Huit aérodromes sur un plateau, de Georges Beisson et Colette Guétienne.
Un livre richement illustré et documenté, dû à deux historiens de l’architecture, nous replonge dans l’histoire des huit aérodromes que le Plateau de Saclay compta au cours du XXe siècle.
Il y a quelques mois, un article auquel le site Média Paris-Saclay s’était fait l’écho, rappelait le pôle aéronautique qu’avait constitué par le passé le Plateau de Saclay avec sa floraison d’aérodromes créés à l’instigation des pionniers de l’aviation (pour accéder à cet article cliquer ici). Cette fois, c’est un livre qui est consacré à ce patrimoine méconnu. Un vrai livre d’histoire, richement illustré, qui devrait intéresser aussi les architectes. Et pour cause, ses auteurs sont deux diplômés en histoire de l’architecture. A ce titre, ils portent une attention toute particulière aux différents équipements gravitant autour des aérodromes et des traces qu’ils ont laissés…
Trois années durant, ils se sont plongés dans les archives existantes et pour certaines d’entre elles, redécouvertes par eux : des journaux, des publications, des plans cadastraux jusqu’à et y compris des actes notariés. En plus de photographies, ils ont su aussi retrouver de nombreuses cartes postales attestant de ce passé glorieux à bien des égards (non sans relever des erreurs dans la localisation des aérodromes qui y sont représentés), recueilli des témoignages vivants, etc.
Jusqu’à 8 aérodromes
Au fil des pages, on ne peut qu’être surpris par la riche histoire dont le Plateau de Saclay a été ainsi le théâtre. Entre les balbutiements de l’aéronautique, au début du XXe siècle, et les années 1990, ce territoire a compté jusqu’à 8 aérodromes : le premier d’entre eux est celui de Toussus-le-Noble, créé dès 1907. Suivirent, avant ou pendant la Grande Guerre, celui de Buc ; le REP (les initiales de son fondateur, Robert Esnault-Pelterie) ; le Farman ; le Châteaufort-Borel ; le Mérantais ; enfin, dans l’entre-deux-Guerres, le Guyancourt et le Toussus-Paris (1932), chacun se spécialisant au fil du temps, en aérodrome de loisirs, de secours ou militaire ou encore en aéro-club.
Le Plateau de Saclay présentait il est vrai plusieurs avantages : il était peu peuplé et dégagé d’obstacles. Il était déjà accessible depuis Paris et sa banlieue proche, en voiture ou par le train (Buc était desservi par la station de Petit-Jouy, Toussus-le-Noble par celle de Jouy-en-Josas).
Derrière ces aérodromes, des hommes visionnaires et volontaires, à la fois avionneurs et entrepreneurs, dont les auteurs retracent également le parcours à travers des biographies synthétiques : Louis Blériot, qui, peu après sa traversée de la Manche, en juillet 1909, constitua à Buc, l’Aréoparc, véritable terrain d’essais pour les prototypes d’aéroplanes qu’il construisait à Levallois ; Robert Esnault-Pelterie (déjà cité, plus connu sous ses initiales), les frères Farman,… Tous investirent le plateau pour y aménager, en plus de terrains d’essais, des hangars, des ateliers de montage, des bureaux, et même des écoles de pilotage. Non sans y drainer des emplois et des visiteurs, à l’occasion des exhibitions aériennes.
Tout sauf un long fleuve tranquille
L’histoire de ces aérodromes a cependant été tout sauf un long fleuve tranquille. Pas seulement en raison des incidents d’avions et autres incendies, ou parce qu’elle dut s’écrire au gré des soubressauts de la grande Histoire – durant la Seconde Guerre mondiale, les aérodromes de Buc et de Toussus-le-Noble, en particulier, virent se succéder les avions de l’armée de l’Air française, de la Luftwaffe puis de l’U.S. Air Force, de la Royal Air Force…
Mais aussi parce que les premiers avionneurs eurent maille à partir avec les « autochtones », à commencer par… les agriculteurs qui ne voyaient pas d’un bon œil leurs avions survoler d’aussi près leurs terres (si près que c’est d’ailleurs en référence à l’hippodrome que la notion d’aérodrome a été forgée), voire y atterrir, sans considération pour les récoltes…
Entre autres manifestations de l’opposition des agriculteurs, les auteurs citent un drolatique (du moins avec le recul) avis du Conseil Municipal de Guyancourt, en date du 27 avril 1911 qui se faisait l’écho des protestations de propriétaires-exploitants contre les atterrissages sur leurs champs ou des craintes d’ouvriers « menacés dans leur sécurité » et qui demandaient en conséquence « à M. le Préfet, ainsi qu’au Sénat et à la Chambre des Députés d’intervenir auprès des pouvoirs publics pour que les propriétés agricoles soient respectées. » Autre illustration : cette décision prise au cours du même mois, par un agriculteur de Villaroy, un dénommé Augustin Heurtebise, d’installer sur ses terres « un réseau serré de mats paragrêles de cinq à six mètres de hauteur » avec les intentions peu louables qu’on devine… Une affaire qui fit grand bruit et qui se termina devant les tribunaux. Si ledit Heurtebise fut contraint de retirer son dispositif, les constructeurs d’avions durent néanmoins par la suite consentir des dommages et intérêts aux agriculteurs victimes d’atterrissages forcés…
Les auteurs ne disent pas si ces agriculteurs sont parmi les arrières grands-parents ou grands-parents des agriculteurs qui, près d’un siècle plus tard, enfourchèrent un autre cheval de bataille (la sanctuarisation de terres agricoles sur le périmètre de l’Opération d’intérêt national Paris-Saclay…). Quoi qu’il en soit, dès la veille de la Grande Guerre, c’est bien un « cluster », qui prit naissance et se développa à la faveur des commandes de l’armée mais aussi de l’essor de l’aviation civile et de loisir.
Toussus-le-Noble, l’unique rescapé
De tous les aérodromes cités, c’est le plus ancien, Toussus-le-Noble, qui a survécu, sa plateforme n’ayant pratiquement pas évolué depuis la Libération (hormis la mise en place d’une deuxième piste en dur, la création de nouvelles zones…). Tous les autres ont en revanche disparu, les uns prématurément (Châteaufort, dès 1919, le Mérantais dans les années 30), les autres suffisamment tard pour connaître le triomphe des avions à réaction. Buc résista jusque dans les années 60. Il n’en subsiste plus qu’un des piliers d’entrée de l’Aéroparc et l’hôtel des élèves pilotes, actuellement occupé par une entreprise moyennant d’importants aménagements. L’emprise de l’aérodrome est désormais occupée par la Zac de Buc, créée par arrêté ministériel d’octobre 1970. Le destin de l’aérodrome de Guyancourt s’est, lui terminé plus tard encore, en 1989.
Un patrimoine architectural méconnu
Historiens de l’architecture, les deux auteurs ne peuvent s’empêcher et pour le plus grand plaisir du lecteur, de s’attarder sur les composantes architecturales des aérodromes en leur consacrant même le dernier chapitre : les hangars qu’on croyait construits à l’identique, sans réelle intention architecturale, mais dont ils montrent au contraire la diversité (entre les hangars en bois, les hangars Bessonneau, le hangar métallique Dubois, dit « hangar Farman », les hangars à charpente métallique, etc.) ; les tours de contrôle et les locaux techniques, dont, à Buc, l’ancien pavillon du club Roland-Garros (conçu en collaboration avec l’ingénieur-constructeur Jean-Prouvé, mais disparu depuis) ; les hôtels et restaurants des environs.
Aujourd’hui, hormis l’aérodrome de Toussus-le-Noble et quelques vestiges éparses, rien ne laisse penser que le Plateau de Plateau fut un haut lieu de l’histoire de l’aéronautique. Sauf à considérer que les Thales et autres Safran et Onera, ne perpétuent à leur façon cette vocation, a fortiori si on y inclut le tout proche aéroport de Paris (dont dépend désormais pour partie Toussus-le-Noble).
Huit aérodromes sur un plateau, de Georges Beisson et Colette Guétienne, Bleu Ciel Editions, 2011.
Légendes photo : en Une, grand format : l’hôtel des élèves-pilotes en construction sur l’Aéroparc de Buc (carte-postale de la collection de C. Guétienne) ; la photo illustrant l’article : une vue aérienne de l’aérodrome de Toussus-le-Noble, avant 1971 (carte postale Roger Henrard).
Journaliste
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