer la marque de l’IOGS à celle de l’Université Paris-Saclay…
- Percevez-vous déjà un effet « Université de Paris-Saclay » au plan international ?
R.C. : Oui, indéniablement, nous bénéficions de la visibilité qu’elle a acquise à travers ne serait-ce que les classements internationaux, à commencer par celui de Shanghai. Je n’ignore pas les réserves que ces classements et ce dernier en particulier inspirent – ils sont probablement imparfaits -, mais ils n’en permettent pas moins de situer les universités dans la carte du monde, de les comparer les unes aux autres, au global ou discipline par discipline. Qui plus est, qu’on le veuille ou non, ces classements sont consultés par les enseignants-chercheurs, les étudiants sans oublier les entreprises qui recrutent.
- Dans quelle mesure tirez-vous ainsi profit de l’inscription de votre école dans le campus Paris-Saclay et, au-delà, l’écosystème Paris-Saclay, avec son autre pôle universitaire, IP Paris, ses entreprises, ses start-up, etc. ?
R.C. : Comme sur nos autres sites, de Bordeaux et de Saint-Étienne, nous avons l’ambition d’offrir à nos étudiant.e.s, un vrai campus, avec tout ce que cela suppose : la possibilité de faire des activités sportives, l’accès à des infrastructures de transport, à une offre de soin – la santé étudiante est un enjeu majeur -, etc. Autant de choses concrètes, que notre inscription dans le territoire, objet d’un important projet d’aménagement, nous permet d’offrir, en rendant l’expérience étudiante autrement plus riche qu’auparavant.
Il reste des trous dans la raquette. Le logement étudiant demeure un vrai problème pour ce qui nous concerne : l’Institut d’Optique ne dispose pas, à la différence d’autres grandes écoles, de résidence étudiante en propre. Nous en sommes réduits à « bricoler » des solutions entre le Crous et des bailleurs privés. C’est dire si nous attendons impatiemment que l’offre de logements étudiants soit renforcée.
Autre problématique : l’accessibilité du campus. Nous attendons là encore avec impatience l’arrivée de la Ligne 18 du Grand Paris-Saclay. Par chance, nos deux implantations, situées de par et d’autre de la N118 dans les quartiers de Moulon et de l’École polytechnique (une singularité, notons-le au passage, de notre école par rapport à d’autres établissements d’enseignement supérieur du plateau de Saclay) seront desservis par la nouvelle ligne. Reste à favoriser la circulation entre les deux sites. Nous réfléchissons à la possibilité d’installer une flotte de vélos électriques propre à l’Institut. Reste la question du coût du transport. J’ose poser la question : pourquoi ne pas instaurer la gratuité de la circulation au moins pour les étudiants, qui, du fait de la mutualisation des bâtiments, se retrouvent à devoir se déplacer plus souvent. C’est a fortiori le cas des nôtres qui ont à se déplacer entre nos deux sites en plus d’avoir à se loger ailleurs que sur le plateau et ce, pour les raisons que j’ai dites. Pour certains, le transport représente un budget non négligeable au point d’être un vrai frein à la possibilité de faire pleinement l’expérience de la vie de campus sur le plateau de Saclay. Je profite de cet entretien pour ré-exprimer ce vœu : qu’on se saisisse à bras le corps de cette problématique des transports pour améliorer le quotidien de nos étudiants et leur donner le sentiment de faire pleinement partie du campus.
« Le chemin parcouru est exceptionnel. Les personnes qui découvrent Paris-Saclay ont peine à imaginer où nous en étions il y a dix ans. »
- Cela étant dit, il y a dix ans, on était encore loin de formuler les problématiques de transport en ces termes, tant les défis paraissaient autrement plus grands, à commencer par celui de concrétiser la Ligne 18 du Grand Paris Express… Au fond, le vœu que vous formulez de voir améliorer l’accès au transport pour les étudiants ne témoigne-t-il pas du fait que, si des problèmes demeurent, ils ne sont plus de même nature qu’il y a dix ans ?
R.C. : Vous avez raison de le rappeler ! Le chemin parcouru est exceptionnel. Les personnes qui découvrent Paris-Saclay ont peine à imaginer où nous en étions il y a dix ans. Pour ma part, j’ai connu le plateau de Saclay du temps où j’y faisais ma thèse, dans les années 1990. J’ai commencé à y revenir à la fin 2021, quelques mois avant ma prise de fonction. Je ne reconnaissais plus les environs ! « Enfin, ça commence à ressembler à un campus ! ». C’est à peu près la première réaction que j’ai eue lors de mes échanges avec les instances universitaires. Ce à quoi des collègues, nouveaux venus, réagissaient non sans cacher leur surprise tant eux étaient plus enclins à la critique. Ils ne savaient tout simplement pas d’où on venait ! Il faut se souvenir qu’il y a encore quelques années, Paris-Saclay était un ensemble d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, qui y étaient présents depuis quelques décennies, mais qui étaient isolés les uns des autres. Qui auraient pu imaginer que tant de grandes écoles le rejoindraient ? Que des pistes cyclables y seraient aménagées ?
Il ne s’agirait pas pour autant de se reposer sur nos lauriers. Il importe d’aller au bout du processus en prenant notamment au sérieux la mobilité étudiante – j’insiste là-dessus, car c’est à mon sens une problématique majeure comme d’ailleurs la mobilité tout court : celle des enseignants-chercheurs et des personnels administratifs. À l’IOGS, on y est d’autant plus sensible que, depuis que le 503 a été rénové, nous avons envie que nos étudiants, nos enseignants et nos personnels puissent en bénéficier !
- Je ne résiste pas à l’envie d’évoquer « l’urbanisme du care » promu par l’urbaniste Yoann Sportouch, dont vous offrez, par votre attention à cette question des mobilités, une parfaite illustration : l’urbanisme du care consiste justement à porter son attention, à prendre en considération, les savoirs, les expertises que les acteurs locaux ont d’un territoire faisant l’objet d’un projet urbain. Cela étant dit, précisons à l’attention des lecteurs que nous réalisons l’entretien à votre bureau du site palaisien de l’IOGS, d’où on peut voir le centre de R&D de Thales, l’entrée du campus de Polytechnique, EDF Lab, etc. Dans quelle mesure cette proximité avec des établissements d’enseignement supérieur, relevant ou pas de l’Université Paris-Saclay, et d’industriels, est-elle propice à de nouvelles synergies ?
R.C. : Effectivement, cette proximité joue pleinement. On pourra toujours objecter que la construction de l’écosystème aura impliqué d’importants investissements, le transfert de plusieurs établissements, mais c’est par cette proximité physique, géographique, qu’on parvient à susciter des initiatives, à créer, comme vous dites, des synergies. Le Paris-Saclay Summit se déroule à EDF Lab ? Je peux y faire des allers retours à pied, dès qu’un créneau me le permet. Ce me serait impossible s’il me fallait venir de Paris, sauf à bloquer une journée et sous réserve de ne pas être pris dans des embouteillages…
En dehors de l’Université Paris-Saclay, nous avons bien évidemment des liens avec l’École polytechnique et d’autres établissements de l’IP Paris. Au-delà de cela, cette proximité favorise bien d’autres initiatives qui n’étaient pas à proprement parler programmées. En voici un exemple : il concerne le Lycée International de Palaiseau Paris-Saclay, situé à deux pas de là, et qui se trouve accueillir le BTS photonique jusqu’ici proposé par le Lycée Fresnel de Paris, en plus d’ouvrir à la rentrée un bac pro photonique. Tout naturellement, des enseignants-chercheurs de l’IOGS vont intervenir pour former les formateurs. Un partenariat dont on ne parlait pas encore il y a un an et demi et qui est né d’une rencontre avec le proviseur du lycée venu assister à l’inauguration du 503 ! Nous nous étions promis de nous revoir. Ce que nous avons fait… La suite, c’est le partenariat que je viens d’évoquer.
Au-delà de cela, je suis attaché à encourager la mixité entre les étudiants de différentes disciplines, mais aussi de différentes origines sociales, de différentes nationalités, de différents cursus… Bref, à veiller à éviter cet entre-soi qui a pu caractériser nos grandes écoles. Nos étudiants participent déjà à des événements organisés avec des étudiants d’autres grandes écoles et c’est déjà très bien, mais si on pouvait aller plus loin, brasser davantage les étudiants des sciences de l’ingénieur ou dites dures, et les sciences humaines sociales, je pense qu’on fera encore un grand pas.
Cela étant dit, comme vous, ma nature m’incline à voir d’abord le verre à moitié plein, à rendre justice à tout ce qui a été fait. Et c’est précisément parce que je mesure le chemin parcouru que je n’ai pas envie de m’arrêter au milieu du gué. Et ce que je dis de nos sites de Paris-Saclay vaut pour ceux de Bordeaux et Saint-Étienne : comme mes prédécesseurs, je les encourage à s’inscrire pleinement dans leurs écosystèmes locaux respectifs pour aller à la rencontre d’autres publics.
« Sur le plan institutionnel, l’IOGS continue à exister en tant que tel. Avec l'Université Paris-Saclay, nous sommes engagés dans un projet commun et des actions qui nous renforcent mutuellement. »
- J’aimerais revenir à ce rapprochement avec le Lycée International de Palaiseau, né de cette rencontre fortuite avec son proviseur, tant il illustre le fait que si la concentration de laboratoires, d’équipements, d’infrastructures, est une condition nécessaire à la réussite d’un cluster, elle ne saurait être suffisante : encore faut-il que les hommes et les femmes se rencontrent, interagissent, montent des projets qui n’avaient pas été programmés…
R.C. : Exactement ! J’ajouterai : pas de cluster sans des rencontres fortuites, sans une part de sérendipité…
- Un mot clé s’il en est ! Merci de l’introduire dans cet entretien !
R.C. : J’ajouterai que pour que ces rencontres fortuites se fassent, il faut aussi des lieux ouverts, atypiques. À cet égard, j’observe que les endroits où se croisent les publics en formation, aussi bien initiale que continue, les chercheurs et chercheuses, les entrepreneur.e.s, sont précisément les lieux dédiés à l’innovation, à l’image du 503, mais aussi des incubateurs comme ceux d’IncubAlliance… Rien de plus naturel me direz-vous quand on sait que l’innovation incline à se confronter à d’autres disciplines, à d’autres expertises, à d’autres manières de faire…
- Je ne peux m’empêcher de constater qu’au stade avancé de l’entretien où nous sommes, vous n’avez pas encore évoqué le sujet dont on parle immanquablement depuis quelques temps, je pense à l’IA générative, alors que bien évidemment elle impacte vos enseignements et votre recherche, en plus d’inspirer des projets entrepreneuriaux au sein de la FIE. Il a été davantage question, fût-ce implicitement, d’intelligence humaine, collective…
R.C. : Même si nous sommes concernés par cette IA, nous en sommes plus des utilisateurs que des acteurs sinon des observateurs, du moins pour l’instant. Nous nous doutons bien, à en juger par nos échanges avec nos partenaires industriels, qu’elle est en train de bouleverser le monde des ingénieurs. Nous réfléchissons donc à voir comment faire évoluer nos enseignements pour préparer nos élèves à cette révolution en cours, si tant est qu’ils ne s’y investissent pas déjà.
- Venons-en à vous : qu’est-ce qui vous a prédisposé à prendre les rênes de l’IOGS ?
R.C. : Je le connaissais déjà pour y avoir fait des travaux dirigés du temps où j’étais en thèse, dans les années 1990. J’y croisais Christophe Imbert [directeur de l’IOGS, dans les années 1984-1998], Alain Aspect,… J’y suis retourné par la suite à maintes reprises pour les besoins de mes travaux de recherche ; j’ai publié avec plusieurs de ses chercheurs. J’y ai été aussi enseignant pendant une dizaine d’années, au titre d’intervenant extérieur. Bref, c’est une maison que je connaissais bien ! De là à avoir anticipé le fait de la diriger un jour… Quand un search committee est venu frapper à ma porte à l’automne 2021 pour m’annoncer que Jean-Louis [Martin] allait passer la main, que l’institut était en quête d’un successeur, il ne me donna que deux mois pour répondre… Finalement, il ne m’aura pas fallu autant de temps pour me laisser convaincre. Tout en ayant conscience du défi, c’est une école qui correspond bien à ma vision de ce que doit être la recherche et l’enseignement supérieur. Je suis aussi sensible au fait que c’est les hommes et les femmes – on y revient – qui comptent davantage que les structures.
La seule condition que j’ai émise a été de pouvoir continuer à faire de la recherche, ce que j’ai obtenu : je poursuis mes travaux au laboratoire de l’Institut Langevin, de l’ESPCI Paris, en dehors de l’Institut d’Optique donc, à raison de deux jours par semaine. Certes, une partie de mes travaux sont effectués par délégation ; j’en fais moins qu’avant, mais j’en fais quand même ; je continue à faire des conférences. Un choix personnel qui correspond à un trait de ma personnalité : j’ai besoin de garder le contact avec la recherche telle qu’elle se fait, avec mes collègues chercheurs. Les deux instituts se ressemblent à bien des égards : ils sont à taille humaine, décloisonnés, ouverts sur la société tout en poursuivant de la recherche fondamentale.
Journaliste
En savoir plus