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Science & Culture

Il sera une fois…

Le 29 avril 2024

Rencontre avec Nathalie Bondoux, conteuse

Anthropologue de formation, Nathalie Bondoux est conteuse. « Les herbes folles repoussent toujours » est le titre de son dernier spectacle. Initialement intitulé « Voyage au cœur de Villemondice », il est le fruit d’un processus de création continue. Elle témoigne ici de la manière dont, à partir d’une réflexion sur la place du plastique dans nos sociétés contemporaines, elle en est venue à élargir son propos aux biodéchets dans lesquels elle voit, par la magie du compost, un nouvel « or noir », autrement plus prometteur que celui issu d’une énergie fossile…

- En 2023, vous donniez à Palaiseau [Essonne] l’extrait d’un futur spectacle au titre évocateur, « Voyage au cœur de Villemondice », doublé d’une exposition d’œuvres réalisées par des enfants à partir de divers types de plastique récupéré. Pouvez-vous, pour commencer, revenir sur la genèse de ce double projet ?

Nathalie Bondoux : Cela faisait un certain temps que je voulais traiter de la pollution. Mais comment le faire par le biais du conte ? La pollution, quelle qu’elle soit, est un sujet trop abstrait et trop large pour susciter l’émotion. Comment donc la raconter sans verser dans l’abstraction ? J’ai commencé à observer autour de moi, à enquêter, à me documenter. C’est ainsi que j’ai pris la mesure de la pollution engendrée par ces déchets plastiques, de plus en plus envahissants : où qu’on aille, on en retrouve sous nos semelles, en pleine nature, dans les branches d’arbres. J’en trouve même dans mon jardin, apportés par le vent…
En me concentrant sur cette pollution plastique, j’ai imaginé une ville-monde entièrement recouverte de déchets plastiques : Villemondice !
Très vite, j’en suis venue à m’interroger sur le sort qu’on réservait à tous ces déchets : si on ne nous cache rien de leur retrait, en revanche, nous ne savons pas ce qu’ils deviennent. Pour le savoir, je suis donc allée au Siom [Syndicat Intercommunal des Ordures Ménagères] de la Vallée de Chevreuse. Le spectacle qu’on peut y voir est impressionnant : des gigantesques mâchoires métalliques suspendues à des grues qui plongent dans des montagnes de déchets pour les transbahuter dans… des incinérateurs ! J’allais de surprise en surprise… En surfant sur internet, j’ai découvert des documentaires qui montrent que, quand on ne les brûle pas, on enfouit ces déchets…

- À vous entendre, votre spectacle est donc sorti tout droit de l’imagination d’une conteuse, mais aussi d’un travail digne d’une chercheuse. Une remarque qui est l’occasion de rappeler que vous êtes anthropologue de formation…

N.B. : Oui, et je continue à lire des ouvrages d’anthropologie ou d’ethnologie. C’est d’ailleurs avec la lecture de La mère dévorante : essai sur la morphologie des contes africains, que tout a véritablement commencé. Son autrice, l’ethnologue Denise Paulme, y analyse un des rares mythes d’Afrique sud-saharienne à évoquer l’Apocalypse. Il relate l’histoire d’une calebasse qui dévore tout ce qui se trouve sur son passage. Il m’a confortée dans l’envie de me lancer dans un récit d’anticipation, de quitter en somme le monde confortable du « il était une fois », pour celui plus exploratoire du « Il sera peut-être une fois ».
Quant à l’exposition, elle était destinée à placer sous les yeux des spectatrices et spectateurs toute cette matière plastique qu’on produit et consomme avant de la rejeter sans plus y penser. Cette matière n’était pas montrée sous forme de déchets, mais d’œuvres réalisées par des enfants à partir de bouteilles, d’emballages, etc. Une forme de recyclage destinée à sensibiliser au fait que, quelle que soit la modification qu’on lui fait subir, le plastique est toujours là.

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

© Stéfan Meyer

- Qu’est-ce qui vous a conduite à élargir votre narration aux déchets et aux biodéchets en particulier ? Est-ce l’actualité autour de l’application de la loi Agec ?

N.B. : Non, c’est juste le fait de ne plus supporter d’avoir la tête et les mains dans du plastique ! Je n’en pouvais plus, au point d’en avoir même fait une allergie ! Mais, pour pouvoir en parler, il m’avait bien fallu me rendre compte à quel point son omniprésence était nocive, l’éprouver physiquement. Je peux maintenant en témoigner, le plastique, c’est insupportable, physiquement, mais aussi au regard du bon sens : une fois qu’on l’a produit, on ne sait plus quoi en faire si ce n’est le recycler, mais à la marge. Nuisible à notre santé, le plastique nuit à la vie. Si, donc, je voulais rendre plausible la survie de/du vivant(s) dans Villemondice, il me fallait y introduire de l’organique.
Et puis je voulais savoir ce que je pouvais faire, à mon échelle. Or, ce que je sais faire, et que j’aime faire, c’est raconter des histoires. Mais quel récit pouvais-je raconter qui soit en mesure de toucher les gens sur un sujet aussi aride que celui des déchets ? Il me fallait une histoire qui, tout en puisant dans un récit ancien, soit en mesure de parler du monde de demain. Un monde que je dessine comme étant assez repoussoir, mais pour mieux susciter, comme je l’espère, une réaction de rejet. Et c’est ce qui se passe avec les jeunes auprès desquels j’interviens. Le but n’est pas de leur faire peur, mais de provoquer chez eux l’envie que Villemondice n’advienne pas.

- Mais l’enjeu n’est-t-il pas de convaincre aussi les adultes, et au-delà, tous les acteurs engagés dans la gestion des déchets organiques et autres – collectivités locales, organismes de collecte… ?

N.B. : J’aurais tendance à penser que, oui, bien sûr, le conte, la narration, peut toucher aussi ces acteurs, étant entendu que ceux-ci n’en restent pas moins des hommes ou des femmes préoccupés du monde qu’ils légueront à leurs propres enfants.
Je ne demande aussi qu’à connaître leur vision des enjeux. Non que je prétende m’appuyer sur leur expertise pour étayer ma narration, la rendre le plus crédible possible. Car, en tant que conteuse, je tiens à conserver ma liberté de création, en assumant le fait de puiser dans mon imagination. Ainsi, je ne sais pas ce que donne réellement une explosion de biogaz. Des experts seraient sans doute surpris de découvrir les effets que je lui prête ! Mais je n’ai pas d’autre prétention que de m’appuyer sur ce que la présence de gaz peut provoquer dans des mines de charbon et d’extrapoler en imaginant ces biogaz dans des « mines » de déchets !

- Une question plus personnelle pour clore cet entretien : dans quelle mesure la conteuse que vous êtes s’engage-t-elle elle-même au quotidien en faveur d’une gestion durable des biodéchets ?

N.B. : De ce point de vue, la personne que je suis se confond avec la conteuse. Dans mon jardin, je m’applique depuis plusieurs années à faire mon compost. Je suis proprement fascinée de voir comment mon tas de déchets se décompose pour donner, au printemps, de l’humus. C’est extraordinaire ! Ça sent bon, ça respire, ça grouille de vie et de vers, ça chauffe, un peu puis beaucoup à d’autres moments. Et puis quelle joie que de pouvoir rendre à la terre ce qu’elle nous a donné pour nous nourrir ! J’ai par ailleurs installé des toilettes sèches qui permettent d’éviter l’usage d’eau potable – un non sens quand on y pense ! Le spectacle est tout aussi fascinant : ce qui n’était que de l’urine et de la matière fécale fournit au final de la matière organique utile au sol. Je trouve d’autant plus désolant les cris d’orfraie que l’on peut encore pousser à la simple vue d’un tas de compost ou même d’un ver de terre ! En réalité, il n’y a pas plus fascinant, car, en réalité, c’est de la matière vivante.
C’est d’ailleurs pourquoi, après Villemondice, où je ne parle que de déchets repoussants – au risque, j’en conviens, de désespérer des gens -, je souhaite de plus en plus aller vers une narration plus positive, généreuse, en m’attachant à donner à voir la face positive des biodéchets.

- Non sans concourir à valoriser les métiers attachés à la gestion durable de ces biodéchets : maîtres composteurs, employés des services en charge de leur collecte, etc.

N.B. : Sans oublier les éboueurs ! Après avoir fait de ces métiers autant de viviers de héros invisibles, il s’agit maintenant de donner à voir toute une chaîne qui permet de collecter et transformer nos biodéchets. Jusqu’alors, nous avons eu tendance à les jeter dans nos poubelles sans plus nous préoccuper, une fois celles-ci refermées, de savoir le sort qui leur serait réservé. Le mérite du compostage est de nous amener à porter plus d’attention sur ce qu’on jette, à savoir : un véritable trésor dont on prive la terre, faute de le composter. Pour moi, les biodéchets, c’est de l’humus en puissance, de l’or noir !

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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