Des espaces de travail hybrides, accueillant des bureaux, mais aussi des plateaux techniques pour y poursuivre des tests et des expérimentations. C’est la vocation d’une nouvelle génération de bâtiments
dits « techtiaires ».
Chef de projets à la Direction de l’Innovation et du Développement économique (DIDE) de l’EPA Paris-Saclay, Frédéric Devaivre nous en dit plus sur l’origine de ce concept et les premiers projets sortis de terre ou programmés dans l’écosystème de Paris-Saclay.
- Si vous deviez, pour commencer, pitcher ce concept d’immobilier techtiaire ?
Comme sa construction l’indique – une contraction de technologique et de tertiaire -, ce mot désigne des espaces de travail hybrides, offrant à la fois des bureaux et des surfaces techniques à même d’accueillir, selon les besoins, un atelier léger de montage et de stockage, une salle blanche, une ligne pilote agro ou même des procédés lourds requérant une charge au sol, de la hauteur sous plafond ou encore une ventilation adaptée.
Ce n’est pas tout : ce type de bâtiment a aussi vocation à proposer un ensemble de services permettant l’animation de la communauté des entreprises qui y sont hébergées pour favoriser leur développement : par exemple, des événements, des passerelles à l’international, des équipements ou espaces mutualisables, ainsi que des services d’expertises techniques (règlementaire, juridique, qualité, etc.).
- À qui doit-on ce néologisme ?
À l’EPA Paris-Saclay ! L’établissement en charge de l’aménagement de Paris-Saclay a commencé à le promouvoir dès 2019. Nous menons cette réflexion avec la SATT Paris-Saclay et la French Tech Paris Saclay. Pour autant, nous ne prétendons pas avoir imaginé le concept : de tels bâtiments existent de longue date. Mais les besoins des jeunes entreprises innovantes de la Deep Tech n’avaient pas été clairement caractérisés dans le contexte de l’écosystème Paris-Saclay – en termes de typologie de moyens, de surfaces, de filières industrielles représentées. Or, cet écosystème, c’est aussi un riche tissu de PME et de start-up à fortes composantes technologiques qui, à la différence de sociétés pure player de l’internet, ont besoin, pour beaucoup d’entre elles, de surfaces pour faire de la R&D, tester, expérimenter, prototyper – des surfaces qu’elles trouvent difficilement à Paris intra muros et dans la région. À travers ce concept d’immobilier techtiaire, nous entendons mieux répondre à leurs besoins.
- Dans quelle mesure cet immobilier techtiaire emprunte-t-il à l’univers du FabLab ?
L’immobilier techtiaire s’inscrit dans une tout autre logique. Autant le FabLab vise à mutualiser les équipements à un instant donné, pour un projet et généralement lors d’un usage temporaire, autant le techtiaire permet à chaque entreprise de disposer de son propre plateau technique, conçu en fonction des spécificités de son activité et de ses besoins, et donc utilisé exclusivement par son personnel. Etant entendu qu’un bâtiment techtiaire peut aussi accueillir des équipes de R&D de grands groupes, qui auraient besoin de disposer d’espaces mixtes de quelques centaines de mètres carrés au cœur de Paris-Saclay, sans exclure d’aller plus loin sur la base de la construction d’un site en propre.
- Si l’EPA Paris-Saclay a la paternité du concept, quel en est l’équivalent en anglais ?
Il n’y a pas à proprement parler d’équivalent aussi générique. On parle de Life Sciences Real State, mais pour désigner, comme le nom l’indique, des bâtiments accueillant principalement des entreprises des secteurs alimentaire, agronomique ou de la santé. Or, l’immobilier techtiaire tel que l’EPA Paris-Saclay entend le promouvoir a l’ambition de répondre aux besoins qui s’expriment dans au moins les six filières d’excellence identifiées dans l’écosystème Paris-Saclay : outre la santé-biotech et l’agrotech-foodtech, l’aéronautique-sécurité-défense, les mobilités du futur, les technologies numériques, enfin, l’énergie-environnement. Notre concept embrasse donc plus large que le seul équivalent anglo-saxon dont on dispose.
- À combien de surfaces évaluez-vous les besoins au sein de l’écosystème ?
D’après nos évaluations, les besoins pour ce type d’offre immobilière et de service devraient à terme s’élever 500 000 m² sur l’ensemble des ZAC de l’OIN Paris-Saclay, soit environ deux tiers des quelques 750 000 m2 de surfaces d’activités économiques que nous comptons développer. D’ores et déjà, l’EPA Paris-Saclay a fait évoluer la programmation immobilière de ses ZAC. Au début, il était question de construire du tertiaire classique (des bureaux).
Dans cette perspective, l’EPA Paris-Saclay a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour un référencement d’opérateurs d’espaces de travail techtiaires [ les candidats ont jusqu’au 31 janvier pour se manifester]. Une fois référencés, ces opérateurs pourront être sollicités dans les deux prochaines années pour des cessions d’environ 30 000 à 70 000 m², en gré-à-gré, via des appels à projets ou d’autres montages innovants.
- Quels défis cet immobilier techtiaire représente-t-il au regard du modèle économique ?
De fait, ce type d’immobilier soulève des défis. Le premier tient au coût de construction a priori plus élevé qu’un simple immeuble de bureaux, du fait de l’aménagement de plateaux techniques. Sa conception requiert en outre une expertise multi-métier plus importante que pour des bureaux classiques. Il s’agit de bien comprendre les besoins d’entreprises pouvant relever de secteurs d’activités très divers. La première difficulté pour nous a d’ailleurs été d’identifier des opérateurs à même de concevoir ce type d’immobilier. D’où l’AMI que j’ai évoqué.
- Quels seront les premiers projets à voir le jour ?
Un premier bâtiment 100% techtiaire sortira de terre dans le quartier de Moulon à proximité de la gare, à l’horizon fin 2025. Il sera conçu par le groupement emmené par Kadans Science Partner, un spécialiste néerlandais de ce genre d’immobilier. La promesse vient d’être signée ce 23 janvier. Ce bâtiment sera généraliste au sens où il pourra accueillir plusieurs typologies d’activités, sur une surface totale de 14 000 m2, avec plus de surface technique que de surface bureau. Il disposera aussi d’espaces communs dédiés à la restauration et à l’événementiel.
D’autres projets sont déjà en cours : l’incubateur de Servier, livré en début d’année 2023 et que l’on peut considérer comme faisant partie de l’immobilier techtiaire ; le Central, dont le premier bâtiment d’immobilier d’entreprise comptera quatre étages « techtiaire compatibles » – ils pourront accueillir si besoin des laboratoires ou des ateliers selon les preneurs. Sa livraison est prévue fin 2025-début 2026.
- Une question plus personnelle pour clore cet entretien : vous qui êtes expert des relations avec les entreprises, que vous inspire cette évolution ?
Je reçois régulièrement des demandes d’entreprises en quête de ce genre d’espaces mixtes. Je suis très heureux de pouvoir enfin y répondre avec tous ces projets en cours et à venir ; de permettre à des entreprises innovantes de se développer dans les meilleures conditions en leur donnant envie de rester dans l’écosystème Paris-Saclay ! Pour l’heure, nous en sommes encore réduits à trouver des solutions contraintes et temporaires, mais j’ai bon espoir que la dynamique qui vient d’être enclenchée permettra de rendre l’écosystème encore plus attractif. D’autant que l’ouverture des futurs projets que je viens d’évoquer va coïncider avec l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris Express. Un alignement des étoiles, en somme, dont j’espère qu’il va booster la création, mais aussi l’implantation de start-up et de PME innovantes !
Journaliste
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