Suite de nos échos à la 3e édition de Handiversité à travers le témoignage d’Estelle Peyrard, une doctorante, qui poursuit une thèse en convention Cifre, associant l’Association des Paralysés de France (APF) et l’Institut interdisciplinaire de l’Innovation (UMR 9217/CNRS), auquel appartient le Centre de Recherche en Gestion (CRG) de l’X, sur « la participation des personnes en situation de handicap aux processus d’innovation ».
– Si vous deviez pour commencer par pitcher l’enjeu de votre thèse, même si l’intitulé en est explicite ?
Il s’agit tout d’abord de comprendre les freins à une participation des personnes en situation de handicap aux processus d’innovation. Ces freins sont divers. D’ordre méthodologique, d’abord, c’est-à-dire liés aux contraintes physiques, environnementales ou encore cognitives des personnes. Ils peuvent être aussi imputables à la diversité des formes de handicap, qui rend complexe la représentativité des personnes impliquées dans un processus d’innovation ; ou encore tout simplement aux préjugés que peuvent avoir des innovateurs à l’égard des personnes en situation de handicap. Impliquer des utilisateurs dans un processus d’innovation représente également un surcoût, d’autant plus important que nous sommes sur des marchés de niche et, donc, des modèles économiques parfois difficiles à trouver. A quoi s’ajoutent les biais introduits par les aidants et soignants, enclins à surprotéger les personnes dont elles s’occupent, au point de s’exprimer à leur place et d’induire chez elles des croyances limitantes. Voilà pour un premier aperçu d’une recherche qui n’en est qu’à ses débuts – je l’ai démarrée au mois de février de cette année. Nul doute que d’autres freins sont à mettre au jour.
– Comptez-vous vous inscrire dans une approche comparative de façon à mettre au jour d’éventuels freins d’ordre plus culturel, des différences d’un pays à l’autre ?
Autant le reconnaître, nous nous inscrivons pour le moment dans une perspective franco-française même si des échanges avec des chercheurs à l’international sont d’ores et déjà prévus, notamment parce-que les spécialistes de l’innovation par les utilisateurs se trouvent aux Etats-Unis [en illustration : Estelle Peyrard, à droite, lors de la présentation des divers projets d’innovation relatifs au handicap].
– De quels soutiens bénéficiez-vous pour mener cette thèse ?
Je la mène dans le cadre d’une convention Cifre associant trois partenaires. D’une part, l’Association des Paralysés de France (APF), qui s’est doté d’un dispositif – APF Lab Handicap et Nouvelles Technologies – visant à accompagner les projets innovants dans le domaine du handicap, en permettant l’expression de besoins des premiers intéressés.D’autre part, l’Institut interdisciplinaire d’Innovation (I3) et plus spécifiquement le Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole polytechnique.
– On devine qu’il est trop tôt pour tirer des enseignements. Néanmoins, si vous deviez mettre en avant de premiers résultats ?
Il est effectivement trop tôt. Cela étant dit, je peux faire état d’au moins deux difficultés qui ressortent de mes premiers échanges avec des entrepreneurs innovants et startuppers, qui souhaitent impliquer des personnes en situation de handicap dans leur processus d’innovation. La première difficulté est d’accéder aux bonnes personnes, celles pâtissant du handicap auquel ils veulent apporter une solution. La deuxième difficulté tient à cette tendance à mettre l’avis de la personne en situation de handicap au second plan par rapport à celui des soignants et autres sachants, les ergothérapeutes par exemple.
– Alors que, comme on le devine, la personne en situation de handicap a sa propre expertise…
Non seulement, elle a développé une expertise, mais elle est directement concernée !
– En quoi l’écosystème de Paris-Saclay est-il un terrain de jeu favorable ?
Nous sommes dans un écosystème innovant. Il ne peut donc qu’être favorable à l’accompagnement de projets d’innovation relatifs au handicap. J’ajoute que l’événement auquel nous assistons témoigne, s’il en était encore besoin, de l’ambition de cet écosystème de mettre la question du handicap à l’agenda de la recherche et de l’innovation. Je précise que mon projet de thèse est suivi, au sein de l’APF, par Hervé Delacroix, très impliqué dans l’organisation du colloque Handiversité, depuis sa création.
– Qu’en est-il du numérique : n’ouvre-t-il pas des perspectives intéressantes ?
Si, bien sûr. C’est un terreau fertile. Il faut juste s’assurer que les startuppers et entrepreneurs innovants le fassent en concertation étroite, j’y reviens, avec les personnes les plus directement concernées. Mais c’est précisément la vocation d’AFF Lab Handicap et Nouvelles technologies, que de favoriser la mise en relation entre innovateurs et usagers potentiels.
A lire aussi les entretiens avec Alain Schmid, ingénieur chercheur, en charge du projet « Coordination Handicap » au sein d’EDF (cliquer ici) ; Samuel Marie, tétraplégique, qui a entrepris «Sam Fait Rouler », le premier Handi Road Trip pour un monde accessible (cliquer ici) ; enfin, João Neto, doctorant brésilien de l’Université Paris-Saclay, par ailleurs professeur à l’Université Fédérale do Recôncavo de Bahia, qui poursuit une thèse sur le thème de la smart city inclusive (cliquer ici).
Journaliste
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